Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Déceler vos petites paresses d’écriture
- Y remédier !
Nous avons vu, dans un précédent article (Qualités et défauts d’écrivains : le mégalomaniaque) ce qui guettait les hyperactifs de l’écriture et de la réécriture. Hélas, il existe une autre sorte d’écrivain qui se trouve plutôt à l’opposé du spectre : le fainéant.
Lorsque vous achèverez la rédaction d’un manuscrit, gardez un point à l’esprit : ce n’est que le commencement de votre travail dessus. Gardez les manches retroussées : vous remettrez un jour les mains dans le même cambouis.
Le jeune et le vieil écrivain
En matière d’écriture, rien ne doit vous paraître définitif. Les vieux écrivains ont tellement éprouvé cette règle, qu’ils passent leur temps à retravailler leur matière, à fignoler inlassablement. L’éditeur doit parfois leur retirer la copie des mains pour pouvoir publier leur livre.
Et les jeunes ? J’en ai vu défiler, des débutants, quand je travaillais en maison d’édition. Ils considéraient tous leur travail comme achevé. Les vieux routards, eux, étaient ravis d’entendre mes critiques. Ils se sentaient soulagés de trouver quelqu’un qui aimait leur texte au point de vouloir l’améliorer. Quelqu’un qui partageait un peu de leur difficulté d’écrire. Au contraire, avec les premiers, je devais déployer toutes sortes de précautions pour leur faire revoir leur copie.
Souvent en vain.
Écrivez, réécrivez, qu’y disaient
Pourtant, la réécriture est l’essence même de la pratique littéraire.
Vous voulez publier ? Préparez-vous à des allers-retours par e‑mail, à des entretiens d’une heure au téléphone, à des débats permanents. Préparez-vous à défendre vos choix d’écriture, et à céder le point, lorsque les arguments de votre éditeur sont meilleurs que les vôtres. Préparez-vous à sortir de votre peau d’écrivain, et à juger froidement, côte à côte avec l’éditeur, vos écrits. Préparez-vous, peut-être, à réécrire des pans entiers de votre œuvre.
Et foin de paresse ou de procrastination : « réécrire » ne signifie pas remplacer quelques mots par-ci par-là, votre lecteur s’en fiche ; mais repenser les scènes en profondeur, les dialogues, la composition. Tout, dans le manuscrit, est susceptible de changements : le titre, le début, la fin, le caractère d’un personnage…
Lorsque vous ne tiendrez plus le coup, rappelez-vous une chose : plus l’éditeur vous embête, plus il aime son métier. Meilleur il est, meilleur vous écrirez.
« Retoucher, c’est déchoir »
Vous vous dites peut-être que réécrire, c’est déchoir ? Que ceux qui vous demandent de reprendre votre texte vont l’altérer, le dégrader ? Qu’ils n’y comprennent rien ? Qu’un vrai grand œuvre est parfait dès sa naissance, intouchable, sacré ?
La vision romantique de l’écrivain prête souvent sa voix à la fainéantise. Regardez ces arguments d’un peu plus haut, vous verrez qu’ils reposent sur du vent. Non, il n’existe pas un « état parfait du texte » ; non, le reprendre ne va pas l’altérer. Écrire implique de communiquer. Et la bonne communication doit être efficace. Subordonnez tout le reste, dans votre pratique, à cet objectif : l’efficacité.
La réécriture pour l’efficacité
Lorsqu’on interroge les « écrivants » sur la qualité de leurs écrits, on obtient souvent de très belles réponses : mon texte me plaît « quand je suis content de tous les mots », « quand le brouillon est surchargé de ratures », « quand il y a une cadence qui s’en dégage », « quand je suis à sec d’idées », « quand j’entends le petit claquement du capuchon du stylo qui se referme »… ou l’incontournable « quand je l’ai décidé ainsi. »
Or, le seul critère mesurable, donc le seul critère utile, reste l’efficacité du texte : quand il « marche » en public, quand à la lecture succède le silence (le bon silence, bande de taquins !), quand le lecteur vous réclame la suite…
L’efficacité, vous en aurez besoin quelle que soit votre spécialisation : roman, nouvelle, poésie, essai, théâtre, scénario… Citez-moi un seul genre où le texte peut se permettre de ne pas « fonctionner » ?
