Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • Pourquoi uti­li­ser les sta­tis­tiques textuelles
  • Équilibrer dia­logues, scènes d’ac­tion et scènes explicatives

Comment un écri­vain comme Neil Gaiman par­vient à créer une his­toire qui fonc­tionne ? Essai d’ex­pli­ca­tion avec des sta­tis­tiques textuelles.

Nous avons tous nos admi­ra­tions lit­té­raires, et nous essayons, de manière plus ou moins avouée, de retrou­ver nos plai­sirs de lec­ture dans nos pages d’écriture.
Mais par­fois, le plai­sir de lec­teur semble ne tenir à rien. Comment com­prendre ce qui nous plaît, ce qui fonc­tionne dans le texte que nous aimons ? Où trou­ver les conseils pour aider l’acte d’écrire ? Par le pen­dule, la médi­ta­tion trans­cen­dan­tale, les rayons X ? Parfois, un peu de sta­tis­tiques tex­tuelles peuvent rendre bien des services.

J’en entends déjà sou­pi­rer au fond (oui, là, près du poêle, comme tou­jours…) : « Un texte ne se met pas en chiffres, vilain matheux, haro, fi, sus,… » Je répon­drai plu­sieurs choses à l’agitateur en question :

  • Je n’ai pas dit que tout l’écrit pou­vait se mettre en chiffres.
  • Je n’ai pas dit que les stats ne don­naient que des infor­ma­tions utiles.
  • Ce n’est pas moi qui vais faire les cal­culs, c’est la machine ; mon rôle, c’est de poser les ques­tions, et de com­prendre les réponses.
La technique Neil Gaiman : un boulevard pour créer une histoire efficace ?
La tech­nique Neil Gaiman : un bou­le­vard pour créer une his­toire efficace ?

En ce qui me concerne, j’ai une grande admi­ra­tion pour un roman fan­tas­tique de Neil Gaiman paru en 1996 : Neverwhere. Ce texte, pour moi, ras­semble tout ce que je sou­hai­te­rais mettre dans un roman : un uni­vers nou­veau, sur­pre­nant, inquié­tant, des per­son­nages inou­bliables, une aven­ture déjan­tée, des brouettes d’humour et un sus­pense per­ma­nent. Cette petite mer­veille ne dépasse pas les 350 pages au for­mat poche. Pour moi, même si Neverhere n’est pas le roman ultime, c’est un des textes les plus équi­li­brés, les mieux sen­tis que j’aie lus de ma vie.
Pour infor­ma­tion, et pour vous don­ner vous aussi envie de vous plon­ger dans cette aven­ture, Neverwhere raconte la plon­gée de Richard Mayhew, sym­pa­thique clam­pin bri­tan­nique lambda, dans le « Londres d’en-bas », une ville sou­ter­raine, médié­vale, dan­ge­reuse et glauque, une gigan­tesque cour des miracles que les Londoniens d’en-haut côtoient chaque jour sans même la remar­quer…
À quoi tient la magie de la lec­ture de Neverwhere ? À l’inspiration, au je-ne-sais-quoi ? En ce qui me concerne, ce genre de réponses ne me satis­fait plus. J’ai envie de démon­ter les textes, comme d’autres démontent des hor­loges, pour voir com­ment c’est fait dedans. Car à la dif­fé­rence des hor­loges, on peut démon­ter un texte autant qu’on veut, il conti­nue à fonc­tion­ner.
J’ai donc pris ma vieille édi­tion de poche de Neverwhere, un crayon, une cal­cu­lette et une feuille Excel toute propre ; j’ai fait une liste des quelques ques­tions que je vou­lais poser aux textes. Des ques­tions issues de ma curio­sité d’écrivain, et aussi de mes dif­fi­cul­tés, de mes doutes d’écriture. Pour le dire autre­ment : je sais ce qui me plaît chez lui, et ce qui ne me plaît pas chez moi. Comment fait-il, com­ment ne dois-je pas faire ?
Mes ques­tions étaient les suivantes :

