Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • Les bonnes et les mau­vaises moti­va­tions pour relire son texte
  • Avoir un regard per­ti­nent sur ses écrits

Madame K. est auteur. Elle vient de ter­mi­ner son roman. Elle est prête à le pro­po­ser aux édi­teurs. Enfin presque. Juste une petite relec­ture pour le style. Et une autre, parce que bon, elle ne se rap­pelle plus du début. Et puis encore une parce qu’il lui semble qu’elle a mal géré les vir­gules dans la 2e par­tie. Et puis une der­nière, toute petite, parce qu’a­vant-hier, elle a ouvert son fichier au pif et elle est tom­bée sur une rela­tive imbri­quée
22 mois, 11 jours et 7 heures plus tard, son manus­crit crou­pit tou­jours dans son ordi­na­teur.
Est-ce que ce monde est sérieux ?

Il vous arrive régu­liè­re­ment de me contac­ter pour me deman­der une pres­ta­tion de relec­ture de manus­crit. Après quelques échanges, vous m’a­vouez que vous êtes « presque prêt ». Dans quelques semaines, on attaque. Puis je n’en­tends plus jamais par­ler de vous.

La relec­ture ras­sure. La relec­ture déçoit, donc on relit encore plus fort. Ce qui ne devrait être qu’une étape du tra­vail parmi d’autres, finit par acca­pa­rer la tota­lité du temps que vous pou­vez consa­crer à l’é­cri­ture. Et pen­dant que vous éplu­chez à la loupe votre prose, les livres sortent, sortent… Il n’est jamais plus vrai qu’à ce moment, le vieil adage : vous vou­lez publier ? Envoyez vos textes !

Alors, que faire ? Où pla­cer le cur­seur ? Comment savoir qu’une relec­ture est néces­saire ou, au contraire, qu’il faut arrê­ter de vous grat­ter là où la vir­gule vous démange ?

Dans cette matière émi­nem­ment floue, sub­jec­tive, j’ai dégagé quelques cri­tères pour vous per­mettre de savoir si vous avez tort (-) ou rai­son (+) de pro­cé­der à une énième relecture.

(-) « C’est bien assez bon »

Quand vous ache­tez du pain, vous n’al­lez pas chez le bou­lan­ger qui le cuit approximativement.

Étrange, n’est-ce pas, que je com­mence par me contre­dire ? C’est qu’on parle ici d’at­ti­tudes, d’é­tats d’es­prit. Admettons-le, votre texte ne sera jamais par­fait. Mais il y a deux façons de clore le tra­vail : en vous décla­rant satis­fait, ou en mépri­sant le lecteur.

Si vous réécri­vez pour satis­faire vos pho­bies, comme on le verra plus loin, vous per­dez du temps. Tant que vous réécri­vez pour le plai­sir du lec­teur, vous êtes dans une pos­ture effi­cace. Apprenez à vous obser­ver hon­nê­te­ment et à dis­cer­ner vos motivations…

(-) « Y a rien à sauver »

Vous vous en dou­tez, ce n’est pas avec cette atti­tude que vous allez vous relire de façon pro­duc­tive. Bien sûr que si, il y a quelque chose à sau­ver. Et peut-être que ce n’est pas en vous achar­nant sur le mot juste ou le triple point-vir­gule acro­ba­tique, que vous allez vous en assu­rer. à ce stade-là, peut-être qu’un bêta lec­teur ou un conseiller à gages vous aide­rait à y voir plus clair, et à reprendre confiance dans votre projet.

