Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Pourquoi utiliser les statistiques textuelles
- Équilibrer dialogues, scènes d’action et scènes explicatives
Comment un écrivain comme Neil Gaiman parvient à créer une histoire qui fonctionne ? Essai d’explication avec des statistiques textuelles.
Nous avons tous nos admirations littéraires, et nous essayons, de manière plus ou moins avouée, de retrouver nos plaisirs de lecture dans nos pages d’écriture.
Mais parfois, le plaisir de lecteur semble ne tenir à rien. Comment comprendre ce qui nous plaît, ce qui fonctionne dans le texte que nous aimons ? Où trouver les conseils pour aider l’acte d’écrire ? Par le pendule, la méditation transcendantale, les rayons X ? Parfois, un peu de statistiques textuelles peuvent rendre bien des services.
J’en entends déjà soupirer au fond (oui, là, près du poêle, comme toujours…) : « Un texte ne se met pas en chiffres, vilain matheux, haro, fi, sus,… » Je répondrai plusieurs choses à l’agitateur en question :
- Je n’ai pas dit que tout l’écrit pouvait se mettre en chiffres.
- Je n’ai pas dit que les stats ne donnaient que des informations utiles.
- Ce n’est pas moi qui vais faire les calculs, c’est la machine ; mon rôle, c’est de poser les questions, et de comprendre les réponses.
En ce qui me concerne, j’ai une grande admiration pour un roman fantastique de Neil Gaiman paru en 1996 : Neverwhere. Ce texte, pour moi, rassemble tout ce que je souhaiterais mettre dans un roman : un univers nouveau, surprenant, inquiétant, des personnages inoubliables, une aventure déjantée, des brouettes d’humour et un suspense permanent. Cette petite merveille ne dépasse pas les 350 pages au format poche. Pour moi, même si Neverhere n’est pas le roman ultime, c’est un des textes les plus équilibrés, les mieux sentis que j’aie lus de ma vie.
Pour information, et pour vous donner vous aussi envie de vous plonger dans cette aventure, Neverwhere raconte la plongée de Richard Mayhew, sympathique clampin britannique lambda, dans le « Londres d’en-bas », une ville souterraine, médiévale, dangereuse et glauque, une gigantesque cour des miracles que les Londoniens d’en-haut côtoient chaque jour sans même la remarquer…
À quoi tient la magie de la lecture de Neverwhere ? À l’inspiration, au je-ne-sais-quoi ? En ce qui me concerne, ce genre de réponses ne me satisfait plus. J’ai envie de démonter les textes, comme d’autres démontent des horloges, pour voir comment c’est fait dedans. Car à la différence des horloges, on peut démonter un texte autant qu’on veut, il continue à fonctionner.
J’ai donc pris ma vieille édition de poche de Neverwhere, un crayon, une calculette et une feuille Excel toute propre ; j’ai fait une liste des quelques questions que je voulais poser aux textes. Des questions issues de ma curiosité d’écrivain, et aussi de mes difficultés, de mes doutes d’écriture. Pour le dire autrement : je sais ce qui me plaît chez lui, et ce qui ne me plaît pas chez moi. Comment fait-il, comment ne dois-je pas faire ?
Mes questions étaient les suivantes :
- Quel est le volume de texte acceptable, de nos jours, pour développer une histoire efficace ?
- Qu’est-ce qu’une « scène » pour l’auteur de Neverwhere ? Quelle est sa taille moyenne ?
- Un des procédés les plus intéressants du roman d’aventures moderne est l’alternance des scènes, des fils narratifs. Comment Neil Gaiman mélange-t-il les différents fils narratifs ?
- Et les dialogues ? À quoi ressemblent-ils dans ce livre ? Sont-ils dispensables ou indispensables ?
- Il y a, dans tout roman, des passages obligés par le « blabla explicatif », la fourniture d’éléments de « background ». C’est la bête noire de l’écrivain, car ces explications obligatoires dynamitent tout ce qu’il essaie de mettre en place, ambiance, rythme, suspense, tensions… Quelle est la proportion de blabla explicatif dans Neverwhere ? Quels « trucs » utilise l’auteur pour le minimiser ou l’éviter ?
1. Volume
Il s’agit là de la question la plus simple.