J’ai pour ma part changé plusieurs fois de critères, d’objectifs d’écriture. J’ai cherché, moi aussi, le beau, le grand, le bien ficelé, l’œuvre totale, le nouveau etc. Mais rien de tout ceci ne me satisfaisait longtemps. Tout était flanqué par terre au premier bâillement de mon lecteur. Et puis j’ai trouvé ce défi, simple et grand : l’efficacité. Je l’ai adopté. Et j’ai renoncé pour toujours à être content de moi-même !
Voilà certes un critère bien encombrant : à aucun moment, il ne nous donne une idée de la somme de travail qui nous reste à fournir. Ce critère, on ne peut pas le gauchir par de belles valeurs, on ne peut pas s’asseoir dessus avec un peu de jésuitisme. Quand ça ne marche pas, ça ne marche pas.
Il y a de la beauté dans cette quête, il y a de l’idéal. L’efficacité vous semble peut-être terre-à-terre ? Moi, j’y vois l’ascèse de l’écriture.
Vous êtes la personne irremplaçable qui a l’histoire en tête. Cette histoire, vous en êtes responsable. Faites toujours le maximum pour la transmettre à votre lecteur. Si la transmission se bloque, à cause d’une phrase trop compliquée, à cause d’un ridicule dans le texte, vous serez seul responsable.
Vous serez coupable envers votre histoire.
Vous lui avez donné vie, vous avez voulu qu’elle existe. Assumez. Aidez-la à faire son chemin dans la vie… littéraire.
Et toi, malicieux internaute, où en es-tu avec cette question ? Quel est ton propre critère de qualité ?
Ben, je ne vais pas faire avancer le débat des masses, car je suis tout à fait d’accord :
Quel est votre propre critère de qualité ? => quand j’arrive à frissonner à la relecture d’une de mes propres scènes. Quand je suis obligé de relire un passage trois fois pour corriger l’orthographe, car je me laisse chaque fois emporter par le récit et perds ma concentration de correcteur. Quand mes bêta lecteurs me tannent du genre : « Heu… T’as pas la suite du truc que j’ai lu l’aut’ fois là ? » (alors que je ne les ai pas encore honteusement soudoyés).
Est-ce que vous êtes du genre à tout flanquer par terre puis à recommencer ? => Je déteste ça ! Et j’ai longtemps courru entamer un autre texte plutôt que de revenir en arrière. Je ne regrette pas, j’ai beaucoup appris et progressé chaque fois. Mais maintenant… oui, je le fais, car c’est le seul moyen d’avoir un texte « partageable » (à défaut d’être final 😉 )
Par contre, Nikos, lui, vous direz :
« C’est n’importe quoi, moi je fais un premier jet et point final. Relire ? Et puis quoi encore ? Pourquoi pas passer des heures à corriger tant qu’on y est ? »
Un petit truc pour la relecture-correction, que j’ai découvert en maison d’édition : relis à l’envers. Page par page, ou paragraphe par paragraphe, en commençant par la fin. Ta tendance à t’intéresser au récit, à te laisser entraîner, sera nettement réduite.
En ce qui me concerne, je tiens assez de « l’auteur » fainéant. Bien que reprenant sans cesse le plan et le récit du premier roman dont j’ai eu une idée suivie il y a seize ans, j’ai un mal fou à revoir ma copie quand un texte est achevé…mais pas assez bon pour la publication. Autocomplaisance ? Certes, je l’admets volontiers. Au fond, la meilleure façon de procéder au travail de réécriture lorsqu’on se trouve dans ce cas, c’est probablement de laisser décanter. Trois semaines, six mois, un an ou même plus, peu importe, car il arrive un moment où les défauts se révèlent.
Ceci dit, j’ai un petit faible pour l’un de mes écrits honteusement publié à compte d’auteur (si un éditeur vous propose un « contrat participatif », ne vous laissez pas prendre au piège. Il s’agit d’une publication à compte d’auteur qui ne dit pas son nom et mène à un échec prévisible et onéreux).
C’est vrai, je n’ai pas parlé du « temps de décantation », en dessous duquel la réécriture n’est qu’à moitié efficace. Merci à toi Totila.
Et merci de ta franchise ! Mais je suis sûr que tu n’es pas si fainéant que ça…
A la question : Et vous quel est votre propre critère de qualité ?
1. Un style d’écriture qui me soit propre comme un bel outil que j’aurais réussi à forger au cours de mes années de labeur..
