Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Définition du cliché
- Comment les repérer
- Pourquoi les extirper du texte
- Comment remédier à un cliché
Depuis Flaubert (au moins), nul ne peut ignorer les clichés littéraires. Quant à les débusquer dans ses propres écrits, c’est une autre histoire. Comment, pourquoi les traquer ? De quoi les clichés sont-ils le nom… ?
A chaque fois que je le lis, je déprime. Ce Dictionnaire des clichés littéraires, d’Hervé Laroche, est comme un coup de pelle entre les deux oreilles. Et le Dictionnaire des idées reçues, de Flaubert, vient fignoler les ravages du premier…
Le cliché, l’idée reçue, le stéréotype, voilà, sous différents noms, différents degrés, un ennemi ancestral de l’écrivain. Comment le cerner ? Pourquoi gêne-t-il ? Comment le dépasser ? Armons-nous de courage, et plongeons dans cet univers où l’éternel chat noir traverse indéfiniment le même couloir… où l’éternel chat noir traverse indéfiniment le même couloir… où…
Qu’est-ce que le cliché littéraire ?
« Idée ou expression trop souvent utilisée » nous dit l’ami Robert, en situant l’apparition de ce sème à 1869. Et en effet, tel le tirage photographique vite reproduit, à l’époque où l’art pictural régnait encore en maître, le cliché est ce mot, cette expression que l’on dégaine sans y penser.
Le cliché peut présenter plus ou moins d’envergure :
- un mot ; assez souvent un adjectif (rare) que l’on accole systématiquement à un substantif courant (« une ambiance feutrée »)
- une expression courte, à savoir, le plus souvent, un duo substantif-adjectif qui, pris séparément, semblent incongrus, mais qui rassurent lorsqu’ils sont associés (« sa bouche avait un pli amer »)
- une expression consacrée (« fort comme un Turc. »)
- une situation (le héros qui s’éloigne calmement tandis que la basse ennemie explose violemment derrière lui)
Évidemment, avec de telles définitions, le problème apparaît sans tarder : tout est cliché ! Tout ce qui peut ressembler à un point de repère, à une balise culturelle dans le texte, peut se trouver dénoncé sous l’accusation de cliché ! Que faire par exemple de « Il pleuvait à verse » ou d’ »une épaisse tignasse » ?
Et quel est l’opposé d’un « texte à clichés » ? Un texte 100 % original, inattendu ? Un texte dédié à la recherche du « mot juste » ? J’en ai déjà longuement parlé, de ce « mot juste », et notamment ici… Habiller votre texte d’une défroque de clown n’est pas non plus la solution.
La question devient, à partir d’un certain degré d’exigence, idéologique : à quel degré j’autorise les clichés ? Jusqu’à quel point je cherche à être « différent » par mon style ? Chacun place le curseur où il veut, mais plus vous êtes « clichophile », plus vous êtes « originaliste », moins vous parviendrez à intéresser ; et, plus important : ne faites pas vos choix à l’aveugle ; rédigez toujours en connaissance de cause : « Ici je préfère le cliché parce que telle ou telle solution fonctionnent moins bien. Là, j’ai inventé un néologisme car le cliché était vraiment trop faible… »
Exerçons nos sens de chasseur
Si nous admettons que nous parlons tous, à présent de la même chose, nous pouvons passer à la suite : comment repérer un cliché ?
La réponse la plus franche serait : au pifomètre. Au flair. Ou plus exactement à l’expérience. C’est en chassant le cliché que l’on devient un bon chasseur. En exerçant régulièrement son acuité intellectuelle, on les repère plus facilement. Encore une fois, cela ne sous-entend pas d’y remédier à chaque fois. Mais repérer les clichés vous permet, a minima, de savoir pourquoi vous écrivez comme vous le faites…
Voici quelques ressources pour commencer à aiguiser son esprit :
- Dictionnaire des clichés littéraires, Hervé Laroche, Arléa, 2004 : un opuscule délicieusement déplaisant, qui vous annonce la couleur dès la préface : « Écrivez mal, mais faites-le bien ».
- Dictionnaire des idées reçues, Gustave Flaubert ; toutes sortes d’éditions ; souvent fourni à la suite du roman Bouvard et Pécuchet. Il s’agit principalement d’idées reçues, c’est à dire de clichés de perception de la société ; cependant, ce dictionnaire pointe aussi certains tics de langage, toujours en œuvre aujourd’hui.
- Petit illustré des clichés hollywoodiens : le dessinateur Allan Barte a collectionné certains clichés de films à grand spectacle. Un certain nombre de genres littéraires, aujourd’hui, reprennent inconsciemment ces ficelles scénaristiques.
