Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • failli­bi­lité des éditeurs

J’ai été employé d’é­di­tion. Il m’est arrivé de me plan­ter sévè­re­ment. Il est grand temps de me fla­gel­ler devant vous avec des orties fraîches.

Errare huma­num est, « l’er­reur se res­pire à la gare de l’Est », comme aurait pu écrire Pierre Desproges dans son Dictionnaire superflu.

Les édi­teurs, objets de tous vos amours et grin­ce­ments de dents, oui, les édi­teurs font des erreurs, mes­sieurs-dames. Et comme j’ai été à leur place, en voici 3 que j’ai com­mises, et que je regrette tou­jours… un peu… non, beaucoup.

Tenir un discours de chercheur

J’ai déjà raconté ici mes pre­miers jours en mai­son d’é­di­tion. Moi qui arri­vais avec mon regard de cher­cheur en lit­té­ra­ture, com­bien j’avais dû revoir, et vite, ma posture.

Tout l’en­jeu, pour l’é­di­teur comme pour l’au­teur, comme pour chaque membre de la chaîne, est de par­ler clai­re­ment et sim­ple­ment des ouvrages. La recherche demande une approche spé­cu­la­tive, pru­dente, nuan­cée, un regard d’his­to­rien, aussi. L’édition, elle, veut que l’on soit vif, syn­thé­tique, que l’on connaisse bien le monde d’au­jourd’­hui, et de demain.

J’ai com­mis l’er­reur, par­fois, j’ai « dérapé » : j’ai parlé d’un livre,d evant un libraire, devant un jour­na­liste, en termes nuan­cés. J’ai vu le résul­tat sur le bon de com­mande, ou dans l’ar­ticle, qui fai­sait un gali­ma­tias sans nom des infos que j’a­vais don­nées. Un libraire, face à un pro­jet peu clair, se dira aus­si­tôt « Attention, dan­ger, mau­vaises ventes, livres qui res­tent sur les bras ». Un jour­na­liste essaiera tou­jours, de toutes les fibres de son être, de rendre les choses simples. S’il ne peut pas se faire une vue d’en­semble, il lais­sera son lec­teur dans le brouillard… Idem pour les repré­sen­tants du dif­fu­seur : la fiche-livre doit être claire, bien struc­tu­rée, et don­ner des argu­ments qui s’imposent d’eux-mêmes…

En tant qu’au­teur, vous êtes au début de la chaîne. Quand vous com­mu­ni­quez sur votre pro­jet, vous aussi, lais­sez tom­ber les nuances. Soyez hon­nête, mais soyez simple et clair, et insis­tez sur ce qui fera réagir votre inter­lo­cu­teur. Ne rete­nez que les argu­ments simples, rela­ti­ve­ment uni­ver­sels, positifs.

Le jeune employé d’é­di­tion brou­tant les cailloux de la rou­tine men­tale (allé­go­rie).

J’ai manqué de flair

Dans l’é­di­tion, chaque livre qui sort est un concept en soi. Les « pro­duits » ont une durée de vie de 3 mois, un an maxi­mum. Cela fait que l’é­di­teur, com­pa­ra­ti­ve­ment à d’autres acti­vi­tés comme la culture de carottes, est beau­coup plus un pro­to­ty­piste. Il doit sans arrêt se réin­ven­ter, et se repo­ser la ques­tion « Est-ce que c’est pour moi ? »

J’ai tra­vaillé en mai­son d’é­di­tion, et j’ai fait par­tie, pen­dant une petite dizaine d’an­nées, de l’é­quipe édi­to­riale. Ce sont envi­rons 150 pro­jets qui sont sor­tis de nos bureaux ; 150 livres pour bien plus de propositions.

Je n’é­tais pas le déci­deur, mais j’a­vais une voix impor­tante. Il m’est arrivé d’empêcher une publi­ca­tion ou, peut-être, de dire ce qu’il fal­lait au bon moment pour déclen­cher le « oui » direc­to­rial. Certains manus­crits sont repar­tis dans les limbes et d’autres donc, sont sor­tis et ont par­fois eu une belle carrière.

Pourquoi s’op­po­ser à une publi­ca­tion, me direz-vous ? De quel droit ? Parce que, tout d’a­bord, j’é­tais quand même payé pour déci­der ; parce que, sou­vent, le pro­jet deman­dait des révi­sions trop impor­tantes ; parce que, enfin, j’a­vais trop approuvé par le passé, par­fois à tort, parce qu’il fal­lait réta­blir la balance, parce que ce qui est fait pour vous, par­fois, vous paraît trop évident, trop beau pour être vrai… Parce qu’on est, à chaque fois, tiraillé entre ces deux pos­tures : gar­der sévè­re­ment sa ligne et dire non à tout, ou faire décou­vrir au public tout ce qui nous plaît et dire oui, dire oui à tout.