2. Faire oublier à mon lecteur qu’il est mal assis, que l’heure de son rv est largement dépassée…
3. Le livre lu et rangé en biblio, donner envie au lecteur de revenir lire une page au hasard…
Est-ce que vous êtes du genre à tout flanquer par terre puis à recommencer ?
1. Oui, et pour preuve 13 fois oui, (nombre de fois où j’ai recommencé mon tout premier roman de A à Z).
2 Tout est toujours à réécrire.
JP
C’est cruel mais ça me plaît ; de mon côté, il m’arrive de résumer le métier d’écrivain à « celui qui fait perdre leur temps aux autres » 🙂
Mais arriver à faire relire ses lecteurs, voilà qui est doublement fortiche !
Un article éclairant et surtout une manière sage d’aborder l’écriture. Un texte est souvent écrit sous l’effet de sentiments très forts et la première relecture peut paraître satisfaisante. Mais, une semaine, un mois plus tard, une fois que les sentiments initiaux ont disparus, la relecture est souvent décevante. C’est alors qu’il faut retravailler le tout efficacement et objectivement. Dans le film « Finding Forrester », le personnage principal explique que le premier jet s’écrit avec le cœur, la réécriture de ce premier jet avec l’esprit. Merci de me remettre sur la voie de la sagesse !
Il est vrai que L’effet « besoin de se relire » s’inscrit dans le temps.
Il faut de la maturation pour voir le besoin de réécrire, et il faut des années de pratique pour admettre que ses écrits sont a priori perfectibles.
hum… simple mais efficace effectivement !
N’est-ce pas ? Je pense que lorsqu’on écrit, il faut séparer les moments « du coeur », où l’on est celui qui écrit, avec tout le sentiment qui va avec, et les moments de froide raison, où l’on est tous les autres : le lecteur, l’éditeur… Là, plus on sera sévère, incorruptible, et mieux ce sera. Le moment où il faut beaucoup “ruser avec soi-même”…
« Quand les lecteurs réclament une suite » : j’avoue que c’est tellement agréable à entendre et à lire ! 🙂
… et relativement rare 😉
Bonjour,
Je me suis retrouvée en partie dans cette description. Et j’ai souri. En effet, je suis une paresseuse tout autant qu’une hyperactive. Ce qui fait que je ne relis pas mes textes avant de les envoyer (j’en ai trop dans la tête), mais j’y suis contrainte par mes éditeurs pour les corrections. Je ne réchigne pas trop sur le sujet et les échanges sont positifs.
Mais oui, il faut clamer qu’écrire n’est pas la seule chose qu’on demande à un auteur : il faut relire, corriger, déplacer la virgule, apprendre la diplomatie, sourire au lecteur, et apprendre la patience. Et tout cela n’est pas inné, loin de là !
Ah, un avis de vétéran !
Merci chère inconnue, j’aime qu’on me donne raison sur ces matières délicates !
C’est vrai que parfois les critiques des bêtas-lecteurs font très mal ! Il faut cependant s’habituer a mettre sa fierté dans sa poche pour travailler son texte (ou le laisser tomber si on considère que c’est une cause perdue).
Pour ma part, j’ai connu
un excellent bêta-lecteur, dont je parle ici
.
Je souhaite à tout le monde de tomber sur quelqu’un comme ça !
Il faut effectivement parfois mettre son orgueil de côté. Je me souviens de ce que m’a un jour dit mon papa concernant l’un des textes que je venais d’écrire : « c’est de la merde ! ». J’étais tellement choquée que je ne voulais plus y toucher. Mais il s’est avéré que même mon plus grand beta testeur était d’accord avec le premier avis. J’ai donc décidé de le réécrire. Et là… une énorme joie 😀 Ils ont tous adoré mon texte !
Je crois qu’il ne faut jamais désespérer quand on écrit quelque chose qui ne plait pas du premier coup. Il y a toujours la possibilité de s’améliorer et de faire adhérer le lecteur à notre monde 🙂
Ton papa a fait quelque chose de courageux…
Je repnsais l’autre jour à à ce bon Eric Naulleau, qui fait une sorte de consensus mou depuis qu’il s’est fait jeter de la télé comme un vieux slip : « Passer à la télé pour casser les gens, c’est pas bien ». Je pense précisément le contraire. Ton témoignage fait plaisir à lire…
J’ai lu quelque part que beaucoup d’écrivains professionnels n’aiment pas écrire… Ce qui les passionne, c’est le travail de fignolage qui s’ensuit. Je suis comme eux. J’aime retravailler mes textes, encore et encore… (trop peut-être) Un peu comme une pierre précieuse brute qu’on façonne, morceau par morceau, pour révéler sa forme finale… Ou alors, on se rend compte que ce n’est qu’un vulgaire cailloux et on le jette !