- Le Jourde et Naulleau, Chiflet et Cie, 2015 : publié 3 fois depuis 2004, ce pastiche de Lagarde et Michard s’attaque à quelques gloires littéraires contemporaines pour les déboulonner ; certains des auteurs critiqués, salués par la presse radoteuse comme de grands stylistes, voient l’originalité de leur plume relativisée ; car oui, nos auteurs vedettes consomment du cliché. Bon, en fait, ce sont tous les livres de Pierre Jourde et d’Eric Naulleau, qu’il faudrait lire…
« J’assume mes clichés »
Lorsqu’on signale un cliché à un auteur, celui-ci a souvent une réaction agacée. Pour ma part, je n’aborde jamais cet aspect du conseil sans enfiler au préalable mon armure de police…
Pourtant, la fierté outragée (tout comme le regret inconsolable), ne sont pas de mise : comme pour tout tic d’écriture, la honte n’est pas d’avoir laissé passer des clichés ; c’est de prétendre les assumer alors qu’ils sont involontaires ; c’est de les laisser en place tandis qu’une meilleure solution textuelle est possible.
De façon générale, et sauf « exception exceptionnelle », interrogez vos clichés. Sans tomber dans l’excès inverse (l’originalité absconse), cherchez, au coup par coup, une stratégie de neutralisation du cliché (cf plus bas).
Mais au fond, pourquoi ne pas simplement « assumer » vos clichés ? Je vois à cela trois raisons principales.
Défaut de culture
Une amie qui publie de la littérature érotique écrivait récemment sur Facebook :
Les gens me font toujours halluciner à crier au plagiat dès qu’il y a plus de 2 points communs entre 2 bouquins…
Elle évoquait surtout, j’imagine, les clichés de grande envergure, que je désigne plus haut comme « clichés de situation ».
Et c’est vrai, à partir d’un certain degré de similitude, le cliché n’est plus un signe d’influence : c’est du ronronnement culturel. Au point que, oui, un lecteur peu cultivé aura l’impression que vous copiez un collègue, que vous copiez tout le monde. Il se trompera sur l’origine du malaise, mais pas sur son effet : si ce qu’il lit est archi-déjà-vu, à quoi bon lire encore ?
Défaut de force
Les mots sont comme nos chaussures favorites : ils s’usent. C’est un phénomène courant de la langue, qui fait par exemple que des termes comme « effrayant » ou « terrible » ont perdu tout leur sel, et qu’il faut chercher désormais du côté de « terrifiant » ou d’ »horrible »…
Les clichés sont victimes de leur succès : plus on aime les utiliser, plus on les affaiblit. Si bien que votre texte, qui résonnait si fort en vous, vous paraîtra bien fade une fois couché sur le papier, avec ses « visage ravagé par la souffrance » ses « revoir en un instant le film de sa vie » et ses « fêlures secrètes ».
Défaut d’exigence
Le cliché est commode. Il vient tout seul et vous évite de vous interrompre dans l’écriture. Or, dans ma pratique de conseil, je rencontre un nombre innombrable d’auteurs qui écrivent trop vite (ou, pour être exact, qui se relisent trop vite). A cause de cet empressement, bon nombre de clichés se trouvent « gravés dans le marbre » du manuscrit final.
« ça va, c’est qu’un cliché, y a pas mort d’homme. » Nous arrivons ici au point le plus profond de ma démonstration : il n’y a pas mort d’homme, certes, mais il y a mort du texte. Le cliché est une facilité d’expression mais, de ce fait, il est aussi une facilité de pensée. En choisissant le cliché, vous adoptez une pensée qui n’est pas la vôtre ; vous prenez la pensée de tout le monde, c’est-à-dire de personne. Vous laissez tomber.
Si l’on admet qu’écrire, c’est faire entendre sa voix propre, quand le cliché parle à travers vous, vous renoncez à votre propre droit d’écrire. Si vous « assumez » le cliché, à tous les coups, pourquoi écrire ? Si vous êtes satisfait d’écrire comme tout le monde, pourquoi écrire ?
Vous l’avez compris, l’enjeu, pour moi, se situe là : faire la chasse aux clichés, c’est vous rendre légitime. C’est reconnaître votre propre démarche comme on reconnaît son enfant ; le prendre avec soi, cet enfant, plutôt que le confier à autrui, pour lui transmettre ses valeurs, le meilleur de soi-même.
Dépasser le cliché
J’ai fait un peu de traduction à l’université. Un jour, à propos d’un texte de Thomas Mann, je crois, nous avions cet éternel débat sur « fidélité contre transposition culturelle ». Le professeur nous a laissé nous écharper, puis il a balancé une idée qui s’imposait comme une évidence : « La marque des grands écrivains, c’est de savoir renouveler les clichés. » Et quelques exemples plus tard, j’étais convaincu : le bon écrivain n’évacue pas nécessairement le cliché ; il lui injecte une petite dose d’inattendu, qui lui rend toute sa force, toute sa saveur originelle.
Que faire lorsqu’on en tient un beau dans le collimateur ? Il existe plusieurs possibilités d’altération. Voici celles qui me paraissent efficaces.
Décaler
Une petite altération, une nuance, une réserve suffisent pour « booster » un cliché moribond. Voyez la différence (et je ne suis pas un auteur de génie) entre « Elle ne l’embrasserait pas, pas pour tout l’or du monde. » et « Elle ne l’embrasserait pas, pas pour tout l’or du monde ; non, même pas pour une pépite de taille moyenne. »
Substituer
Il s’agit ici de remplacer franchement un mot afin de « mettre au goût du jour » le cliché, le faire mieux coller à votre univers romanesque.