Pourtant, il n’y a pas mille façons de calculer un volume de texte. Face à un manuscrit papier, les éditeurs ont une, et une seule méthode de calibrage :
- compter le nombre de signes et espaces de 5 lignes, prises au hasard dans le livre (attention, il faut prendre des lignes pleines) ; puis calculer une moyenne ;
- compter le nombre de lignes d’une page pleine. Si le texte se compose en général de petits paragraphes, de dialogues (c’est-à-dire qu’il comporte de nombreuses lignes incomplètes), il faut en tenir compte dans le calcul ;
- compter le nombre de pages pleines ;
- multiplier les trois données précédentes ;
- arrondir généreusement.
Le résultat, pour Neverwhere, est un volume estimé de 690 000 signes et espaces. Le résultat m’a surpris. Il s’agit en effet d’un volume important, pour un livre que j’ai l’impression, à chaque fois que je le relis, de terminer en un clin d’œil.
On peut pousser un peu plus loin le calcul : sachant qu’une page de manuscrit A4 standard comporte 1 500 signes et espaces, le texte de Neil Gaiman correspond donc à un manuscrit de 460 pages…
J’ai rapproché ce chiffre de mes deux projets importants du moment : le roman 1, qui est rédigé et envoyé en lecture, et le roman 2, qui en est au stade du scénario.
Le volume de mon roman 1 est de 420 000 signes et espaces. Celui estimé pour le roman 2 est de 720 000. Moi qui croyais en avoir trop dit dans le roman 1, j’avais encore de la marge… Quant au roman 2, il s’annonçait, semblait-il, bien trop volumineux. Si je le rapproche de cette trop brève friandise qu’est Neverwhere, je me trouve plutôt rassuré.
2. Scènes
Sans entrer dans des querelles de chapelle, on peut admettre, pour aller vite, qu’une scène est le passage d’une histoire qui se déroule dans le même lieu avec les mêmes personnages. Quand un personnage entre ou sort, quand l’action se transporte dans un autre lieu, on change de scène. Cette division narrative est très utile au romancier pour doser les informations et les événements qui surviennent dans le roman. Jusqu’à présent, en ce qui me concerne, je n’ai pas trouvé de meilleure unité de mesure romanesque.
Dans Neverwhere, le récit est divisé en 20 chapitres très inégaux en longueur. Dans les chapitres, les étapes du récit sont séparées par un double saut de ligne ; très souvent, cette « ligne vide » correspond à un changement de personnages ou de lieux. On peut donc, sans s’aventurer, estimer que les lignes vides matérialisent ici les changements de scènes. On relève 141 de ces « scènes » dans le roman de Neil Gaiman.
Je ne m’intéresserai pas à la longueur des chapitres, car celle-ci se montre vraiment très variable ; il me semble que cette division en chapitre est ici trop arbitraire.
En revanche, la question de la longueur des scènes est très intéressante. Il se trouve quelques scènes qui font plus de 13 000 signes et espaces (6 pages de roman). Les plus courtes comptent 500 s&esp., soit 1/5e de page de roman. La longueur moyenne est de 2 pages, soit 4 900 s&esp.
Parmi les 141 scènes, environ 1/3 d’entre elles ont une longueur supérieure à la moyenne ; les 2/3 des scènes, oui, les 2/3, sont des scènes de longueur inférieure. Mis à part quelques scènes très longues (et qui pourraient parfois se scinder en deux, vu l’entrée ou la sortie d’un personnage), la plupart sont courtes, et ne dépassent pas la taille d’une ou deux pages.
La plus longue succession de longues scènes est de 4. Ces scènes longues sont plus nombreuses dans la première moitié du roman. Les successions de scènes courtes sont assez fréquentes. La plus longue succession est de 12 scènes courtes.
Un des principes techniques d’écriture dans Neverwhere serait donc le suivant : pour faire un texte qui « marche », favoriser les scènes courtes (3 à 3,5 pages de manuscrit maximum). La succession de scènes longues doit être évitée ; la succession de scènes courtes est la bienvenue.
Des évidences, peut-être ? Avec une confirmation statistique, c’est toujours mieux…
3. Alternance des fils narratifs
J’appelle « fil narratif » la progression, scène par scène, de l’objectif d’un ou de plusieurs personnages. Dans Neverwhere, On peut discerner quelques fils narratifs, mais comme les personnages passent leur temps à se retrouver et à se séparer, je me suis aperçu qu’il était difficile de « suivre » chaque fil du début à la fin. J’ai donc préféré examiner le devenir de quelques personnages pris séparément.