Aha, Mellumière… Pour ma part, je retravaille aussi beaucoup, mais je le vois plutôt comme une malédiction. J’aimerais tant laisser derrière moi les vieux textes, inventer, aller de l’avant… Mais il y a cette virgule qui… Argh !
Et vous autres ? Comment vivez-vous la « post-production » de vos textes ?
J’ai fait appel à un conseiller littérraire pour une lecture critique de mon premier jet de roman.
Elle trouve l’histoire intéressante et la narration fluide.
Mais que de commentaires sur la suite ! J’étais si fière d’être arrivée jusqu’au bout du manuscrit, que je suis tétanisée par le travail de ré-écriture que ejd ois faire. J’ai l’impression de trahir mon texte, le dénaturer, lui faite perdre son intégrité originelle, son authenticité.
Bref, vous l’aurez compris, mon roman est mon bébé et je ne veux pas qu’on me le change. J’ai un rapport fusionnel, passionnel avec l’écrit.
Je n’arrive pas à tout reprendre en profondeur. Je ne sais pas faire.
Faut-il prendre une nouvelle feuille …blanche et tout recommencer ?
Ou bien faire rougir..de correction (s) celles déjà écrites
Je me retrouve entièrement dans ce défaut de l’écrivain ; : la fainéantise…saupoudrée de la peur de faire ..pire. Que le résultat soins moins bon que la première fois.… !
Merci pour ce brillant article. Tres enrichissant
Yan
Pour vous répondre, ainsi qu’à tous ceux qui se posent la question (même s’il y a déjà des éléments dans ce blog), je prépare un article (en retard !)
Publication demain j’espère. A suivre !
L’article est publié
ici
, mais je vous mets ici un extrait de ma conclusion :
« En attendant, vous qui avez sollicité un conseil et ne savez quoi en faire, je vous conseille le petit exercice suivant : prenez deux-trois pages de votre texte. Ne dites rien à personne. Réécrivez-les, en suivant honnêtement les conseils qu’on vous a donnés. Trois pages, pas plus. Puis comparez, toujours en toute honnêteté, les deux textes. Franchement, cette nouvelle version (qu’elle soit meilleure ou pire que la première), est-elle moins la vôtre que la première ? Ce nouveau texte n’est-il pas pas richement, fondamentalement, lui aussi, le vôtre ? Faites le test ! »
Je viens de commencer le travail de ré-écriture de mon texte et je dois dire que l’appétit vient en mangeant. De fainéante, je suis passée à perfectionniste.
Merci de m’avoir ouvert les yeux
Ah ah ! Je le savais ! Je le savais !
Merci d’avoir fait le test, et merci de le raconter ! Je vous souhaite une belle, une excellente séance de relecture !
Bon, je n’avancerai pas des masses non plus, mais moi je suis une grande fainéante, au départ. Mais perfectionniste aussi. Mon grand-père disait toujours que le meilleur ouvrier était le fainéant car il cherchait l’efficacité du premier coup… En l’occurrence chaque fois que je me relis, chaque fois je corrige, réécris, supprime, développe, vais faire des recherches. Je ne suis donc plus fainéante ni vraiment efficace ma foi.
J’ai eu des lecteurs, qui ne me corrigent pas assez, et il y a un mois enfin quelqu’un qui corrigeait, critiquait ! ouf !! que d’avancées, de réécritures en un mois !
On me dit souvent « non, je ne te lis pas, c’est sur pc, imprime-le ». Mais trois centaines de pages dont je sais qu’elles seront encore modifiées dès que j’y mettrai le nez… je ne les imprime donc pas. Je trouve toujours des détails à rectifier, quelque chose qui me semble inutile, ou lourd, ou incohérent.
J’ai aussi rencontré le même souci de perdre le fil de mes corrections en lisant, et j’y ai pallié en lisant par fractions… Aujourd’hui tel passage qui m’avait semblé un peu ridicule l’autre fois, puis demain un autre plusieurs pages plus loin, ou avant.
