Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Définition du « labo d’auteurs »
- Principes de bon fonctionnement
- Les bénéfices que j’en retire
Se retrouver entre auteurs amis, parler de sa pratique, s’entre-lire des textes, se donner des conseils, se signaler les faiblesses… Une pratique bohème qui méritait de reprendre vie. Voici comment j’ai créé, avec des amis, un « labo d’auteurs ».
Quand j’étais étudiant en lettres, j’écrivais. Et quand je rencontrais mes camarades étudiants dans un bistrot, je rêvais que je dégainais mes textes, eux les leurs, et qu’on se récitait notre prose en nous critiquant joyeusement. A la place, on parlait des profs absents, voire, si on était en veine d’inspiration, du post-constructivisme dans le néo structuralisme de Roland Barthes (Simpson).
Et puis je suis devenu une grande personne majeure et vaccinée, capitaine de son âme. Et ce côté « critiques de textes entre collègues » me manquait toujours autant. Alors, j’ai décidé de mettre la chose sur pied.
Quoi ?
Notre « labo » a commencé ses activités il y a un peu plus d’une année. Nous nous sommes réunis, depuis une dizaine de fois. Nous avons examiné toutes sortes de sujets ; pour certains, nous les connaissons presque aussi bien que leur auteur. Au fil des séances, nous avons dit et entendu mille fois des phrases du type « Pourquoi tu n’essaierais pas comme ça ? » « Je n’ai pas compris pourquoi… » « Tiens ça me rappelle… » « Tu as déjà réfléchi à la suite ? » et la plus belle de toutes : « Mais oui, bien sûr, t’as raison ! Comment je n’y ai pas pensé tout seul ? »
Nous sommes un groupe de quatre auteurs venus de quatre horizons différents. Nous n’écrivons pas du tout les mêmes choses, nous ne publions pas aux mêmes endroits. Nous n’avons à peu près aucune chance d’écrire un jour le même type de texte que le copain. Et pourtant, aucun de nous ne lâche le morceau. Nous ne ratons jamais un rendez-vous, malgré l’éloignement géographique. Nous avons un mal fou à arrêter les discussions. Et nous repartons chacun (et c’est là, peut-être, le plus grand bénéfice), nous repartons avec une gigantesque envie d’écrire !
Comment ?
Pour que ce labo fonctionne, nous avons dû lui donner une certaine forme. Nous avons dû éviter plusieurs écueils. Voici ses caractéristiques principales.
Variété
Nous sommes 4. Nous pourrions être 5 ou 6, mais le format horaire qui nous convient (de 18h30 à 21h30, un soir de semaine) n’est pas extensible. Plus le groupe est grand, moins chacun a de temps de parole. Et comme en plus (voir plus bas) nous nous forçons à préparer le travail pour chaque camarade…
Concernant l’origine et les spécialités des camarades, nous avions le choix : chercher des collègues qui écrivaient dans les mêmes genres que nous, ou au contraire totalement hétérogènes.
Nous avons préféré la deuxième solution : imaginons que j’écrive des histoires de vampires. Si mes 3 autres camarades écrivent sur les vampires, ils ne verront pas certains problèmes non-vampiresques que mon projet peut présenter. Par ailleurs, les suggestions qu’ils me feront proviendront soit de leurs propres histoires de vampires, soit des auteurs que nous admirons en commun. Bref, nous allons vite tourner en boucle.
Dans notre labo, nous avons un auteur de polars à enquêtes, débordant sur le roman historique, avec des connaissances littéraires encyclopédiques et une capacité de construction logique digne de Sherlock ; une auteur de nouvelles et romans de littérature « blanche », qui écrit principalement des récits psychologiques, avec une grande attention au style ; un écrivain de théâtre, d’essais politiques, avec une grande finesse sur l’observation de la société et des lambda qui la composent ; et moi-même, plutôt tourné vers les littératures de l’imaginaire, les histoires à coups de théâtre et à grand spectacle…
Des esthétiques, des solutions bien différentes pour chacun ; des passerelles inattendues entre nous, aussi ; et surtout, à chaque projet, trois regards neufs, inattendus, des idées formidables.
Moment de travail
Je l’expliquais un jour à une autre amie auteur qui hésitait à fonder un labo comme le nôtre. Elle objectait qu’elle passait déjà beaucoup de temps le soir en loisirs et mondanités : « Ce ne sont pas des loisirs, ce sont des séances de travail. Le temps passé en labo est pris sur le budget d’heures de travail d’écrivain. »
Je précise que notre labo regroupe des auteurs de la même « force » : nous avons tous de nombreuses années d’écriture derrière nous, nous avons tous publié plusieurs ouvrages. Il serait frustrant pour tout le monde de compter parmi nous un auteur débutant, tout comme une bête à concours… Je pense que la forme « labo d’auteurs » est accessible à chacun, quel que soit son degré d’avancement, mais en essayant de réunir des collègues au même stade d’écriture.
Papotage ?
Le temps du labo est considéré comme du temps de travail, mais l’envie d’échanger sur des futilités est inévitable. Nous nous voyons toutes les 6 semaines. Nous avons notre actualité, des livres à offrir aux copains, parfois ; il y a la vie littéraire de la région, les grands sujets nationaux qui concernent les auteurs… Et, bien sûr, la marche du monde.