Les personnages principaux selon moi sont :
Personnage | Nombre de scènes | Plus longue succession d’apparitions |
---|---|---|
Richard | 87 | 15 |
Croup et Vandemar | 30 | 3 |
Porte | 63 | 5 |
Carabas | 35 | 3 |
Jessica | 11 | 3 |
Chasseur | 33 | 3 |
Islington | 8 | 1 |
« Que constate-t-on », comme dirait un de mes copains pas très doué au volant… ? Richard Mayhew est le personnage qui montre le plus souvent le bout de son nez. L’ange Islington, lui, n’apparaît que très peu, même s’il joue un rôle capital… Il était difficile à Neil Gaiman de fractionner les apparitions de Richard, son héros, ce qui fait qu’on le voit, entre le chapitre 2 et 3, passer dans 11 scènes d’affilée, et à la fin du roman, dans 15 autres scènes d’affilée. Porte apparaît deux fois dans 5 scènes d’affilée. Les autres personnages apparaissent au maximum dans 3 scènes d’affilée. Au delà de 3 scènes, Gaiman laisse de côté son personnage, pour s’occuper d’une autre bande.
Mis à part les exceptions explicables (le héros autour duquel tout gravite, le protagoniste mystérieux), la règle d’alternance semble donc être « pas plus de 3 scènes avec le même personnage ».
N’ayant pas cet exemple chiffré sous la main, j’ai été beaucoup plus drastique, à l’époque, dans la rédaction de mon roman 1, et dans la préparation de mon roman 2 : la plupart du temps, je me forçais à respecter ceci : 1 changement de scène = 1 changement de personnages.
Cela dit, Neverwhere n’est peut-être pas le modèle ultime en matière de variété narrative. Des livres avec un souffle épique, comme la trilogie Star Wars de Timothy Zahn ou les romans de Tom Clancy, auraient sans doute plus à nous apprendre sur l’alternance des fils narratifs. Disons que la « règle des 3 scènes » est un bon principe de base…
4. Dialogues
Une de mes hantises est de mettre, dans le récit, trop de dialogues. Les dialogues sont des moments, chez moi, où les personnages laissent tomber tout le reste pour « taper la discute ». D’un point de vue romanesque, ce sont des points faibles, des facilités d’écriture.
Je n’avais jamais questionné de près les textes que j’apprécie sur cette question des dialogues : jusqu’à quel point peut-on « dialoguer » les scènes ?
Le résultat est plutôt déroutant : la proportion de dialogues dans Neverwhere est de 49 %. Oui, absolument : 1 ligne de texte sur 2 est une réplique de dialogue. Et encore, je n’ai pas compté scrupuleusement, mais j’ai effectué une estimation visuelle page par page. La vraie proportion serait peut-être de 55, voire 60 %.
Cela, pour moi, signifie que :
- Le réflexe dialoguiste n’est peut-être pas si mauvais.
- Ce qui me gêne dans mes dialogues se situe ailleurs…
Et en effet, les personnages de Neverwhere, certes, passent leur temps à se jeter des répliques, mais ils ne laissent pas tout en plan pour autant : ils se parlent en mangeant, en marchant, en de bagarrant, en mourant… Bref, le dialogue n’est pas un moment de suspension de l’histoire ; c’est un moment, au contraire, où l’histoire avance, mais avance autrement.
5. Le blabla explicatif
L’écrivain est obligé de fournir à son lecteur, en temps voulu, des informations pour comprendre le monde qu’il décrit. Même en les réduisant au maximum, certaines de ces informations sont nécessaires. Sinon, on ne comprend pas bien pourquoi l’empereur lance des éclairs avec ses doigts, ou pourquoi le HMS Surprise repart à la poursuite de l’Acheron…
Ces passages explicatifs sont nécessaires mais encombrants : ils sortent le lecteur du récit, ralentissent l’action, rappellent (le cas échéant) que le récit est dit par un personnage omniscient… Bref, l’écrivain doit essayer de maîtriser leur nombre, et de faire passer le maximum d’informations par d’autres moyens.
Quelle est la proportion de scènes de blabla explicatif dans Neverwhere ? J’ai relevé une petite quinzaine de ces scènes où le récit est véritablement suspendu pour permettre à l’invisible monsieur Je-sais-tout de ramener sa science. Le reste du temps, des informations sont fournies, bien entendu, mais à travers les actions des personnages, ou ce qui leur arrive… 13 scènes sur 141, soit un petit 9 %. 1 scène sur 10, pas plus, est consacrée au blabla. Et, on s’en doute, la plupart d’entre elles sont situées dans le premier tiers du texte.