  • Quel est le volume de texte accep­table, de nos jours, pour déve­lop­per une his­toire efficace ?
  • Qu’est-ce qu’une « scène » pour l’auteur de Neverwhere ? Quelle est sa taille moyenne ?
  • Un des pro­cé­dés les plus inté­res­sants du roman d’aventures moderne est l’alternance des scènes, des fils nar­ra­tifs. Comment Neil Gaiman mélange-t-il les dif­fé­rents fils narratifs ?
  • Et les dia­logues ? À quoi res­semblent-ils dans ce livre ? Sont-ils dis­pen­sables ou indispensables ?
  • Il y a, dans tout roman, des pas­sages obli­gés par le « bla­bla expli­ca­tif », la four­ni­ture d’éléments de « back­ground ». C’est la bête noire de l’écrivain, car ces expli­ca­tions obli­ga­toires dyna­mitent tout ce qu’il essaie de mettre en place, ambiance, rythme, sus­pense, ten­sions… Quelle est la pro­por­tion de bla­bla expli­ca­tif dans Neverwhere ? Quels « trucs » uti­lise l’auteur pour le mini­mi­ser ou l’éviter ?

1. Volume

Il s’agit là de la ques­tion la plus simple.
Pourtant, il n’y a pas mille façons de cal­cu­ler un volume de texte. Face à un manus­crit papier, les édi­teurs ont une, et une seule méthode de calibrage :

  • comp­ter le nombre de signes et espaces de 5 lignes, prises au hasard dans le livre (atten­tion, il faut prendre des lignes pleines) ; puis cal­cu­ler une moyenne ;
  • comp­ter le nombre de lignes d’une page pleine. Si le texte se com­pose en géné­ral de petits para­graphes, de dia­logues (c’est-à-dire qu’il com­porte de nom­breuses lignes incom­plètes), il faut en tenir compte dans le calcul ;
  • comp­ter le nombre de pages pleines ;
  • mul­ti­plier les trois don­nées précédentes ;
  • arron­dir généreusement.

Le résul­tat, pour Neverwhere, est un volume estimé de 690 000 signes et espaces. Le résul­tat m’a sur­pris. Il s’agit en effet d’un volume impor­tant, pour un livre que j’ai l’impression, à chaque fois que je le relis, de ter­mi­ner en un clin d’œil.
On peut pous­ser un peu plus loin le cal­cul : sachant qu’une page de manus­crit A4 stan­dard com­porte 1 500 signes et espaces, le texte de Neil Gaiman cor­res­pond donc à un manus­crit de 460 pages…

J’ai rap­pro­ché ce chiffre de mes deux pro­jets impor­tants du moment : le roman 1, qui est rédigé et envoyé en lec­ture, et le roman 2, qui en est au stade du scé­na­rio.
Le volume de mon roman 1 est de 420 000 signes et espaces. Celui estimé pour le roman 2 est de 720 000. Moi qui croyais en avoir trop dit dans le roman 1, j’avais encore de la marge… Quant au roman 2, il s’annonçait, sem­blait-il, bien trop volu­mi­neux. Si je le rap­proche de cette trop brève frian­dise qu’est Neverwhere, je me trouve plu­tôt rassuré.

