Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- que j’entends par « lecteur imaginaire »
- Lequel invoquer à quel moment
On n’écrit jamais pour soi ; il y a toujours au moins un lecteur, fantasmé, qui vous sert d’auditoire. Tenter de l’identifier, c’est améliorer sa pratique…
J’ai lu il y a quelque temps un très beau message sur un de mes articles. Cette adorable lectrice écrivait notamment :
quand vient le moment de relire et corriger, le jugement intervient et avec lui les doutes inhibants ; la paresse n’est finalement (du moins chez moi) qu’une excuse de surface face à la peur de ne pas être à la hauteur de la vision du roman que je porte en moi… J’ai remarqué d’ailleurs que ce n’est pas en essayant de me forcer à travailler que j’y arrive mais en travaillant sur ma confiance en moi et en essayer de ne pas me mettre trop la pression…
Ce qui m’a conduit, dans ma réponse, à cerner un élément original de la psychologie des auteurs : le lecteur imaginaire.
« Mais quoi-t-est-ce ? », me direz-vous. Et je vous répondrai au paragraphe suivant, sans trop m’appesantir sur vos approximations de style…
Qu’est-ce que le « lecteur imaginaire » ?
Il me semble qu’au moment même où on écrit, on convoque le fantôme d’un lecteur ; ou bien d’un auditeur à qui l’on conterait le texte ; bref, un interlocuteur. J’ai souvent fait le test, vous l’avez peut-être fait aussi ; en ce qui me concerne, pas d’écriture sans destinataire, même invisible, même diffus, même discret, voire même imaginaire.
Impossible de s’en passer : il y a toujours cet autre qui regarde par-dessus votre épaule en silence ; il fait toujours partie de l’acte d’écriture. Écrire sans lui, c’est comme le jaune sans le blanc, comme la mer sans les vagues, comme les vagues sans l’écume… J’arrête là, vous connaissez la suite.
Évidemment, à la relecture, le lecteur imaginaire revient rôder dans les parages. La relecture, ce moment où le changement de point de vue est essentiel, réclame une telle présence fantomatique. Si vous réussissez suffisamment votre invocation, vous n’aurez même plus besoin de votre confiance en vous : la relecture deviendra un dialogue entre cet « autre » et votre texte.
Qui est cet autre ? Justement, c’est là que se trouve le gag : ce n’est jamais la même personne. A l’instar d’un BHL perdu dans la foule de ses « moi », vos lecteurs imaginaires ont des positions distinctes et se relaient en cours d’écriture. Vous constaterez, à l’usage, qu’il est relativement facile de les identifier, voire de passer de l’un à l’autre en fonction des enjeux immédiats…
Votre équipe de lecteurs fantômes
Pour moi, j’ai identifié 5 grands types ou familles de ghost readers :
Le proche
Utile dans les moments où l’on parle d’intimité, de la sphère privée, le proche-fantôme, selon la personne réelle qu’il représente, peut vous apporter un point de vue critique ou, au contraire, chaleureux et positif. Attention toutefois à ne pas l’invoquer trop souvent : en termes d’écriture, l’affection est mauvaise conseillère…
La personne qui compte le plus
Je la distingue du « proche » mais chacun voit midi à sa porte… Je pense plutôt ici au conjoint/à la conjointe, compagnon/compagne, ami(e), cop’s-pour-la-vie-qu’on-se-dit-tout-pour-toujours…
Vous voyez l’idée ? Il s’agit de cette personne avec laquelle vous partagez éventuellement vos nuits et vos cheveux dans le lavabo, mais surtout vos pensées, vos révoltes, vos faiblesses, vos passions, vos doutes, vos colères, vos espoirs, vos rêves, vos délires… Cette personne à laquelle vous voulez offrir le meilleur ; à laquelle vous voulez donner, dans vos mains réunies en coupe, de la beauté ; les instants les plus réussis que vous puissiez fabriquer.
Quand convoquer ce fantôme ? Quand s’approche-t-il de lui-même ? Dans les moments, je pense, où l’on écrit de la poésie, où l’on se plonge dans la description, difficile entre toutes, du sentiment.
Soi-même
Eh oui, sans être des narcissiques pathologiques, il nous arrive de nous tendre un miroir à nous-même, de nous regarder en train de vivre, de nous juger, et même, parfois, de nous apprécier.
Ce « soi-même » que l’on prend pour lecteur, ce sera, essentiellement, le soi plus jeune, de quelques mois ou de quelques années. Celui qui rêvait d’écrire la scène en cours mais n’osait pas, ne savait pas comment se lancer ; celui qui rêvait d’écrire ; celui qui rêvait d’être.
Vous prendre comme lecteur imaginaire vous permet de mesurer le chemin parcouru, de valider vos choix actuels par rapport à vos anciennes intentions, toujours forcément pures et vastes. Ce fantôme-là, il vient nous hanter à la reprise du travail après une longue pause, au début de l’écriture, de la relecture, ou au début du travail sur une scène-clé ; c’est l’esprit des débuts et des achèvements…
L’adversaire
Nous en avons tous. Si nous avons déjà publié, ce sera cet être baveux, pustuleux, nauséabond, mal fagoté et bossu, qui a osé un jour écrire dans un article « Ce livre est intéressant mais… » Bref, le critique.