Attention, quand je parle de « blabla explicatif », je ne veux pas évoquer des exposés complaisants s’étalant sur 12 pages, racontant le « background » sur cinq siècles et 15 générations. Le pur blabla explicatif de Neverwhere, en général, tient dans 1 ou 2 paragraphes d’une scène. À nous de nous débrouiller avec ça, et, curieusement, cela est parfaitement suffisant.
Les effets négatifs du blabla sont aussi atténués par le recours à des procédés. Neil Gaiman camoufle ses passages informatifs en moments d’action. Les procédés qu’il utilise ne sont pas bien originaux, mais ont le mérite de nous garder dans l’action :
- le mystère : le personnage ne voit que l’énigme ; l’explication sera donnée plus tard (au soulagement du lecteur) ;
- les effets du background (Richard, maintenant qu’il a voyagé dans le Londres d’en-bas, devient invisible au Londres d’en-haut) : pour montrer comment fonctionne un nouveau monde, il suffit de montrer à quel point il influence la vie des personnages.
- le passé individuel : pour formuler l’Histoire, faire raconter, par un personnage, son histoire individuelle ;
- un symbole à identifier : ancrer la révélation du background à un objet, un symbole qui a une importance dans l’intrigue ;
- la digression assumée (lui donner un ton touristique ironique) ;
- les dialogues ! Il n’y a pas de docte narrateur qui nous informe, nous, mais un personnage ignorant qui questionne le personnage qui sait…
Le dernier procédé montre, à mon avis, pourquoi Neil Gaiman a autant de dialogues dans son texte, et si peu de blabla explicatif : c’est le dialogue qui remplit cette fonction ! Et en effet, l’essentiel du « Londres d’en-bas » est expliqué au lecteur à travers les répliques, les silences, les sous-entendus des personnages.
créer une histoire qui fonctionne : la statistique au secours de l’écrivain
Voici donc quelques données intéressantes extraites d’un texte, au moyen d’une misérable feuille de calcul. Il m’a fallu deux soirées pour prendre des notes sur ce roman, puis pour les synthétiser. Le gain en termes de connaissance, de méthode, est important pour moi.
Il peut être intéressant, parfois, de prendre sa pelle et de creuser. En tant qu’écrivains, nous avons notre lot de doutes. Tout est doute, chaque ligne, chaque mot de plus est un doute. Si un tableur et quelques formules peuvent nous aider, de temps en temps, à décider, pourquoi nous en priver ?
Et d’après toi, mon raisonneur internaute ? D’où vient l’efficacité des textes de N. Gaiman ?
Enfin, il est de retour !
Bon, tu me connais, je suis plutôt du genre à râler au fond de la salle, près du poêle, plutôt qu’à avaler chacune de tes paroles, béat au premier rang. Mais comme de manière générale j’aime les stats (même si je me méfie grandement de leurs applications, a fortiori dans le domaine de l’écriture) j’ai lu ton article avec plaisir.
Au bout du compte tu as démonté l’horloge « Neverwhere », grâce à toi nous connaissons donc un peu mieux le fonctionnement de ce très bon roman… Ceci dit, il serait certainement plus significatif de démonter le mécanisme d’un roman de type Harlequin : ceux-ci étant tous conçus sur le même modèle, en étudier un revient à tous les étudier, ce qui n’est pas le cas des bons romans où la vérité d’une œuvre ne sera pas celle d’une autre. En ce sens il peut être dangereux de se livrer à des comparaisons rassurantes du style « Gaiman utilise telle proportion de dialogues, je fais pareil, alors je dois être dans le vrai… »
Mais j’ai surtout tiqué lorsque tu écris que, « à la différence des horloges, on peut démonter un texte autant qu’on veut, il continue à fonctionner ». Ce n’est pas l’expérience que j’en ai. Fut un temps, je me suis moi aussi beaucoup intéressé à la façon dont « tout cela fonctionne », autant par pure curiosité que pour améliorer mon écriture. Je ne pouvais plus lire sans analyser, décortiquer, chercher les ficelles et tenter de percer les mystères du prestidigitateur… Bref : je ne pouvais plus lire. Une fois l’horloge démontée, elle ne fonctionnait plus. A cette époque je prenais cent fois plus de plaisir devant un bon film (ou même un mauvais) que devant un bon roman, n’étant pas cinéphile, je pouvais jouir du spectacle sans le voir gâché par des questions de pure technique… Sans doute cette période a‑t-elle bénéfique pour moi, en tant que lecteur et en tant qu’auteur, en me permettant d’intégrer des mécanismes qui, aujourd’hui, sont devenus naturels et donc invisibles. Mais que ce fut douloureux !