2. Scènes

Sans entrer dans des que­relles de cha­pelle, on peut admettre, pour aller vite, qu’une scène est le pas­sage d’une his­toire qui se déroule dans le même lieu avec les mêmes per­son­nages. Quand un per­son­nage entre ou sort, quand l’action se trans­porte dans un autre lieu, on change de scène. Cette divi­sion nar­ra­tive est très utile au roman­cier pour doser les infor­ma­tions et les évé­ne­ments qui sur­viennent dans le roman. Jusqu’à pré­sent, en ce qui me concerne, je n’ai pas trouvé de meilleure unité de mesure roma­nesque.
Dans Neverwhere, le récit est divisé en 20 cha­pitres très inégaux en lon­gueur. Dans les cha­pitres, les étapes du récit sont sépa­rées par un double saut de ligne ; très sou­vent, cette « ligne vide » cor­res­pond à un chan­ge­ment de per­son­nages ou de lieux. On peut donc, sans s’aventurer, esti­mer que les lignes vides maté­ria­lisent ici les chan­ge­ments de scènes. On relève 141 de ces « scènes » dans le roman de Neil Gaiman.
Je ne m’intéresserai pas à la lon­gueur des cha­pitres, car celle-ci se montre vrai­ment très variable ; il me semble que cette divi­sion en cha­pitre est ici trop arbi­traire.
En revanche, la ques­tion de la lon­gueur des scènes est très inté­res­sante. Il se trouve quelques scènes qui font plus de 13 000 signes et espaces (6 pages de roman). Les plus courtes comptent 500 s&esp., soit 1/5e de page de roman. La lon­gueur moyenne est de 2 pages, soit 4 900 s&esp.
Parmi les 141 scènes, envi­ron 1/3 d’entre elles ont une lon­gueur supé­rieure à la moyenne ; les 2/3 des scènes, oui, les 2/3, sont des scènes de lon­gueur infé­rieure. Mis à part quelques scènes très longues (et qui pour­raient par­fois se scin­der en deux, vu l’entrée ou la sor­tie d’un per­son­nage), la plu­part sont courtes, et ne dépassent pas la taille d’une ou deux pages.
La plus longue suc­ces­sion de longues scènes est de 4. Ces scènes longues sont plus nom­breuses dans la pre­mière moi­tié du roman. Les suc­ces­sions de scènes courtes sont assez fré­quentes. La plus longue suc­ces­sion est de 12 scènes courtes.
Un des prin­cipes tech­niques d’écriture dans Neverwhere serait donc le sui­vant : pour faire un texte qui « marche », favo­ri­ser les scènes courtes (3 à 3,5 pages de manus­crit maxi­mum). La suc­ces­sion de scènes longues doit être évi­tée ; la suc­ces­sion de scènes courtes est la bien­ve­nue.
Des évi­dences, peut-être ? Avec une confir­ma­tion sta­tis­tique, c’est tou­jours mieux…

3. Alternance des fils narratifs

J’appelle « fil nar­ra­tif » la pro­gres­sion, scène par scène, de l’objectif d’un ou de plu­sieurs per­son­nages. Dans Neverwhere, On peut dis­cer­ner quelques fils nar­ra­tifs, mais comme les per­son­nages passent leur temps à se retrou­ver et à se sépa­rer, je me suis aperçu qu’il était dif­fi­cile de « suivre » chaque fil du début à la fin. J’ai donc pré­féré exa­mi­ner le deve­nir de quelques per­son­nages pris sépa­ré­ment.
Les per­son­nages prin­ci­paux selon moi sont :

PersonnageNombre de scènesPlus longue suc­ces­sion d’apparitions
Richard8715
Croup et Vandemar303
Porte635
Carabas353
Jessica113
Chasseur333
Islington81

« Que constate-t-on », comme dirait un de mes copains pas très doué au volant… ? Richard Mayhew est le per­son­nage qui montre le plus sou­vent le bout de son nez. L’ange Islington, lui, n’apparaît que très peu, même s’il joue un rôle capi­tal… Il était dif­fi­cile à Neil Gaiman de frac­tion­ner les appa­ri­tions de Richard, son héros, ce qui fait qu’on le voit, entre le cha­pitre 2 et 3, pas­ser dans 11 scènes d’affilée, et à la fin du roman, dans 15 autres scènes d’affilée. Porte appa­raît deux fois dans 5 scènes d’affilée. Les autres per­son­nages appa­raissent au maxi­mum dans 3 scènes d’affilée. Au delà de 3 scènes, Gaiman laisse de côté son per­son­nage, pour s’occuper d’une autre bande.
Mis à part les excep­tions expli­cables (le héros autour duquel tout gra­vite, le pro­ta­go­niste mys­té­rieux), la règle d’alternance semble donc être « pas plus de 3 scènes avec le même per­son­nage ».
N’ayant pas cet exemple chif­fré sous la main, j’ai été beau­coup plus dras­tique, à l’époque, dans la rédac­tion de mon roman 1, et dans la pré­pa­ra­tion de mon roman 2 : la plu­part du temps, je me for­çais à res­pec­ter ceci : 1 chan­ge­ment de scène = 1 chan­ge­ment de per­son­nages.
Cela dit, Neverwhere n’est peut-être pas le modèle ultime en matière de variété nar­ra­tive. Des livres avec un souffle épique, comme la tri­lo­gie Star Wars de Timothy Zahn ou les romans de Tom Clancy, auraient sans doute plus à nous apprendre sur l’alternance des fils nar­ra­tifs. Disons que la « règle des 3 scènes » est un bon prin­cipe de base…

