Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Fonctions de la critique
- Le rôle du critique
- Comment recevoir la critique
- Comment solliciter la critique
« Les critiques sont méchants » : soit on en reste là, et on continue à vivre dans un monde sans obstacles, sans adversité ; soit on regarde la critique dans les yeux et on se demande un peu plus sérieusement ce qu’elle nous veut vraiment.
Et pourquoi ne seraient-ils pas méchants ? La question est tellement riche, tellement centrale, pour moi, que j’ai eu beaucoup de mal à choisir mon angle d’attaque.
La critique est indissociable de la fiction. Passer un livre à un proche, avec une chaude recommandation soufflée au creux de l’oreille, c’est de la critique. Sortir de la salle de cinéma avec une moue moyennement enthousiaste, c’est de la critique.
D’autre part, si l’on se mêle d’écrire, on se retrouve aussi, tôt ou tard, en position de critiqué. Cela a été et est toujours mon cas : je rends des avis de lecture pour des éditeurs, je commente des manuscrits d’auteurs, je publie de temps en temps des notes de lecture, donc je critique. Je publie, donc je suis critiqué.
Or, dans les milieux plus ou moins proches de la sphère littéraire, la position du critique rencontre, au fil des années, de plus en plus de… critiques. L’essentiel se cristallise autour de cette petite phrase que j’ai prise comme titre : « Les critiques sont méchants » (ou frustrés, ou mal baisés, ou jaloux… Je reviendrai plus loin sur ces accusations).
J’ai, vous l’avez compris, un avis plus nuancé, mais j’ai rarement l’occasion de le développer ; dans la cacophonie d’une discussion de bistrot ou sur Facebook, le plus gentil s’en tire toujours mieux, le plus radical passe pour un immonde bonhomme. De votre côté, vous avez peut-être une opinion bien tranchée, ou vous vous demandez que penser de tout cela. Je vais donc développer mon point de vue, en essayant de n’oublier aucun aspect : comment la critique se consomme aujourd’hui, comment être heureux dans la position de critique, que penser de la parole des critiques littéraires et, peut-être, comment « apprivoiser » un critique ?
Bien sûr, dans les lignes qui suivent, on parlera surtout de critique négative ; les louanges ne posent de problème à personne, je pense.
Or donc, taïaut, mes preux : sus aux critiques !
Qui consomme de la critique ?
« les critiques, ça sert à rien ; moi, je choisis mes lectures tout seul. » Évidemment, si on se représente la critique littéraire sous les traits de Sainte-Beuve, on peut s’estimer isolé des conseils de lecture… Mais êtes vous si sûr d’avoir un esprit totalement étanche aux avis extérieurs ?
La figure du critique professionnel, installé, qui lit chaque jour, sort chaque soir, et écrit chaque nuit, qui signe des papiers pleins d’ironie sous des pseudonymes subtils et, de temps en temps, meurt en duel contre un auteur vexé, cette figure-là n’existe plus vraiment. Les critiques littéraires les plus connus ne sont plus exclusifs ; ils sont aussi éditeurs, journalistes, polémistes, animateurs télé…
On se demande même parfois qui lit encore le Magazine littéraire, et ses dizaines de pages de magnifiques recensions, ou qui regarde vraiment les grandes émissions sur les livres.
Mais surtout, comme je le laissais entendre plus haut, la critique littéraire a débordé du cadre convenu ; elle se retrouve partout, dans des lieux où on ne la remarque même plus pour ce qu’elle est ; car plus personne ne souhaite se coller sur le front ce post-it infamant : « critique ».
Les commentaires Babelio, c’est de la critique. Les booktubeuses, c’est de la critique. Les fiches de la librairie Quai des Brumes à Strasbourg, glissées dans les livres… critique ! Les avis de simples lecteurs sur les forums de littérature de genre, sur les forums d’écriture ? Critiiiiique ! Les bandeaux rouges avec des formules-choc ? Bah oui.