Ha, je savais bien que j’avais reconnu cette petite voix flûtée là-derrière…
Sur le premier point, je pense que je me fais mal comprendre : j’ai choisi Neverwhere parce qu’il s’agit, pour moi, d’un modèle. Je trouve intéressant de le rapprocher de ma propre écriture car sans arrêt, je me rends compte que je fais du « Neverwhere sans le savoir ». Il me semble plus honnête envers moi-même, en tant qu’écrivain, de regarder la chose en face et d’essayer de contrôler un minimum cet agaçant fantôme romanesque…
L’idée de l’article est de montrer aux lecteurs du blog comment tirer quelque chose des textes que l’on apprécie, pour aller plus loin que le constat un peu passif, un peu plat : « Oh, moi ? J’ai beaucoup d’influences. »
A chacun, si la démarche lui paraît intéressante, de l’appliquer à ses propres idoles. Pour ma part, je rumine une petite opération à cœur ouvert de Rebecca, quelques dissections de textes de Borges, de Poe, de Boulgakov… J’ai aussi sous le coude une ébauche d’étude sur les personnages à double jeu, dans le manga Requiem from the darkness…
Sur le deuxième point, je ne suis simplement pas d’accord avec toi. Je dois faire état de l’expérience opposée à la tienne. Je n’ai jamais eu plus d’énergie, de plaisir à écrire, que lorsque j’étais plongé à temps plein dans des recherches et des études de texte. Les questions de technique me passionnent, quel que soit le domaine. C’est un réflexe naturel chez moi : plus je sais comment les choses sont (bien ou mal) construites, plus j’ai envie de construire. Et je trouve même les contre-exemples plus stimulants que les modèles…
Cela dit, sur cette question, je reconnais que l’on peut se ranger avec
En fait, si l’on compare nos expériences respectives et contradictoires en matière de décorticage de textes, on ne devrait pas parler de démontage d’une horloge, mais plutôt de préparation d’une dinde : soit la vue de toute cette chair appétissante nous met l’eau à la bouche, soit la manipulation de la tripaille nous dégoûte pour de bon de la volaille…
Je ne dis pas que toute cette barbaque est forcément appétissante.
Simplement, il faut parfois mettre les deux mains dans du froid, du gluant et du sanguinolent, pour apprendre à cuisiner.
Bonne année à toi et à tous ceux qui suivent nos échanges si… aériens ?
Bien le bonjour Messieurs,
Un gros gros coup de gueule pour commencer : j’ai du m’inscrire au moins trois fois à la « newsletter », ce qui signifie que, n’ayant pas été averti de la publication de cet article, elle ne fonctionne tout simplement pas ! Ce qui est un comble, quand il y a si peu de lieux sympathiques où se promener sur le net littéraire, et qu’on en connaît donc au moins un !
🙂
Et maintenant, essuyez mes lumières :
J’aurai tendance à penser comme Oliv du point de vue du décorticage de texte, mais évidemment, ça dépend surement de ce qui stimule tout un chacun. Et Oliv, donc, de s’oublier (pardon) en lisant un bon texte, quand il te semble, à toi Nicolas, qu’un effort supplémentaire d’analyse comble davantage l’intellect, et augmente même le plaisir.
Tout ceci à probablement aussi à voir avec la façon dont chacun lit, et ce qu’il recherche. Ceci étant aussi, bien entendu, relié à la façon dont tout un chacun écrit.
Je trouve qu’il est intéressant de « détricoter » un livre comme tu l’as fait (livre et même auteur que je ne connais pas). J’ai pu moi aussi y penser, de temps à autre, mais j’aurais été bien en peine, faute peut-être de vraiment m’y intéresser, de savoir par quel bout mener une telle analyse. Donc pourquoi pas s’en tenir, oui, à une structure de phrases, à un nombre d’apparitions de personnages. Je comprends à quel point, si l’on s’intéresse de très près à la mécanique, tout ceci doit être enivrant. Pour autant, l’interprétation des faits qui sera menée, même de façon disciplinée, n’est aussi peut-être que le reflet de ce que nous sommes capables de concevoir quant au texte, et à ses ressorts intimes ; entendu, ce que nous sommes capables de concevoir, en l’état de nos connaissances.