Je me suis déjà dit quatre ou cinq fois, « allez, la première partie, tu n’y touches plus, tu imprimes et tu verras ensuite, finis la seconde partie, imprime-la aussi, fais les lire, discute », mais pour l’instant c’est plus fort que moi… 🙁
D’un autre côté, je retrouve toujours le même plaisir à continuer cette histoire commencée il y a déjà quatre ans, que j’abandonne parfois quelques mois pour mieux y revenir, avec enthousiasme. Et comme ma seule prétention était de me faire plaisir en créant un monde isolé de mes soucis quotidiens, eh bien je m’estime heureuse pour l’instant !
Sur ce je retourne à la lecture de vos articles…
Fainéante et perfectionniste, le cocktail est sympathique 😉 Merci de nous rejoindre en tout cas.
Bonjour,
Je suis un peu comme Plume : un grand défaut, le perfectionnisme. Et comme vous le disiez justement, il faut parfois que l’éditeur « arrache » le manuscrit des mains de l’écrivain pour enfin l’obtenir. Evidemment, je n’en suis pas encore là, je n’ai osé envoyer mon premier manuscrit que la semaine dernière.
Mais c’est vrai que c’est parfois source de grand manque de confiance. J’ai commencé mon roman le 1er janvier 2012 (date symbolique ?) et l’ai terminé le 28 février, au prix de manque de sommeil parce qu’il faut bien aller au bureau entre-temps (mais quand on est passionné on s’en fiche), et depuis je n’ai pas cessé de le lire et relire et le corriger, pour finir par rajouter 7 pages cet été. Finalement, de 222 pages, il est passé à 255 pages. Un jour il faut bien se dire « bon, j’arrête là, je l’envoie ». Imprimé, protégé, mis dans l’enveloppe fermée, prêt à partir à la poste le lendemain matin. Et là, en pleine nuit : « zut, il faut que je rajoute cette ligne p.220 et que je change le lourd cela en ça. Le lendemain, je me retrouve à rouvrir les enveloppes, à décoller le scotch de mes pochettes cartonnées protectrices, à réimprimer les pages incriminées (et trois autres qui suivent, parce que forcément, le rajout des lignes a décalé mon chapitre), à revérifier qu’il ne manque pas de mots à cause de ce décalage…
Enfin envoyé, je me dis « bon, là, il faut encore que je change ça ». Tant pis, j’ai fait des dossiers informatiques avec les versions envoyées à tel éditeur, et un dossier avec mon jet final que je change de temps en temps (bon, à ce stade, il ne s’agit plus que d’un mot par-ci par-là). Si par miracle mon manuscrit plaît à un éditeur, il sera toujours temps de le prévenir que attention, il se peut qu’il y ait une phrase ou deux sur les 255 pages qui ont changé depuis l’envoi…
Bref, usant. C’est difficile de couper le cordon d’avec son bébé. La preuve, je n’arrive pas à me mettre à fond dans mon deuxième roman tellement ma tête est pleine du premier.
Mais bizarrement, moi qui n’ai jamais été perfectionniste pendant 35 ans, je viens de découvrir que dans ce domaine, si. Alors je me rassure en me disant que si je suis capable de m’investir à fond pour cette activité, c’est peut-être parce que j’étais faite pour ça, même si le roman n’aboutit jamais à une publication…
Ha ha !!! Énervant, n’est-ce pas ? « Mais bizarrement, moi qui n’ai jamais été perfectionniste pendant 35 ans, je viens de découvrir que dans ce domaine, si. » Je ne sais pas si vous êtes faite pour cela, mais en tout cas vous prenez la chose au sérieux.
Pour le casse-tête des « états » du texte, je vous conseille de ne pas chambouler tous vos envois pour un mot à changer. La décision de l’éditeur ne reposera pas a priori sur un tel détail, de toute façon. Il sera toujours temps, si vous êtes acceptée, de lui signaler que vous avez continué à travailler sur le style.
Mon propre critère de qualité ? C’est quand ce que je lis me fait oublier que je suis à l’origine de ces lignes. Quand j’oublie la forme pour me consacrer au fond. Ce qui rend, il faut l’avouer, mes séances de relectures difficiles.
C’est d’ailleurs un critère qui va devoir évoluer car je suis rarement pleinement satisfaite de ce que j’écris (d’où le fait que pour l’instant, mon pc est le seul support disponible pour lire tout mon fatras).