La critique est partout ; chacun se forme une opinion, chacun veut la formuler (avec plus ou moins de talent) et la partager. Faire du bien aux auteurs, aux livres que l’on a aimés ; lutter contre la visibilité des livres que l’on estime mauvais, tout cela est devenu l’affaire de tous. Et dans ce grand mouvement d’opinion et d’humeur, on se retrouve parfois face à face ; flingue littéraire en pogne…
Cette guerre-là peut vous sembler trop cruelle, et vaine. Pour moi, c’est la seule valable, la seule digne ; il est mille fois plus honorable de s’écharper à coups de mots qu’à coups de lacrymo ou de canons Caesar… C’est bien plus beau parce que c’est inutile et, peu ou prou, inoffensif.
Puisque notre société cherche la guerre, puisque nous aimons la bagarre, la critique est notre exutoire. Voilà pourquoi, même si le temps est révolu des longs articles vindicatifs dans le Mercure de France, la critique vit toujours. Voilà pourquoi on continue à donner notre avis sur nos consommations culturelles, et pourquoi ce n’est pas près de s’éteindre. Voilà pourquoi, aussi, on reste toujours attentif à l’opinion ambiante…
Les 3 postures du critique
Or donc, nous avons établi que la critique est un mal nécessaire, un exutoire, peut-être, un carburant pour notre société de barbares qui aiment toujours autant se malaxer la truffe. Nous avons esquissé à grands traits la demande. Mais qu’en est-il de l’offre critique ? Quels sont les rôles que se donnent eux-mêmes les critiques ?
Ne dire que du bien
Je rédigeais parfois des recensions pour un site littéraire. Celui-ci voulait rendre compte de tout ce qui se publiait en littératures de l’imaginaire. Le dirigeant recevait (et renvoyait à ses rédacteurs) d’innombrables services de presse, qu’il s’agisse des grosses parutions du moment ou de romans confidentiels, parfois à compte d’auteur, parfois fabriqués en tout petit tirage.
J’ai trouvé, à cette époque, des choses incroyables dans ma boîte aux lettres ; je me souviens encore de ce roman auto-édité de science-fiction : un jeune fermier d’une planète désertique partait avec un vieux mystique combattre un pouvoir totalitaire, incarné par un homme-machine tout de noir vêtu…
J’ai rendu un avis strict (et argumenté). L’auteur du livre en question a fait un foin de tous les diables. Le patron du site m’a envoyé des messages embarrassés, puis plus fermes : le but de nos pages n’était pas de « démolir » un livre (et de se fâcher avec un auteur) ; si je n’avais pas apprécié ma lecture, il aurait mieux valu que je garde le silence. En gros, on me laissait libre, mais on m’encourageait à m’autocensurer… Et on ne m’a plus jamais envoyé de SP.
Trop spécifique, me direz-vous ? Il s’agissait d’un site bénévole, qui dépendait de la bonne volonté des auteurs et des critiques ? J’ai lu un jour le même genre de posture dans le prestigieux, et très professionnel, Magazine littéraire. A l’occasion d’un changement d’équipe et de ligne éditoriale, la rédaction glissait, à l’ouverture du cahier d’actu, que la place manquait pour critiquer tous les livres (ben voyons), qu’il ne servait jamais à rien de critiquer en mal un ouvrage, et que dorénavant, les seules recensions qui passeraient seraient les recensions positives.
Une position d’une totale débilité : il est au contraire très utile de critiquer un texte en mal, et ceci, notamment, pour légitimer les articles positifs dans les mêmes pages…
Et que l’on ne me reproche pas ma naïveté : oui, quand on dirige une revue littéraire, de bas calculs nous incitent à ne nous fâcher avec personne. Mais construire une parole, une réputation d’intransigeance fixe les regards sur vous. En termes de réputation (donc de ventes), avoir une image d’intransigeance, c’est aussi du calcul, tout aussi pragmatique, mais plus payant à long terme…
Le magazine qui ne dit que du bien des publications, vous le remarquez à peine. Celui qui est sévère, vous guettez ses avis.
Pour finir sur ce point, je voudrais citer les superbes pages de Pierre Jourde dans la Littérature sans estomac. Si vous ne connaissez pas ce livre, courez en trouver un. C’est tout l’ouvrage qu’il faudrait citer, il m’a fallu choisir ; voici :
L’idée même de polémique suscite une profonde résistance chez beaucoup de gens. Celui qui s’y livre est toujours soupçonné de céder à l’envie. La jalousie serait un peu la maladie professionnelle du critique. Elle constitue en tout cas un argument commode pour éviter de répondre sur le fond à ces jugements, à la manière de ces dictatures toujours prêtes à accuser ceux qui critiquent le régime de complot contre la patrie.