Nous le savons, les premières minutes de la rencontre ne seront pas du travail. Nous prévoyons le temps de papotage, le plus urgent, avant de « passer aux choses sérieuses »…
Régularité et assiduité
Nous avons cherché le meilleur intervalle entre les séances, qui nous laisserait le temps de « digérer » les remarques de la séance précédente, et d’avoir du nouveau à proposer à la suivante. Un intervalle qui ne soit pas trop éloigné non plus : quel que soit leur contenu, plus les rencontres sont éloignées, plus on oublie qu’elles nous sont utiles et agréables ; et moins on a envie d’être assidu.
Nous sommes arrivés à un intervalle de 6 semaines, qui semble un bon compromis entre toutes ces contraintes.
Lors de nos labos, nous sommes trois fois le public qui critique, et une fois l’auteur qui présente. Nous sommes, inévitablement, liés par de multiples liens. Si l’un d’entre nous a un imprévu, nous préférons déplacer la séance. Il nous faut la critique des 3 autres mousquetaires !
Préparation
Le temps de discussion en commun est précieux. Nous devons donc le débarrasser de tout ce que nous pouvons faire tout seul, dans la tranquillité de nos propres vies. Pour cette raison, nous nous obligeons à envoyer à l’avance aux collègues notre « sujet » de labo. Nous nous obligeons à les lire avant la rencontre et à réfléchir d’avance à nos points de critique.
Pour que ce pré-travail ne soit pas non plus un crève-cœur, nous nous limitons à un document qui tient plus ou moins sur deux pages A4.
Je dois aussi préciser une chose qui n’est peut-être pas claire : ces labos ne sont PAS des ateliers d’écriture. Nous ne nous rencontrons pas pour créer du nouveau en direct. Nous venons avec nos projets en cours, ceux qui s’enracinent au plus profond de nos envies. Nous ne venons pas nous exercer, nous ne venons pas nous divertir : nous mettons en critique ce que nous espérons profondément, un jour, publier.
Équité
Celui dont le sujet passe en dernier se retrouve parfois lésé, si ses petits camarades ont passé trop de temps sur les autres sujets.
Nous avons pris l’habitude de varier absolument l’ordre de passage d’un labo à l’autre. Et en cas de flottement, quelqu’un apporte un dé à quatre faces…
Utilité
C’est le critère le plus simple et le plus compliqué.
Lorsque j’essaie de « convertir » mes camarades écrivains au principe du labo, je les vois souvent se refermer comme des huîtres. Ils pensent aussitôt ingérence, critique vache, fragilité…
Nous qui ne nous connaissions pas forcément très bien, il faut croire que le destin a bien opéré en nous réunissant tous les quatre : après une dizaines de labos, aucun de nous n’a étranglé les autres, et nous prenons toujours aussi joyeusement le chemin du labo.
Plus sérieusement, avec ces labos, nous sommes tous dans le « même bateau ». Nous sommes à tour de rôle le conseillé et le « conseilleur ». Nous avons tous publié, nous avons eu de la bonne et de la mauvaise presse. Nous avons tous une longue expérience de retours de lectures plus ou moins bienveillants, plus ou moins exploitables ; bref, nous savons tous les quatre ce qu’il nous faut ; et nous essayons, inconsciemment, d’apporter la même chose à nos trois camarades…
Et vous ?
Voilà où nous en sommes avec notre « labo ».
Si vous êtes au début de votre aventure d’auteur, vous ne voyez peut-être pas l’utilité de ce genre d’expérience. Peut-être croyez-vous que c’est la voix des muses qui nous parle, que chaque mot que vous écrivez est béni et que la critique est une invention crypto-fasciste des reptiliens de l’espace…
Mais si vous avez de la « bouteille », vous ne pouvez pas ne pas voir l’intérêt de se réunir en labo.
Dans ce cas-là, j’espère que cette petite présentation vous aidera à construire le votre et, surtout, à vous lancer.
Et puis, peut-être que vous avez déjà le même genre de pratique ? Raconte-moi, chatoyant internaute, je suis très attentif à ce genre d’expériences.
Moi ça m’intéresserait beaucoup, mais je ne connais personne qui écrive de manière assidue dans ma ville, et pourtant il y en a sans doute ! Comment les rencontrer ? Je croise plutôt des gens qui écrivent juste pour eux, pour se détendre, et qui ne cherchent pas à améliorer leurs textes.
Je vous renvoie à mon commentaire plus haut : cherchez une association d’auteurs (même un peu plus loin que dans votre ville).
Excellente initiative et excellente idée. Avoir un petit groupe d’auteurs aguerris dans lequel partager régulièrement ses idées et l’avancée de son écriture doit être effectivement très utile et très constructif. Par contre, comment faire pour trouver des partenaires à peu près de même niveau, motivés et assidus ? Avez-vous une idée ?
En ce qui me concerne, c’est devenu possible lorsque j’ai adhéré à une association d’auteurs. Après quelques années de vie associative, je connaissais un peu ceux qui pouvaient avoir la même envie que moi, et avec qui je pouvais travailler de manière équilibrée.