J’allais répondre non à la seconde question (êtes-vous du genre à tout flanquer par terre et à recommencer), mais force est de reconnaître que c’est faux : je suis bien comme ça. J’évite au maximum de le faire mais je l’ai fait (et le fais encore actuellement) pour mes plus vieux écrits.
De 1) parce qu’au départ, c’était vraiment moche, et surtout parce que 2) je passais d’un récit en épisodes à un roman avec chapitres (allez donc savoir pourquoi j’avais écrit des épisodes au départ… influence télévisuelle, probablement. J’écrivais sans trame, inventer une mini-intrigue de 20 pages c’était plus abordable). Quand le boulot est monstre, je persiste à croire qu’il est plus simple de tout réécrire que de corriger ce qui l’a été.
L’influence de ce qui a été écrit, la logique de l’histoire souffrent de nos corrections, et quand celles que l’on fait sur le fond de l’histoire sont monumentales, il est sûrement préférable de tout reprendre à zéro…
Oui, les raisons de tout reprendre à zéro sont multiples.
Il est parfois bon de chercher quelque chose à conserver d’un état précédent du texte : une idée, une phrase, un mot… Tout ce qui permet de « relancer la machine », et de retrouver le plaisir que l’on a pu avoir à écrire la version devenue obsolète. Est-ce que je vous ai déjà parlé du
frigo littéraire
?
Pour ma part, après un long blocage qui m’empêchait de continuer de rédiger mon roman, je me suis lancé dans une réécriture.
Je m’effraie moi-même : certaines de mes pages sont abominables. Qui plus est, mon intrigue à légèrement évoluée depuis. Je pensais ne pas y arriver, je pensais traîner et me frotter à un exercice des plus désagréable.
Et bien, je me suis gravement trompé ! Et heureusement. Si je n’arrive toujours pas à le continuer de but en blanc, j’avance bien dans cette réécriture et je n’ai qu’une hâte : arriver à l’endroit ou je m’en suis arrêter pour continuer ce projet.
Et si jamais je bloque de nouveau une fois là-bas, je me ferais violence. Je n’ai pas passé quatre ans à élaborer mon scénario pour abandonner que diable !
(PS : je viens de découvrir votre blog et j’en dévore les articles un à un. Moi qui avait certains jours un peu de mal à me rouvrir Word pour ajouter des mots, j’écris tellement depuis peu qu’il m’arrive de relever le nez et de me retrouver en direction de Genève alors que je devais descendre à Lausanne !)
Ah ah, encore un écrivain de train… !
N’oubliez pas que vous pouvez vous organiser comme vous voulez : si un passage est vraiment bloquant, laissez-le de côté et passez à la suite.
Et la raison pour laquelle un passage vous bloque, en général, est que vous n’avez pas envie de l’écrire. Est-il alors vraiment indispensable ?
Bonjour.
Je viens de découvrir votre site alors que j’arpente pour une énième fois internet, à la recherche de conseils d’écriture qui ne soient pas risibles.
J’ai beaucoup ri en me reconnaissant dans ces articles. Je suis fainéante. J’ai une peur panique de la réécriture à partir de ’rien’, même si je m’y plie tout de même de plus en plus. C’est une angoisse dont je ne connais même pas la cause. Et j’ai mis longtemps à recorriger mes textes, c’est-à-dire le temps d’avoir un ordinateur personnel. Le traitement de texte, c’est bien pratique pour retoucher et recommencer.
Mon critère de qualité ? La fluidité. Lorsque j’ai l’impression que les mots coulent naturellement à la lecture et que je m’emporte moi-même, je me sens satisfaite. Je pense que si le critère évolue au fil du temps, c’est parce que l’on mûrit. Je vois l’exigence envers soi-même comme une preuve de maturité.
Je n’ai que dix-neuf ans et une confiance en moi voisine du zéro selon mes proches. Lorsque vous dites que les jeunes écrivains refusent de retravailler, je crois comprendre ce qui les touche. Ils n’ont pas le recul nécessaire, sans doute des angoisses informes comme moi, ils considèrent que leur premier texte est sacré car il représente peut-être leur capacité à achever une histoire longue pour la première fois.