Plus sérieusement, on estime en général qu’une critique négative est du temps perdu. Il conviendrait de ne parler que des textes qui en valent la peine. Cette idée, indéfiniment ressassée, tout en donnant bonne conscience, masque souvent deux comportements : soit, tout bonnement, l’ordinaire lâcheté d’un monde intellectuel où l’on préfère éviter les ennuis, où l’on ne prend de risques que si l’on en attend un quelconque bénéfice, où dire du bien peut rapporter beaucoup, et dire du mal, guère ; soit le refus de toute attaque portée à une œuvre littéraire, comme si, quelle que soit sa qualité, elle était à protéger en tant qu’objet culturel ; le fait qu’on ne puisse pas toucher à un livre illustre la pensée gélatineuse contemporaine : tout est sympathique. Le consentement mou se substitue à la passion. Ne parler que des bonnes choses ? Cela ressemble à une attitude noble, généreuse, raisonnable. Mais quelle crédibilité, quelle valeur peut avoir une critique qui se confond avec un dithyrambe universel ? Si tout est positif, plus rien ne l’est.
Il y a une autre hypothèse, que Jourde n’a pas vraiment envisagée : la lâcheté. Notre époque manque de courage. Celui qui critique est instinctivement écarté comme « crachant dans la soupe ». Il n’y a pas grand chose à gagner à émettre la critique d’une œuvre, pas de considération à rafler. C’est peut-être pour moi ce qui donne autant de lustre au métier de critique…
La critique comme art littéraire
Parlons un peu d’un cousin de la critique médiatique des nouveautés littéraires : le commentaire critique savant des universitaires.
Lorsque j’étais étudiant en littérature dans les années 90–2000, nos profs étaient les anciens soixante-huitards. Ceux qui avaient balancé les pavés, à présent, nous faisaient la leçon. La plupart avaient bien pris le tournant post-68 ; ils étaient passés de l’imprécation à la curiosité. Ils avaient cultivé la plante fragile de leur esprit critique ; ils étaient devenus, au plein sens, chercheurs.
Et puis quelques-autres étaient restés bloqués aux barricades, à la théorie bien cadrée, bien balancée de leur époque. à la posture romantique. Dans notre discipline, la principale doxa portait le nom de « structuralisme ». Grosso modo, une approche de la littérature qui évacuait totalement l’auteur, le contexte, pour se concentrer sur les formes, les structures.
Et dès le moment où on affirme qu’une œuvre écrite n’est que structure, si la critique elle-même n’est que structure, qu’est-ce qui nous empêche de voir la critique elle-même comme œuvre d’art ? Vous voyez la pirouette ? Le raisonnement est bénéfique sur tous les plans : on déboulonne les statues symboliques de l’auteur, on légitime tous les tripatouillages des semi-créatifs, on condamne toute subjectivité du jugement, on rend donc impossible tout jugement… et on fait du besogneux chercheur en littérature un artiste, un créateur, un égal de l’auteur qui est son sujet d’étude…
Quand on pense qu’il avait été si ardu, à la Renaissance, de désacraliser la glose, et de remettre le texte original au centre de l’édifice littéraire…
Tout cela nous conduit même jusqu’au vertige : si la critique est œuvre d’art au même titre que l’œuvre critiquée, la critique peut elle-même devenir objet de critique, qui sera elle-même œuvre d’art, etc. Bref, l’équivalent intellectuel d’un bédo bien chargé…
Est-ce que je dis que la critique ne peut pas faire œuvre ? Que la critique ne peut être un genre littéraire ?