4. Dialogues

Une de mes han­tises est de mettre, dans le récit, trop de dia­logues. Les dia­logues sont des moments, chez moi, où les per­son­nages laissent tom­ber tout le reste pour « taper la dis­cute ». D’un point de vue roma­nesque, ce sont des points faibles, des faci­li­tés d’écriture.
Je n’avais jamais ques­tionné de près les textes que j’apprécie sur cette ques­tion des dia­logues : jusqu’à quel point peut-on « dia­lo­guer » les scènes ?
Le résul­tat est plu­tôt dérou­tant : la pro­por­tion de dia­logues dans Neverwhere est de 49 %. Oui, abso­lu­ment : 1 ligne de texte sur 2 est une réplique de dia­logue. Et encore, je n’ai pas compté scru­pu­leu­se­ment, mais j’ai effec­tué une esti­ma­tion visuelle page par page. La vraie pro­por­tion serait peut-être de 55, voire 60 %.
Cela, pour moi, signi­fie que :

  • Le réflexe dia­lo­guiste n’est peut-être pas si mauvais.
  • Ce qui me gêne dans mes dia­logues se situe ailleurs…

Et en effet, les per­son­nages de Neverwhere, certes, passent leur temps à se jeter des répliques, mais ils ne laissent pas tout en plan pour autant : ils se parlent en man­geant, en mar­chant, en de bagar­rant, en mou­rant… Bref, le dia­logue n’est pas un moment de sus­pen­sion de l’histoire ; c’est un moment, au contraire, où l’histoire avance, mais avance autrement.

5. Le blabla explicatif

L’écrivain est obligé de four­nir à son lec­teur, en temps voulu, des infor­ma­tions pour com­prendre le monde qu’il décrit. Même en les rédui­sant au maxi­mum, cer­taines de ces infor­ma­tions sont néces­saires. Sinon, on ne com­prend pas bien pour­quoi l’empereur lance des éclairs avec ses doigts, ou pour­quoi le HMS Surprise repart à la pour­suite de l’Acheron
Ces pas­sages expli­ca­tifs sont néces­saires mais encom­brants : ils sortent le lec­teur du récit, ralen­tissent l’action, rap­pellent (le cas échéant) que le récit est dit par un per­son­nage omni­scient… Bref, l’écrivain doit essayer de maî­tri­ser leur nombre, et de faire pas­ser le maxi­mum d’informations par d’autres moyens.
Quelle est la pro­por­tion de scènes de bla­bla expli­ca­tif dans Neverwhere ? J’ai relevé une petite quin­zaine de ces scènes où le récit est véri­ta­ble­ment sus­pendu pour per­mettre à l’invisible mon­sieur Je-sais-tout de rame­ner sa science. Le reste du temps, des infor­ma­tions sont four­nies, bien entendu, mais à tra­vers les actions des per­son­nages, ou ce qui leur arrive… 13 scènes sur 141, soit un petit 9 %. 1 scène sur 10, pas plus, est consa­crée au bla­bla. Et, on s’en doute, la plu­part d’entre elles sont situées dans le pre­mier tiers du texte.
Attention, quand je parle de « bla­bla expli­ca­tif », je ne veux pas évo­quer des expo­sés com­plai­sants s’étalant sur 12 pages, racon­tant le « back­ground » sur cinq siècles et 15 géné­ra­tions. Le pur bla­bla expli­ca­tif de Neverwhere, en géné­ral, tient dans 1 ou 2 para­graphes d’une scène. À nous de nous débrouiller avec ça, et, curieu­se­ment, cela est par­fai­te­ment suf­fi­sant.
Les effets néga­tifs du bla­bla sont aussi atté­nués par le recours à des pro­cé­dés. Neil Gaiman camoufle ses pas­sages infor­ma­tifs en moments d’action. Les pro­cé­dés qu’il uti­lise ne sont pas bien ori­gi­naux, mais ont le mérite de nous gar­der dans l’action :