Ce peut aussi être un ami, ou un proche qui ne mâche pas ses mots. Ou un conseiller littéraire stipendié. Bref, quelqu’un de sévère et dont vous respectez le jugement. Les critiques qu’il vous a déjà faites, sur des travaux plus anciens, vous ont marqué au fer rouge. Vous l’entendez encore « Si tu veux dire qu’il fait froid, n’écris pas « il faisait froid », mais montre ton personnage qui relève le col de son manteau… »
De tous ces personnages fantomatiques, c’est lui, sans doute, qui vous viendra en aide le plus souvent ; il s’invitera de lui-même dans les moments les plus ronronnants de votre histoire, dans les passages qui vous semblent « acquis ». Il sera cette mouche qui vous tourne autour et vous rappelle d’avancer, de surveiller la route, de bien lever les pattes pour ne pas trébucher.
Le pro
Pour écrire un texte destiné à des éditeurs, rien de tel que de penser à un destinataire… éditeur.
Vous avez peut-être la chance d’avoir, dans vos relations, des éditeurs de livres ; je veux dire, des éditeurs que vous ne harcelez pas pour vous publier, avec lesquels vous êtes simplement content de prendre un pot de temps en temps… Si ce n’est pas le cas, je vous conseille de toute façon de vous rapprocher du monde de l’édition. Connaître le milieu, ses codes, ses pratiques, ne pourra que vous aider à proposer, le moment venu, le bon texte à la bonne personne.
L’éditeur fantôme sera plus ou moins, dans votre travail d’écrivain, la voix du bon sens. Il est celui qui représente tous les autres, les lecteurs, avec en plus la capacité à formuler les points d’amélioration. C’est lui qui vous fera rosir d’embarras, à la relecture de cette scène où un sous-marin est caché dans un cargo et se retourne sur lui-même avant de ressortir dans une grande explosion, tandis que le héros s’enfuit suspendu à une échelle de corde accrochée à un hélicoptère et que…
Hum. Voilà, vous avez l’idée : le lecteur-éditeur-fantôme intervient en fin de travail, lorsque vous êtes déjà relativement sûr de votre texte et de son intérêt. Il vous montre du doigt, en silence, les passages ridicules, incohérents, tout ce que vous avez soigneusement balayé sous le tapis. A la différence de l’adversaire, il sait aussi proposer : c’est votre copilote, votre futur relais dans le parcours du manuscrit ; la cristallisation, oui, de tout votre bon sens.
Voilà, mon flamboyant internaute, la petite troupe de mes fantômes. Et toi ? Quels sont les tiens ? En as-tu d’autres ?
Oui, moi j’ai un autre prototype. C’est l’écrivain dont j’ai tant aimé la prose ou la poésie, qui m’a définitivement enthousiasmée et inspirée. L’écriture, ça ne tombe pas du plafond. Comme toute auteure, je suis une lectrice invétérée. Du coup, il m’arrive assez fréquemment de me souffler des trucs du genre « Ca ne ferait pas rire machin » ou « bidule trouverait ça nul ». Selon les scènes et les ambiances, je convoque Jarry, Prévert, Vian, Quenaud, Borges, Harrison, Spinrad, K.Dick, Mailer, Faulkner, Dard, Westlake, Maalouf, Easton Ellis, Boyd, Genet, Villa-Matas, Barjavel, Garcia-Marquez… Ca n’est pas prémédité. Je suis en train d’écrire et je rame. Pis d’un coup, là, comme ça, y’en a un qui se pointe, me balance une torgnole et calte, dégoûté. Je pose, je bois un café et je reprends. Et ça va mieux. Bon, j’ai pas cité tout le monde, mon Panthéon perso, tout ton blog n’y suffirait pas.
C’est vrai ma foi, les dieux se glissent parfois parmi mes lecteurs imaginaires, à moi aussi.
L’écriture est un art vaudou.
Le lien « Bref, le critique » ne fonctionne pas.
Merci ! Hélas, je n’ai plus la main une fois ma newsletter lâchée dans le vaste monde…
Moi, je passais par-là et c’est juste un coucou.….
Merci de la visite ! Il y a toujours un thé glacé au frais 😉
Une très belle idée, brillamment expliquée.
Merci, vos articles sont de belle tenue eux aussi !
Mon lecteur imaginaire ? Je dis de lui qu’il est omniprésent. Tant qu’il n’est pas perché sur mon épaule, tel un vautour, je n’écris rien. Il incarne celui qui sait ce que je désire obtenir, par le truchement des mots. Je n’écris ni pour un lectorat ni pour un éditeur. C’est sans doute malheureux pour les ventes, mais mon lecteur fantôme, lui, il sait, lorsque la phrase est bonne, le ton juste, l’idée affûtée. Grâce à lui, malgré l’univers de doutes qui entoure mon activité d’auteur, je n’en ai aucun sur mes intentions.
Merci pour votre action,
Paul
Un plaisir ! Merci pour votre témoignage !