Si on leur explique que non, ils n’en ont pas fini, qu’ils n’en sont qu’au début de leurs efforts sur un texte qu’ils ont couvé pendant des années et consacré un dixième de leur vie pour les plus jeunes, ils se sentent effondrés. Ils n’en voient pas la fin, ils ont peur de ne pas être capable. Alors ils refusent. C’est se voiler la face mais ils en ont BESOIN. La maturité, l’expérience, la sagesse, ils les acquièrent après avoir fait cette première tentative. Le temps n’a plus la même valeur quand ils ont déjà essayé. Je les comprend. Je pense qu’il y a de généreuses chances que j’agisse de même si l’un de mes manuscrits se retrouve sur la table.
D’où le fait que votre jolie formule ’Retoucher, c’est déchoir’ tombe juste tout en n’allant peut-être pas au bout.
Je ne pense pas non plus être un exemple en matière d’écriture. Je travaille la mienne comme je peux. J’ai du mal, à cause de mes études qui me prennent un temps malheureusement énorme. Mais, alors que mes écrits originaux me désespéraient les uns après les autres, j’ai découvert l’exaltant petit monde de la fanfiction que je voudrais conseiller à tous. C’est un tremplin dans l’exercice, une manière de s’abaisser pour rebondir. Pourquoi ? Grâce au partage, aux conseils, mais aussi à une sorte d’académisme dans l’apprentissage de la maîtrise du suspense, de la retranscription des caractères et… de l’observation des choses à faire et à ne pas faire.
Je vais peut-être un brin diverger, excusez-moi.
Que pensez-vous du support d’écriture ? La forme web, particulièrement ingrate, me plait précisément pour cela.
Quant à trouver son lecteur… Pour cela, personne n’a été meilleur que ma famille. J’ai d’ailleurs été euphorique la première et seule fois où, après avoir angoissé par les futures critiques que je sentais que j’allais recevoir, on m’a complimentée pour un texte. Je ne m’étonne pas que l’accueil des critiques soit houleux. Je suis ainsi. Je hurle, je tempête, je nie… et sans l’admettre à voix haute, je prends en compte.
…la jeunesse ?
Toujours dans le désordre, je n’écris pas ce que je voudrais lire mais je lis ce que je voudrais écrire. J’écris ce qui me taraude, j’écris pour intégrer les gens et les choses que je croise à mon univers intérieur, j’écris pour ne pas exploser. J’écris pour provoquer, pour me jeter des défis. J’écris beaucoup pour moi-même et presque autant pour les autres, j’écris comme je hurle. J’écris pour mes personnages, pour des rencontres et des confrontations de personnalités, mais je lis pour des actions et du suspense. C’est étrange. Je ne sais pas si c’es une bonne attitude. D’autant que je m’arrête souvent après avoir imaginé, car le manque de lecteurs potentiels ne me motive pas à coucher sur le papier les milliards de pixels que mon imagination agence en permanence.
Je sens beaucoup cette responsabilité envers l’histoire que j’ai imaginé, et c’est essentiellement elle qui me pousse à écrire. Encore un état d’esprit qui n’est peut-être pas le bon.
C’est pour ça que je ne me sentirai sans doute jamais écrivain mais plus auteure du dimanche et conteuse, bien qu’à l’oral, j’ai quelques difficultés.
Sur votre test, vous auriez pu mettre « autres lieux ». Pour imaginer et noter, la douche, les toilettes, la marche à pied, partout. Pour écrire, les transports en commun, chaque lieu où l’on trouvera un support et du temps. Les salles d’attente, par exemple. Le problème, c’est qu’il est joli, votre test, mais il n’y a pas de standard, nulle part.
Hum. C’est un peu le bordel, ce message.
Wow, Izru pose ses valises sur le blog 😉 !
Bienvenue, et merci pour toutes vos contributions. Vos lignes pleines d’intérêt valent mieux que toutes les stats de fréquentation du monde !
Alors, sur les trois grands points de votre intervention :
la fainéantise : pourquoi en effet ne pas se dire « Dans l’esprit d’un jeune auteur, le premier texte est sacré, et c’est pour cela, et juste pour cela, qu’il ne veut pas le retoucher » ? Parce que en ce qui me concerne, je me méfie beaucoup des « grands principes » lorsqu’ils pointent leur nez chez l’écrivain. On n’écrit pas avec de grands principes (ici, le caractère sacré du texte), on écrit avec des idées, des techniques, de l’énergie… Les grands principes sont des couches de sens artificielles, qui ont été rajoutées à une pratique toute simple.