  • le mys­tère : le per­son­nage ne voit que l’énigme ; l’explication sera don­née plus tard (au sou­la­ge­ment du lecteur) ;
  • les effets du back­ground (Richard, main­te­nant qu’il a voyagé dans le Londres d’en-bas, devient invi­sible au Londres d’en-haut) : pour mon­trer com­ment fonc­tionne un nou­veau monde, il suf­fit de mon­trer à quel point il influence la vie des personnages.
  • le passé indi­vi­duel : pour for­mu­ler l’Histoire, faire racon­ter, par un per­son­nage, son his­toire individuelle ;
  • un sym­bole à iden­ti­fier : ancrer la révé­la­tion du back­ground à un objet, un sym­bole qui a une impor­tance dans l’intrigue ;
  • la digres­sion assu­mée (lui don­ner un ton tou­ris­tique ironique) ;
  • les dia­logues ! Il n’y a pas de docte nar­ra­teur qui nous informe, nous, mais un per­son­nage igno­rant qui ques­tionne le per­son­nage qui sait…

Le der­nier pro­cédé montre, à mon avis, pour­quoi Neil Gaiman a autant de dia­logues dans son texte, et si peu de bla­bla expli­ca­tif : c’est le dia­logue qui rem­plit cette fonc­tion ! Et en effet, l’essentiel du « Londres d’en-bas » est expli­qué au lec­teur à tra­vers les répliques, les silences, les sous-enten­dus des personnages.


créer une histoire qui fonctionne : la statistique au secours de l’écrivain

Voici donc quelques don­nées inté­res­santes extraites d’un texte, au moyen d’une misé­rable feuille de cal­cul. Il m’a fallu deux soi­rées pour prendre des notes sur ce roman, puis pour les syn­thé­ti­ser. Le gain en termes de connais­sance, de méthode, est impor­tant pour moi.

Il peut être inté­res­sant, par­fois, de prendre sa pelle et de creu­ser. En tant qu’écrivains, nous avons notre lot de doutes. Tout est doute, chaque ligne, chaque mot de plus est un doute. Si un tableur et quelques for­mules peuvent nous aider, de temps en temps, à déci­der, pour­quoi nous en priver ?


Et d’a­près toi, mon rai­son­neur inter­naute ? D’où vient l’ef­fi­ca­cité des textes de N. Gaiman ?

12 commentaire

  1. Oliv a dit :

    Enfin, il est de retour !

    Bon, tu me connais, je suis plu­tôt du genre à râler au fond de la salle, près du poêle, plu­tôt qu’à ava­ler cha­cune de tes paroles, béat au pre­mier rang. Mais comme de manière géné­rale j’aime les stats (même si je me méfie gran­de­ment de leurs appli­ca­tions, a for­tiori dans le domaine de l’écriture) j’ai lu ton article avec plaisir.

    Au bout du compte tu as démonté l’horloge « Neverwhere », grâce à toi nous connais­sons donc un peu mieux le fonc­tion­ne­ment de ce très bon roman… Ceci dit, il serait cer­tai­ne­ment plus signi­fi­ca­tif de démon­ter le méca­nisme d’un roman de type Harlequin : ceux-ci étant tous conçus sur le même modèle, en étu­dier un revient à tous les étu­dier, ce qui n’est pas le cas des bons romans où la vérité d’une œuvre ne sera pas celle d’une autre. En ce sens il peut être dan­ge­reux de se livrer à des com­pa­rai­sons ras­su­rantes du style « Gaiman uti­lise telle pro­por­tion de dia­logues, je fais pareil, alors je dois être dans le vrai… »