Et puis lais­ser une chance à votre prose avant d’ap­puyer sur Delete : pen­sez au frigo d’é­cri­vain

(-) « Je ne peux pas donner ça à lire à quelqu’un ! »

Évidemment, ce qui est sous-entendu ici est « quel­qu’un de sévère ». Parce que le don­ner à lire à votre plante en pot, avouez-le, ça ne vous fait pas fris­son­ner tant que ça…

Dans votre par­cours d’é­cri­vain, si tout va bien, on ne vous deman­dera jamais de sau­ter d’un avion ou de rou­ler une pelle à un cra­paud. Mais comme dans toute acti­vité humaine, il y a des moments où il faut mon­trer du cou­rage. Des moments où vous avez l’op­tion d’être fier de vous-même. La pos­si­bi­lité de prendre un risque. Et où la par­tie « cha­ren­taise » de votre cer­veau tra­vaille à toute vitesse pour vous trou­ver des excuses…

Sachez-le, si vous ral­lon­gez à l’in­fini le temps des relec­tures, c’est peut-être un signe de couar­dise. Votre ennemi, dans l’é­cri­ture, c’est peut-être vous. Sachez vous vaincre.

Les relec­tures, c’est comme les os : sachez vous arrê­ter avant de ne plus avoir de dents.

(-) « Je suis chaud, là, j’attaque tout de suite »

Oui mais non. Il y a des étapes d’é­cri­ture où l’im­mé­dia­teté est néces­saire, doit être culti­vée, et d’autres où il faut un cer­tain temps de décan­ta­tion. Où il faut que votre his­toire s’es­tompe en par­tie pour vous per­mettre de mieux la dis­cer­ner. Où le moindre mot encore frais ne vous sau­tera pas à l’œil, agres­si­ve­ment, dans toute sa crudité.

Combien de temps ? 2–3 semaines, peut-être ; quelques mois. J’ai dit « estom­per », pas « lais­ser le truc tel­le­ment se rouiller qu’il part en miettes tout seul »…

Laissez tié­dir pour être, ensuite, plus objectif.

La relec­ture est un plat qui se mange froid.

(+) « Il y a un truc qui me gêne à la scène 12 »

Et voilà que nous entrons dans les atti­tudes béné­fiques. Vous voyez toute la dif­fé­rence avec « Y a rien à sauver » ?

Ici, vous êtes devenu capable de loca­li­ser pré­ci­sé­ment le point qui démange. Vous avez rem­placé le déses­poir par de la gêne. Vous avez suf­fi­sam­ment entraîné votre « muscle à écrire » pour obser­ver objec­ti­ve­ment vos productions.

Avec plus d’en­traî­ne­ment (et le temps de décan­ta­tion dont je parle juste avant), vous arri­ve­rez à esti­mer, à qua­li­fier chaque par­tie du pro­jet achevé : « La pre­mière par­tie ça va, la deuxième va trop vite ; je n’ai pas tenu mon style dans le der­nier tiers… »

(+) « Mon pire moment pendant la rédaction, ça a été la mort de Priscilla »

Un bon com­plé­ment de l’at­ti­tude pré­cé­dente : vous arri­vez à vous sou­ve­nir des moments d’é­cri­ture les plus laborieux.

La gêne, l’en­nui sont sou­vent pro­vo­quée par des motifs cachés ; il faut plon­ger en vous-même, hon­nê­te­ment, pour arri­ver à for­mu­ler les vrais motifs. En ce qui me concerne, cette impres­sion m’ar­rive quand je suis parti à côté de ce que je vou­lais vrai­ment faire, quand ma scène démarre mal, se clô­ture mal, quand j’ai sans le savoir copié de trop près un modèle exté­rieur, quand je me suis copié moi-même, quand mon per­son­nage sort sans rai­son de son pro­fil psy­cho­lo­gique, quand ma scène porte des idées poli­tiques, phi­lo­so­phiques que je ne sou­haite pas…

Bref, sachez être cri­tique, pourvu que vous sachiez cibler vos points de gêne. Et sachez, sur­tout, élu­ci­der la gêne. Une fois que vous sau­rez le faire, la réécri­ture devien­dra pour vous ce qu’elle dit être : une simple opé­ra­tion technique.


Maintenant, c’est ton tour, tem­pé­tueux inter­naute : quel est ton record de réécri­ture sur un même para­graphe qui n’a­vait rien demandé à per­sonne ? Tu ne crois pas que tu pousses un peu ?

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