Bien sûr que si, nous en avons bien des exemples. Mais si elle l’est, c’est par surcroît. Le critique littéraire, pour moi, ne peut pas se voir délibérément en créateur (… tout comme le metteur en scène, autre figure que l’on a hissée sur un piédestal gigantesque après mai 68). Prenons-le dans l’autre sens : si celui qui se voit créateur n’a d’autre moyen d’expression que la critique, il n’a pas bien compris le principe, ni de la création, ni du jugement littéraire. Une époque où la critique, le commentaire, nous tiendrait lieu de nouveauté littéraire, serait bien triste intellectuellement, bien peu ambitieuse…
Rien ne peut se substituer, en potentiel créatif, à la fiction littéraire, tout comme rien ne peut se substituer, en potentiel critique, au commentaire littéraire… L’un ne peut pas remplacer l’autre dans ses fonctions. Vouloir satisfaire une pulsion créative par la production de commentaire, c’est comme, je ne sais pas… vouloir cueillir des fraises avec un radiateur.
Le popotin entre deux chaises
La position de critique peut induire deux grandes peurs. En voulant fuir l’une, on court d’autant plus le risque de tomber dans l’autre. Il s’agit, d’une part, d’être dupe de toutes les impostures ; de l’autre, de louper un météore créatif alors que « tout le monde » l’a remarqué et acclamé. Le critique se sent le cul entre deux chaises : faut-il tout admirer, ou tout dénigrer ?
Certains créateurs se révèlent, à l’usage, des escrocs. Plus leur personne est médiatique, plus leur innovation est répétitive, leur provocation calibrée, plus on peut les soupçonner d’imposture. Tout le monde est déjà tombé dans tellement de panneaux, dans le monde artistique… Le critique, devenu frileux, se donne quelques critères simples, et mord sauvagement tout ce qui n’entre pas dans ces critères…
De l’autre côté, nous voyons de vrais créateurs, de vrais novateurs passer dans le paysage, régulièrement. Parfois encore un peu verts, pas encore dans la plénitude de leur art, il est facile de pointer leurs défauts, et de les disqualifier complètement à cause de ces défauts. Et le critique descend en flamme un débutant doué, un créateur talentueux mais maladroit, et se retrouve bien emmerdé, quelques années plus tard, quand l’artiste en question a mis tout le monde d’accord. La critique préfère donc se pousser, à tout hasard, à apprécier, même quand personne ne comprend rien à l’œuvre, même quand manifestement celle-ci n’avait pas beaucoup d’ambition. Et cela donne des éloges complètement à côté de la plaque. Meilleur exemple : les recensions des magazines à propos de blockbusters écrits avec les pieds des genoux…
Être critique, critique installé, reconnu, exister en tant que parole dans le paysage artistique, demande donc un travail psychologique sur soi-même : il faut évacuer la défiance systématique, la peur d’être dupe ; mais aussi la lâcheté critique, la peur d’être seul. Parfois, on sera dupe, parfois, on sera béotien, mais ce qui compte est de garder intact son appétit critique…
Autocensure versus esprit critique
Voilà donc, me semble-t-il, les trois impératifs qui compliquent l’exercice de la critique : ne dire que du bien ou se taire ; être soi-même artiste ; n’être ni un gogo, ni un grincheux…
Comment le critique peut-il trouver son souffle dans cet étouffant contexte ? Dans un environnement culturel où, bien plus qu’autrefois, par les réseaux sociaux, le consommateur de critique répond violemment au critique, voire est lui-même un critique occasionnel ?
Peut-être en décidant, une bonne fois pour toutes, de… s’en foutre. Le critique apporte une parole, qui ne vaut pas plus que les autres, mais pas moins non plus. Elle a le droit d’être entendue ; elle trouvera des adversaires, quel que soit son argument ; et des soutiens.