    Mais j’ai sur­tout tiqué lorsque tu écris que, « à la dif­fé­rence des hor­loges, on peut démon­ter un texte autant qu’on veut, il conti­nue à fonc­tion­ner ». Ce n’est pas l’expérience que j’en ai. Fut un temps, je me suis moi aussi beau­coup inté­ressé à la façon dont « tout cela fonc­tionne », autant par pure curio­sité que pour amé­lio­rer mon écri­ture. Je ne pou­vais plus lire sans ana­ly­ser, décor­ti­quer, cher­cher les ficelles et ten­ter de per­cer les mys­tères du pres­ti­di­gi­ta­teur… Bref : je ne pou­vais plus lire. Une fois l’horloge démon­tée, elle ne fonc­tion­nait plus. A cette époque je pre­nais cent fois plus de plai­sir devant un bon film (ou même un mau­vais) que devant un bon roman, n’étant pas ciné­phile, je pou­vais jouir du spec­tacle sans le voir gâché par des ques­tions de pure tech­nique… Sans doute cette période a‑t-elle béné­fique pour moi, en tant que lec­teur et en tant qu’auteur, en me per­met­tant d’intégrer des méca­nismes qui, aujourd’hui, sont deve­nus natu­rels et donc invi­sibles. Mais que ce fut douloureux !

    1. nicolas a dit :

      Ha, je savais bien que j’avais reconnu cette petite voix flû­tée là-derrière…

      Sur le pre­mier point, je pense que je me fais mal com­prendre : j’ai choisi Neverwhere parce qu’il s’agit, pour moi, d’un modèle. Je trouve inté­res­sant de le rap­pro­cher de ma propre écri­ture car sans arrêt, je me rends compte que je fais du « Neverwhere sans le savoir ». Il me semble plus hon­nête envers moi-même, en tant qu’écrivain, de regar­der la chose en face et d’essayer de contrô­ler un mini­mum cet aga­çant fan­tôme romanesque…
      L’idée de l’article est de mon­trer aux lec­teurs du blog com­ment tirer quelque chose des textes que l’on appré­cie, pour aller plus loin que le constat un peu pas­sif, un peu plat : « Oh, moi ? J’ai beau­coup d’influences. »
      A cha­cun, si la démarche lui paraît inté­res­sante, de l’appliquer à ses propres idoles. Pour ma part, je rumine une petite opé­ra­tion à cœur ouvert de Rebecca, quelques dis­sec­tions de textes de Borges, de Poe, de Boulgakov… J’ai aussi sous le coude une ébauche d’étude sur les per­son­nages à double jeu, dans le manga Requiem from the darkness…

      Sur le deuxième point, je ne suis sim­ple­ment pas d’accord avec toi. Je dois faire état de l’expérience oppo­sée à la tienne. Je n’ai jamais eu plus d’énergie, de plai­sir à écrire, que lorsque j’étais plongé à temps plein dans des recherches et des études de texte. Les ques­tions de tech­nique me pas­sionnent, quel que soit le domaine. C’est un réflexe natu­rel chez moi : plus je sais com­ment les choses sont (bien ou mal) construites, plus j’ai envie de construire. Et je trouve même les contre-exemples plus sti­mu­lants que les modèles…
      Cela dit, sur cette ques­tion, je recon­nais que l’on peut se ran­ger avec

  2. Oliv a dit :

    En fait, si l’on com­pare nos expé­riences res­pec­tives et contra­dic­toires en matière de décor­ti­cage de textes, on ne devrait pas par­ler de démon­tage d’une hor­loge, mais plu­tôt de pré­pa­ra­tion d’une dinde : soit la vue de toute cette chair appé­tis­sante nous met l’eau à la bouche, soit la mani­pu­la­tion de la tri­paille nous dégoûte pour de bon de la volaille…

    1. nicolas a dit :

      Je ne dis pas que toute cette bar­baque est for­cé­ment appétissante.

      Simplement, il faut par­fois mettre les deux mains dans du froid, du gluant et du san­gui­nolent, pour apprendre à cuisiner.

      Bonne année à toi et à tous ceux qui suivent nos échanges si… aériens ?

  3. Sylmar de chez Schmidt en face a dit :

    Bien le bon­jour Messieurs,

    Un gros gros coup de gueule pour com­men­cer : j’ai du m’inscrire au moins trois fois à la « news­let­ter », ce qui signi­fie que, n’ayant pas été averti de la publi­ca­tion de cet article, elle ne fonc­tionne tout sim­ple­ment pas ! Ce qui est un comble, quand il y a si peu de lieux sym­pa­thiques où se pro­me­ner sur le net lit­té­raire, et qu’on en connaît donc au moins un !