« Elle n’embrasserait pas le wookie, pas pour tous les crédits de la galaxie. »
Renverser
Choisissez un clichez opposé à votre idée, et conférez-lui un sens inverse de ce qu’il est censé dire…
« Il ne la trahirait jamais ; sauf pour tout l’or du monde, peut-être… »
Voilà, mon poétique internaute, ces quelques réflexions sur les clichés. Et toi, quelle est ta position ? Comment perçois-tu le cliché… en ton for intérieur ?
Salut Nicolas,
Dans ma Ford intérieure, je vois aussi passer pas mal de personnages clichés. Oui, je vais jusque là, et tant pis si j’abuse, j’assume. Des personnages mal tortillés qui sont la resucée de personnages déjà vus, ou qui remplissent toujours la même fonction sans même que l’auteur se demande s’il pourrait trouver autre chose.
C’est vrai, je n’ai pas du tout pensé à cet aspect. Ce qu’on pourrait appeler « meta-cliché », c’est à dire des personnages convenus, des situations convenues, des oppositions convenues…
Bonjour,
cette histoire de clichés amène une question : une scène érotique aux intentions libidineuses n’implique-t-elle pas une bonne grosse dose de clichés pour fonctionner ?
Vulgairement dit : pas de cliché, pas d’excitation chez le lecteur.
C’est sans doute un peu simpliste, d’où mon interrogation, mais je trouve, dans son ensemble, la littérature érotique farcie de clichés. C’est peut-être moi…
Je pose la question autrement : comment renouveler ce type de récit, alors que fondamentalement, quand même, il se passe un peu toujours la même chose… ?
Je suis embêté, c’est vrai, avec ce point du texte érotique. J’avais avancé quelques idées ici :
https://ecriture-livres.fr/comment-ecrire/ameliorer-texte/comment-rediger-scene-coquine/
Très intéressant… Et ce qui l’est plus encore, c’est que je peux transposer ces principes à mes sculptures…
Je suis moyennent d’accord avec votre définition du cliché en littérature. Par exemple, le mot chaise me fait penser à une chaise en paille avec des montants en bois à cause de la chaise de Van Gogh. Est-ce un cliché ? De même, le mot arbre, m’évoque un végétal avec un tronc et des branches et des feuilles au bout. Est-ce un cliché ? Dans ce cas, tous les mots de la langue française non utilisés dans un usage poétique seraient des clichés.Les clichés se cachent par contre dans les a priori et dans les généralisations.
C’est comme l’expression « ambiance feutrée ». Elle définit parfaitement ce genre d’ambiance où les sons ne raisonnent pas et les personnes ne parlent pas trop fort. Vous pourrez vous creuser les méninges pendant 10 minutes ou 10 heures, vous ne trouverez pas une meilleure manière d’exprimer cela.
Les clichés se cachent par contre dans les a priori et dans les généralisations. Dire qu’un Asiatique a les yeux bridés est un cliché. D’ailleurs, toutes les généralisations raciales sont des clichés. Un autre cliché présent dans la littérature est par exemple de vouloir toujours expliquer les actes des tueurs et des psychopathes parce qu’ils ont été violés et battus pendant leur enfance. Cela en devient pénible. Ce n’est pas que cela ne peut pas être vrai, mais le fait de généraliser et de le prendre comme un fait acquis devient un cliché. Ce n’est pas qu’on ne peut pas l’utiliser, mais cela va être la manière de le faire et éventuellement de le détourner qui fera que ce sera un cliché ou non. Et c’est vrai que ce genre de clichés parsème la ‘mauvaise’ littérature. C’est d’ailleurs effectivement à cela qu’on la reconnaît.
Dernier exemple : le cliché pour combattre le cliché. C’est maintenant devenu un cliché dans les publicités et les séries de toujours mettre une personne de chaque origine ethnique. Faut-il mettre un Africain, un Asiatique, une Lesbienne, un Gay, un Bisexuel et un Transgenre dans chaque roman pour combattre les clichés ?
« C’est comme l’expression « ambiance feutrée ». Elle définit parfaitement ce genre d’ambiance où les sons ne raisonnent pas et les personnes ne parlent pas trop fort. Vous pourrez vous creuser les méninges pendant 10 minutes ou 10 heures, vous ne trouverez pas une meilleure manière d’exprimer cela. »
Si, bien sûr. Il y a mille manières ; il y a la vôtre ; mieux ; il y en a une qui vous est propre, pour chaque occurrence de cette ambiance.
C’est justement ce que j’essaie de démontrer dans cet article ; et aussi pourquoi les réponses du genre « on ne peut pas faire sans cliché » « tout est cliché » sont un peu fainéantes…
Et je parlais bien de clichés littéraires (de choix de mots) ; j’ai préféré ne pas m’aventurer sur les clichés intellectuels, pour éviter que cet article devienne une guerre de tranchées.