Ce que j’essaie de dire avec cet article, en prenant un angle un peu provocateur, est que chaque écrivain commence avec un lourd bagage d’idées préconçues, de freins, de modèles parfois mal compris… La seule manière pour lui d’avancer, est de travailler sur ce bagage inutile, de laisser de côté tout ce qui ne lui servira pas. Le problème dont on parle ici, on peut l’appeler fainéantise, on peut l’appeler sens du sacré, mais l’effet sur la démarche est le même : blocage, stagnation… Quel que soit son nom, mon conseil est de se débarrasser de cette entrave.
Différence entre ce qu’on aime lire et ce qu« on aime écrire : cela veut-il dire que vous écrivez et que vous lisez des genres différents ? Il ne faut pas trop pousser ce principe dans le détail ; vous aimez lire du suspense chez, mettons, Daphné du Maurier. Dans votre écriture, vous adorez camper des personnages de polars anglais. Dans les deux cas, vous rendez hommage au polar anglais, non ?
la motivation « Je sens beaucoup cette responsabilité envers l’histoire que j’ai imaginé, et c’est essentiellement elle qui me pousse à écrire. Encore un état d’esprit qui n’est peut-être pas le bon. C’est pour ça que je ne me sentirai sans doute jamais écrivain mais plus auteure du dimanche » Au contraire, il me semble que c’est celui qui ne fait qu’effleurer le sujet, celui qui écrit « à l’occasion », qui est l’écrivain du dimanche. Pour lui, peu importe, par exemple, de perdre son disque dur avec les textes déjà écrits. En revanche, celui qui se sent responsable de ses textes, c’est à dire qui se donne le devoir de les écrire, peu importe leur devenir, celui-ci est tout le contraire d’un « écrivain du dimanche ».
Enfin, qu’entendez-vous par « forme web » ?
Je découvre cet article et me dis que je dois avoir pris un peu de bouteille car je viens de faire une réédition de deux de mes livres qui datent de cinq ans : j’ai trouvé mille détails à corriger, des virgules, un adverbe par ci, un adjectif par là… mon Dieu que cette phrase est lourde… etc. 🙂 !
D’autre part, je travaille d’autres textes pour la publication (imminente) et là, je n’arrête pas de relire aussi, de changer des choses… C’est curieux car quand je les ai écrits il y a quelques mois, je ne trouvais rien à redire… j’en déduis que laisser reposer, c’est peut-être le mieux.. mais en même temps, cela cause bien du souci ! vive l’insouciance de la jeunesse !
bonne soirée,
isabelle
Merci pour ce témoignage ; heureusement qu’avec l’édition papier, il faut bien de temps en temps arrêter de corriger ; avantage que les auteurs de numérique n’ont pas… 🙂
Bonjour, ou bonsoir selon l’heure qu’il est sur le continent, moi sa fais 3 ans je suis bloquée, j’ai bien tenter de reprendre, de continuer, mais rien n’y fais je n’avance plus, je sais pourtant se qui doit arriver… Mais voilà je n’arrive pas à avancer et je ne sais plus quoi faire.
Bonjour,
Avez-vous essayé ceci :
https://ecriture-livres.fr/comment-ecrire/ameliorer-texte/syndrome-page-blanche/
ou ceci :
https://ecriture-livres.fr/comment-ecrire/ameliorer-texte/couper-dans-son-manuscrit/
ou encore ceci :
https://ecriture-livres.fr/comment-ecrire/ameliorer-texte/pourquoi-conseil-editorial/
Quand j’étais en HK« L« dans les années 80, effectivement il flottait une sacralisation de tout texte émis … et un mépris du rapprochement avec des arguments commerciaux en vue de publication. Ma longue plongée dans l’univers artisanal et commercial m’a au moins affranchie de cela : un produit ne marche pas longtemps s’il n’est pas efficace.
Mais l’efficacité n’est-elle pas aussi soumise aux caprices de la mode ?
S’agissant d’écriture, l’efficacité est pour moi le fait qu’un texte s’adapte parfaitement au fonctionnement (parfois bizarre) de notre cerveau. Les modes littéraires ne mettent en avant qu’un aspect de l’écrit, sa nouveauté, mais l’efficacité repose sur bien d’autres aspects aussi…