Bref, des motifs psy­cho­lo­giques, là où seul son juge­ment devrait s’exprimer…

Il y a eu un ou deux manus­crits que je n’ai­mais pas, et que nous avons faits quand même. Et qui ont mar­ché. Surmarché. Cartonné. Le des­tin, ou le saint patron des édi­teurs, a eu rai­son d’in­ter­ve­nir, puisque ces titres ont été des suc­cès et ont com­blé de joie leur auteur, la direc­tion, les libraires, les jour­na­listes et bien sûr les lecteurs !

Et moi ? Eh bien je regrette tou­jours de ne pas avoir eu du flair. D’avoir choisi le refus pour de mau­vaises raisons.

Il m’ar­rive d’être consulté par des édi­teurs sur l’in­té­rêt d’un manus­crit. Plus jamais je ne ren­drai un avis qui s’appuierait sur de mau­vaises rai­sons. Plus jamais je ne ren­drai un avis contre mon cœur.

Vouloir faire le texte parfait

Il y avait eu des jours de tra­vail sur le manus­crit. une semaine, peut-être bien. Essentiellement des modi­fi­ca­tions de détail. Le texte d’o­ri­gine était très bien tourné. Mais il y avait sans cesse de petits décro­chages de style, des mal­adresses qui vous sor­taient de votre lec­ture. De mal­adresses objec­tives, hein ; des pétouilles avérées.

Il y a des textes qui mettent tout le monde d’ac­cord. Qui emportent par leur sujet, leur style, leur éner­gie, leur his­toire… Celui-ci y était presque. presque.

Il y a une sorte de contrat moral entre l’au­teur et l’é­di­teur, au moment de la pré­pa­ra­tion du texte : l’é­di­teur relit le texte et opère des modi­fi­ca­tions de détail, du type ajou­ter des vir­gules. Pour toutes les modi­fi­ca­tions plus impor­tantes, il pro­pose une solu­tion ou demande une modi­fi­ca­tion à) l’au­teur. Aucune règle ne dicte quelle quan­tité d’in­ter­ven­tion est accep­table, tout sim­ple­ment parce que les textes sont de qua­lité inégale, et que l’é­di­teur connaît son public et le « degré de fini­tion » habi­tuel de ses livres.

Bref. L’auteure a relu la relec­ture, elle a repéré une vir­gule qu’elle n’a­vait pas sou­haité. Elle a pris sa grande loupe et a com­mencé à cher­cher les vir­gules. Elle a débar­qué chez nous et pen­dant une jour­née, côte à côte avec une col­lègue, elle a débattu, défait une à une toutes les corrections.

Elle a eu le livre qu’elle vou­lait, elle toute seule. Elle est pas­sée à côté de tout. En fait, elle n’a rien com­pris à l’é­di­tion.

Et moi qui avais mis toute mon intel­li­gence dans ce tra­vail, toute ma com­pré­hen­sion du texte, toute ma capa­cité à me mettre à la place du lec­teur… moi qui vou­lais faire le livre par­fait… ben, j’ai été fort marri.

A pré­sent, je fais tou­jours ce type de tra­vail, en free­lance. Je four­nis mes cor­rec­tions sous forme de pro­po­si­tions. Et c’est à vous, auteur, de déci­der au cas par cas, de lais­ser ou de prendre… 


Voilà, ruti­lant inter­naute, j’ai essayé de par­ler hon­nê­te­ment de ces 3 points. Mais peut-être en ai-je tiré les mau­vais enseignements ?

2 commentaire

  1. Bonjour et merci beau­coup pour cet article très intéressant.
    J’ai connu ce dont vous par­ler, mais en tant qu’au­teur, j’ai rompu le contrat et j’ai édité à compte d’au­teur et je ne le regrette abso­lu­ment pas, au contraire : j’é­cris les textes que mes lec­teurs attendent de moi, j’en suis à 4 livres publiés pour 2065 pages.
    Artistiquement

  2. Oh, que j’ap­pré­cie votre façon de pen­ser ! Et vos idées… Pour un abo­mi­nable per­fec­tion­niste comme moi, (qui tente tou­jours de rac­cour­cir une phrase sans en atté­nuer l’im­pact ou de chan­ger un mot, afin d’é­vi­ter les répé­ti­tions) votre parole est d’or. Mais trou­ver un lec­teur-bêta est un *vrai* casse-tête.
    Merci pour vos articles, si pertinents.

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