Légitimité de la critique
« Mais de quel droit émet-il des critiques ? », me disait un jour un copain à propos de Naulleau, que j’adore… C’était dit très calmement, avec beaucoup de franchise. Ce copain, pas trop consommateur de littérature, se demandait de quel droit on peut s’arroger la place de critique. Pour moi qui suis un peu plus consommateur d’objets littéraires, je ne comprends pas qu’on puisse garder sa critique pour soi ! Donner son avis est la chose la plus légitime du monde. Ce genre de discussion faisait même tout le sel de nos bistrotages étudiants, autour d’une bière que l’on faisait durer…
De quel droit ? Du droit de celui qui va au restaurant et qui fait confiance au cuisinier… Lire un livre est un acte de confiance. Voir sa confiance déçue, voir l’auteur faire n’importe quoi avec ses propres idées, c’est comme trouver un cafard dans la salade. On peut prétendre que c’est cocasse, chercher des excuses au gâte-sauce, mais le cafard, quoi qu’on en dise, c’est pas bon…
L’Odieux Connard (que le Très-Haut lui étale de la crème entre les orteils) a publié un article sur la question, il y a bien longtemps. Il démonte méthodiquement tous les arguments de la posture « ouais mais bon pff il y a des faiblesses mais c’est pas si grave ». Si, c’est grave. Payer une place de ciné, payer le prix d’un livre, perdre deux heures de sa vie ou deux journées, pour un contenu qui n’en vaut pas la peine, c’est grave. Notre temps, notre capacité d’attention, c’est notre bien le plus précieux, puisque nous en avons dès le début une quantité limitée. Si le divertissement n’était pas divertissant, nous avons le droit de râler. De même que nous avons le droit de râler si notre voiture neuve nous envoie dans le décor, ou s’il y a un cafard dans la salade.
Qu’est-ce donc que mes amis criticophobes ne comprennent pas dans le terme « publier » ? Publier, c’est « rendre public », porter à la connaissance du public. dès le moment où votre texte est lu par quelqu’un d’autre que vous, il ne vous appartient plus totalement. Un livre (et je dis bien ici un livre, et non pas un auteur) est un objet public, comme le jeu d’un footballeur, la vie d’une vedette quand elle laisse approcher les paparazzi, comme la dimension publique d’un politicien ; personne ne trouve incongru de critiquer le jeu d’un footballeur ou les décisions d’un homme politique ; on ne devrait pas trouver incongru de critiquer un livre, dès lors qu’il est en vente libre…
Le monde est malade de sa critique : débordées par le « commentary » sauvage de leurs films par des amateurs sur Youtube, les grandes compagnies US font des pieds et des mains pour museler la critique. C’est sûr, à l’époque où les spectateurs ne communiquaient pas entre eux, où la seule voix critique audible était dans Télérama ou les Cahiers du cinéma, les choses étaient plus simples. Les majors, désormais, avec une terrible mauvaise foi, n’hésitent pas à s’appuyer sur la protection intellectuelle pour casser les pattes des critiques. Un robot a détecté dix secondes de notre chanson de générique dans votre critique de 45 minutes ? Votre vidéo est démonétisée, les recettes publicitaires sur votre vidéo à notre compagnie ; difficile dans ce cas de survivre en produisant de la critique Youtube ; Le Nostalgia Critic a trouvé la parade en retournant, avec les moyens du bord, les scènes des films qu’il veut critiquer ; en attendant qu’une loi sur le copyright encore plus bornée débarque, et interdise cela aussi…
Côté « critiqué »
Nous avons bien parlé de la critique du côté de celui qui la produit, et de celui qui la reçoit. Qu’en est-il de celui qui la « cause » ? Où en sont les auteurs avec la critique ? Après tout, c’est la position qui vous concerne le plus, non ?
Je discutais il y a quelques années avec un ami auteur, plutôt « installé », reconnu par un public fidèle, à l’échelle nationale. Il avait, j’imagine, dû encaisser des critiques déplaisantes à certains moments de sa carrière. Pour quelqu’un ayant cent fois fait ses preuves, il gardait une posture étonnante vis à vis des critiques : « Les critiques devraient fermer leur gueule ; seule compte la sanction du public. »
Peut-être ; mais à ce compte-là, le goût du public prendrait une position toute-puissante, vous ne croyez pas ? Seules les superproductions faciles à comprendre, qui en envoient plein les yeux, qui ressassent en boucle les mêmes recettes, arriveraient à surnager ; et personne ne s’intéresserait plus aux œuvres étranges, inattendues, moins faciles d’accès, et… oh wait ! ?