    🙂

    Et main­te­nant, essuyez mes lumières :

    J’aurai ten­dance à pen­ser comme Oliv du point de vue du décor­ti­cage de texte, mais évi­dem­ment, ça dépend sur­ement de ce qui sti­mule tout un cha­cun. Et Oliv, donc, de s’oublier (par­don) en lisant un bon texte, quand il te semble, à toi Nicolas, qu’un effort sup­plé­men­taire d’analyse comble davan­tage l’intellect, et aug­mente même le plaisir.

    Tout ceci à pro­ba­ble­ment aussi à voir avec la façon dont cha­cun lit, et ce qu’il recherche. Ceci étant aussi, bien entendu, relié à la façon dont tout un cha­cun écrit.

    Je trouve qu’il est inté­res­sant de « détri­co­ter » un livre comme tu l’as fait (livre et même auteur que je ne connais pas). J’ai pu moi aussi y pen­ser, de temps à autre, mais j’aurais été bien en peine, faute peut-être de vrai­ment m’y inté­res­ser, de savoir par quel bout mener une telle ana­lyse. Donc pour­quoi pas s’en tenir, oui, à une struc­ture de phrases, à un nombre d’apparitions de per­son­nages. Je com­prends à quel point, si l’on s’intéresse de très près à la méca­nique, tout ceci doit être enivrant. Pour autant, l’interprétation des faits qui sera menée, même de façon dis­ci­pli­née, n’est aussi peut-être que le reflet de ce que nous sommes capables de conce­voir quant au texte, et à ses res­sorts intimes ; entendu, ce que nous sommes capables de conce­voir, en l’état de nos connaissances.

    On apprend cer­tai­ne­ment, en com­men­çant par obser­ver des signes, je ne mets pas ceci en cause, mais sera-t-on jamais capable de les inter­pré­ter de la manière adé­quate, et de ne pas en tirer de « for­mule », comme dit plus haut dans un de vos com­men­taires ? Cette forme de conci­sion obser­vée chez l’un ne résulte-t-elle pas d’un appren­tis­sage plus dif­fi­ci­le­ment res­ti­tuable de « sa » méthode ?

    Je pense que pour faire face à ces écueils, il n’y a plus qu’à conti­nuer, encore et plus loin, ce genre d’investigations. Et à apprendre, éga­le­ment, à ne pas prendre à la lettre les choses. Un peu comme ce que fait un auteur en son for inté­rieur, finalement.

    En tout cas je trouve ça inté­res­sant. Intéressant, aussi, de cher­cher le paral­lèle avec sa propre démarche/écriture, pour par­ve­nir à se situer sur une cer­taine échelle ; je ne sais pas ce que cela peut valoir concrè­te­ment, mais c’est une mesure, qui vaut ce qu’elle vaut.

    C’est tou­jours la même ques­tion : il ne faut pas que ces rap­ports et mesures inhibent, mais qu’elles sti­mulent. A cha­cun d’en faire l’usage qui lui convient !

    1. nicolas a dit :

      Hello Sylmar, la news­let­ter est disons en som­meil pour le moment. Tu peux t’inscrire sur le fil RSS du blog pour être averti des nou­veaux articles :
      https://ecriture-livres.fr/feed/
      Je rap­pelle que ma démarche n’est pas moti­vée par le plai­sir de lec­ture, mais bien par l’apprentissage de l’écriture. En tant que lec­teur, j’essaie de ne pas me sou­cier des ques­tions de struc­ture… Même si désor­mais, je ne peux plus rien lire sans prê­ter atten­tion à cet aspect.

      Sur la jus­tesse des points d’observation choi­sis, et de mes déduc­tions, je suis évi­dem­ment avide de dis­cus­sions. Je suis bien conscient que je regarde toute cette méca­nique avec ma propre subjectivité.
      On est bien obli­gés d’observer pour apprendre. Pour apprendre à cou­per un bif­teck (res­tons dans le culi­naire), les yeux et les mains suf­fisent. Pour apprendre à écrire un roman, c’est plus long, demande plus d’interprétation, de moyens d’observation, car la lit­té­ra­ture est certes plus coriace qu’un bifteck.