A ce compte-là aussi, pas sûr qu’un seul auteur (même l’ami dont je vous parle) resterait aimé toute sa vie ; « Le grand public, écrivait Schopenhauer, croit qu’il en va des livres comme des œufs, et qu’il faut les consommer frais… »
Cette détestation des critiques, quels qu’ils soient, professionnels ou amateurs, obscurs ou réputés, est extrêmement répandue chez les auteurs. Une détestation si unanime ne vous semble pas suspecte ? Moi, si. Je me demande si la cause du malaise ne se trouve pas aussi dans le cœur des auteurs…
La critique nous atteint dans ce que nous sommes. Elle ne s’adresse qu’à ce que nous faisons, pourtant ; mais dans ce monde littéraire où l’auteur demeure une figure romantique, l’œuvre et l’homme ne font qu’un. Faire remarquer le cafard dans la salade, c’est condamner le cuistot, à la fois comme cuistot, mais aussi comme père, amant, citoyen, être humain… La critique est émise par des gens qui ne nous connaissent pas et ne se soucient pas de notre personne ; et nous devrions la prendre comme un affront personnel ? comme un gant jeté en pleine face ? Elle sanctionne notre travail d’auteur, certes, nous met le nez dans nos âneries, nous encourage à faire mieux, ou à être plus démonstratif la prochaine fois. Elle ne devrait pas, le moins possible, nous déchirer le cœur.
Comment intéresser un critique ?
Mais peut-être aussi que vous kiffez les critiques, ou bien qu’après la lecture de toute ma tartine, vous avez envie de leur donner une nouvelle chance…
Vous pourriez souhaiter, notamment si vous vous auto-éditez, obtenir des critiques ; des critiques publiques, raisonnées, de vos textes. « Faire parler » de son livre, voilà un souhait que partagent tous les auteurs…
Au niveau le plus immédiat, vous pouvez prendre contact avec un booktubeur ou un blogueur (booktubeuse ou blogueuse, le plus souvent). Si vous ciblez bien votre genre, si vous avez un pitch solide, vous devriez déclencher l’intérêt. Les critiques de livres sur le Web ne sont pas toujours très solides, mais savent très bien identifier leurs goûts, et pourront tout à fait trouver deux ou trois points intéressants sur votre texte.
N’oubliez pas, aussi, que vous êtes toujours « de quelque part ». Les journalistes de PQR parlent très volontiers de l’ »enfant du pays », spécialement quand il s’agit d’un artiste, d’un écrivain.
Et s’agissant de critiques avec lesquels vous n’avez, initialement, rien en commun ? Il me semble que l’approche est plus ou moins la même que pour trouver un éditeur. Je vous renvoie à mon principal article sur le sujet… :
A présent, mon pétulant internaute, je te passe la parole : tu as peut-être vécu des expériences, bonnes ou mauvaises, avec des critiques littéraires ; installons-nous au coin du feu, et raconte…
Il s’agit, je crois, d’un problème d’éducation. L’auteur qui pense que son livre est « son bébé » se sent attaqué dans son intégrité. On ne nous apprend pas à « nous séparer », à couper le cordon. Pourtant, tout ne se vaut pas, loin de là.
Et puis il faut un an environ, on s’accorde sur cette moyenne, pour produire un livre digne de ce nom. Autant dire un gros investissement, en terme d’affect, pour un auteur qui fait sincèrement de son mieux.
D’autres écrivent avec les genoux des pieds, c’est entendu, et sont pourtant très fiers de leur progéniture. C’est moi qui l’ai fait. Dans la cour de l’école maternelle, la maîtresse (pardon la professeure des écoles) félicite le marmot. Mais si le marmot décide de reproduire sa création en plein d’exemplaires et de la porter sur la place publique, il ne doit pas s’étonner que nul, hormis peut-être sa maman et son papa, ne mette la main à la poche.
Pour s’y retrouver, la critique est nécessaire. Même si pour ma part, il m’arrive de la lire, je préfère tout de même me faire ma propre opinion, exercer mon esprit critique.
D’accord avec toi ; mais pour moi, lire, écouter de la critique, m’aide à développer cet esprit critique, justement ; car critiquer un critique est aussi un exercice d’esprit critique ; du moins quand on essaie d’aller au-delà du reproche « Faites-en, une oeuvre, vous, d’abord » ! »
Vive la critique, absolument nécessaire ! Pour moi, cela reste un avis personnel, même si le critique possède une culture littéraire avérée. J’écoute régulièrement Le masque et la plume. Les 4 critiques sont parfois d’accord, souvent pas du tout et ça s’écharpe sur tous les tons. Mais c’est intéressant. Chacun parle de son point de vue et le type de la NRF ne partage pas forcément les idées du critique littéraire du Figaro ou des Inrockuptibles, du Elle ou de France Inter. Je ne lis pas les mêmes livres que mon voisin ou ma soeur ou même ma meilleure amie. Et si je n’aime pas une salade, ce n’est pas forcément parce que j’y ai trouvé un cafard (non mais là, le cuistot, je le lui fais manger 😉 !), mais plus sûrement parce que le cuistot l’a assaisonnée à sa façon, que je n’apprécie pas. C’est ainsi que je me trouve parfois à lire un chef-d’oeuvre qui me tombe des mains. Et j’admire les critiques qui avalent toute une rentrée littéraire pendant l’été !
Comparer les critiques entre elles, être l’arbitre de ses propres critiques, c’est un niveau au-dessus, en effet.
Merci pour cet élargissement du discours, Nicole !
il y a eu un pavé dans la mare (mon post du 24/01/21). Une bookinstagrameuse a eu un mail d’une maison d’édition, visiblement ayant pignon sur rue, lui rappelant qu’elle lui a offert en cadeau le livre, alors que ce serait bien qu’elle refasse sa critique. On croit rêver !!!
Drôle de comportement en effet !
Quels sont les termes exacts de la demande ? (sans citer ni la maison, ni le livre, ni l’instagrameuse)
J’ai eu le privilège de recevoir une critique acerbe de la part d’une maison d’édition. Par delà les écrits odieux et cassants sans la moindre petite critique constructive de la part de cette dame, j’ai été étonnée de voir à quel point une personne pouvait mettre tant d’ardeur à détruire une autre personne. Je crois que si je n’avais pas eu le « mental » que j’ai, j’aurais facilement pu me retrouver ivre morte dans le premier bar venu du quartier façon coma éthylique ou pire encore complètement et profondément déstabilisée pour longtemps. J’en suis encore aujourd’hui médusée, presque épatée ! J’espère que cela lui aura au moins fait du bien, à défaut de me faire à moi du mal…(parce que j’ai persévéré, oups !)…
La critique n’a pas à être cruelle, nous sommes bien d’accord. Souhaitons à cette dame de rôtir en enfer, badigeonnée de moutarde.
Bonjour,
Je témoigne ici de mon approche naïve de l’écriture.
À l’origine, j’écris des logiciels. Écrire un roman a été tout d’abord un acte très égocentré : en suis-je capable ? Après, seulement, j’ai découvert les lecteurs, et leurs critiques. Là, je suis passé du récréatif à l’addiction totale. Effectivement, un roman ne nous appartient que partiellement, un lecteur, qu’il m’encense ou me casse la tête, parle de sa rencontre avec mes mots. Vertige.
Le piège de la dépendance s’est donc refermé sur moi, et ce ne sont pas les demandes de SP qui ont arrangé mon cas. La critique justifie à elle seule l’exercice de l’écriture. Sans elle, je serais retourné sagement dans mes lignes de code.
Bravo pour votre travail,
Paul
Donc, vous ne vous faites plus un seul rail de code de temps en temps ? 😉
En tout cas, votre nouvelle addiction est bien envahissante, je vous le promets !
Bonjour Nicolas,
Merci pour cet article. Mon premier roman est en cours de bêta-lecture et, donc, peut-être de re-réécriture… J’avais et j’ai toujours hâte d’être critiqué. Cela voudra dire que j’aurai déjà réussi le saut d’obstacle de la publication. Armé de cette (ces) critique(s) et ayant encore appris, le prochain roman ne devrait pas être mauvais. Avec du recul, certes, l’auteur doit prendre la critique pour ce qu’elle constitue, un outil pour faire encore mieux, non ?
Absolument ! Et en aucun cas une attaque contre le coeur de sa personne.
Le lecteur de critiques prend pour argent comptant ce qu’il lit et n’a plus les sens critique… de la critique.
Bien sûr, c’est une chose que la critique devrait nous apprendre : user de ces armes contre tout texte, y compris contre elle-même.
J’avoue tout de même pour ma part m’intéresser plutôt aux critiques négatives : même quand elles ne me visent pas, elles ont plus à m’apprendre en tant qu’auteur.