      Content de te voir par ici en tout cas ! A bien­tôt j’espère…

  4. Lesur a dit :

    Bonjour,

    Intructif, sur­tout en ce qui concerne l’alternance « scène brève/ scène courte » et « nombre de scènes avec le même per­son­nage ». Je n’y avais jamais pensé.

    Pourtant moi aussi j’aime bien décor­ti­quer, et je n’ai jamais éprouvé de las­si­tude ou déploré la fuite de la magie après avoir ana­lysé ou ques­tionné un texte ; bien au contraire. A mon avis, c’est parce qu’on a beau décor­ti­quer de plus en plus fin, l’origine exacte du talent ne se laisse jamais attra­per com­plè­te­ment (ça fait pen­ser à l’infiniment petit…).

    Mais un résul­tat objec­tif est tou­jours inté­res­sant. Par exemple, l’autre jour, j’ai cal­culé la pro­por­tion de dia­logues dans un roman de Paul Doherty (3 ou 4 chapitres).
    Conclusion : 40% de dia­logues. C’est peut-être pour ça qu’à chaque fois que je ter­mine un roman de cet auteur j’ai l’impression d’avoir trop mangé. L’ambiance médié­vale : OK ; les per­son­nages prin­ci­paux : OK ; mais trop d’explications, et sur­tout trop de redondances.

    Quant à la méthode en géné­ral, je pense qu’il faut plu­sieurs règles ou garde-fous pour que ce soit utile :

    il faut prendre un livre qu’on aime vrai­ment. On pour­rait dire « Prenez un livre que vous détes­tez, et faites le contraire. », mais non, ça ne marche pas !
    éva­luez des cri­tères plau­sibles (ce que vous avez fait)
    ne pas se limi­ter à un seul roman. Effectivement, dire « tel bou­quin est bon, je vais faire pareil » ce n’est pas bon non plus, il faut tenir compte du livre en ques­tion, du genre auquel il appar­tient, du public, etc. Ensuite c’est vous qui pilotez.

    PL

    1. nicolas a dit :

      Merci Pascal pour ce retour ! Vos garde-fous me paraissent bons, même si le 3e est déli­cat à appli­quer : plus on pren­dra d’exemples, plus les résul­tats seront variés et donc dif­fi­ciles à exploiter…

      Concernant les dia­logues, je vois une petite diver­gence peut-être dans ce que nous y met­tons : pour moi, dans le roman, un dia­logue ne sert pas sur­tout à expli­quer. C’est d’abord un moyen de tra­duire les pos­tures, les sen­ti­ments des per­son­nages, et de maté­ria­li­ser les conflits. C’est une forme d’action, tout comme une course-pour­suite ou une scène de sexe. Si Paul Doherty (que je ne connais pas) se sert des dia­logues uni­que­ment pour livrer ses expli­ca­tions, expo­ser les situa­tions etc., effec­ti­ve­ment, cela peut être indi­geste, mais plu­tôt parce qu’il n’utilise pas les dia­logues à leur vrai potentiel.

  5. J’ai relu cet article, du coup, et il est vrai­ment très inté­res­sant ! Je suis notam­ment stu­pé­faite, moi aussi, par la pro­por­tion des dia­logues. Jamais je n’au­rais ima­giné qu’ils puissent être aussi impor­tants, et pour­tant j’ai fini ce livre hier matin. Et l’ex­pli­ca­tion don­née quant à la rai­son pour laquelle on ne se rend pas compte de la place qu’ils repré­sentent est très bonne.
    Bref, super article, qui fait réflé­chir. Merci. 🙂

  6. Bonjour, je n’ai pas lu cet auteur mais je vais m’y inté­res­ser. Si ce que tu dis est vrai, et je n’ai aucune rai­son d’en dou­ter, son uni­vers devrait me plaire. Bien aise de trou­ver ton blog et tes articles bien docu­men­tés après m’être bala­dée tout l’a­près-midi dans des blogs d’é­cri­ture pour n’y col­lec­ter qu’un ramas­sis de conseils à la noix, tou­jours les mêmes, dont je suis un peu lasse, j’a­voue. Je réclame, à cor et à cris, des articles de fonds. Merci. A bientôt.

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