On apprend certainement, en commençant par observer des signes, je ne mets pas ceci en cause, mais sera-t-on jamais capable de les interpréter de la manière adéquate, et de ne pas en tirer de « formule », comme dit plus haut dans un de vos commentaires ? Cette forme de concision observée chez l’un ne résulte-t-elle pas d’un apprentissage plus difficilement restituable de « sa » méthode ?
Je pense que pour faire face à ces écueils, il n’y a plus qu’à continuer, encore et plus loin, ce genre d’investigations. Et à apprendre, également, à ne pas prendre à la lettre les choses. Un peu comme ce que fait un auteur en son for intérieur, finalement.
En tout cas je trouve ça intéressant. Intéressant, aussi, de chercher le parallèle avec sa propre démarche/écriture, pour parvenir à se situer sur une certaine échelle ; je ne sais pas ce que cela peut valoir concrètement, mais c’est une mesure, qui vaut ce qu’elle vaut.
C’est toujours la même question : il ne faut pas que ces rapports et mesures inhibent, mais qu’elles stimulent. A chacun d’en faire l’usage qui lui convient !
Hello Sylmar, la newsletter est disons en sommeil pour le moment. Tu peux t’inscrire sur le fil RSS du blog pour être averti des nouveaux articles :
https://ecriture-livres.fr/feed/
Je rappelle que ma démarche n’est pas motivée par le plaisir de lecture, mais bien par l’apprentissage de l’écriture. En tant que lecteur, j’essaie de ne pas me soucier des questions de structure… Même si désormais, je ne peux plus rien lire sans prêter attention à cet aspect.
Sur la justesse des points d’observation choisis, et de mes déductions, je suis évidemment avide de discussions. Je suis bien conscient que je regarde toute cette mécanique avec ma propre subjectivité.
On est bien obligés d’observer pour apprendre. Pour apprendre à couper un bifteck (restons dans le culinaire), les yeux et les mains suffisent. Pour apprendre à écrire un roman, c’est plus long, demande plus d’interprétation, de moyens d’observation, car la littérature est certes plus coriace qu’un bifteck.
Content de te voir par ici en tout cas ! A bientôt j’espère…
Bonjour,
Intructif, surtout en ce qui concerne l’alternance « scène brève/ scène courte » et « nombre de scènes avec le même personnage ». Je n’y avais jamais pensé.
Pourtant moi aussi j’aime bien décortiquer, et je n’ai jamais éprouvé de lassitude ou déploré la fuite de la magie après avoir analysé ou questionné un texte ; bien au contraire. A mon avis, c’est parce qu’on a beau décortiquer de plus en plus fin, l’origine exacte du talent ne se laisse jamais attraper complètement (ça fait penser à l’infiniment petit…).
Mais un résultat objectif est toujours intéressant. Par exemple, l’autre jour, j’ai calculé la proportion de dialogues dans un roman de Paul Doherty (3 ou 4 chapitres).
Conclusion : 40% de dialogues. C’est peut-être pour ça qu’à chaque fois que je termine un roman de cet auteur j’ai l’impression d’avoir trop mangé. L’ambiance médiévale : OK ; les personnages principaux : OK ; mais trop d’explications, et surtout trop de redondances.
Quant à la méthode en général, je pense qu’il faut plusieurs règles ou garde-fous pour que ce soit utile :
il faut prendre un livre qu’on aime vraiment. On pourrait dire « Prenez un livre que vous détestez, et faites le contraire. », mais non, ça ne marche pas !
évaluez des critères plausibles (ce que vous avez fait)
ne pas se limiter à un seul roman. Effectivement, dire « tel bouquin est bon, je vais faire pareil » ce n’est pas bon non plus, il faut tenir compte du livre en question, du genre auquel il appartient, du public, etc. Ensuite c’est vous qui pilotez.
PL
Merci Pascal pour ce retour ! Vos garde-fous me paraissent bons, même si le 3e est délicat à appliquer : plus on prendra d’exemples, plus les résultats seront variés et donc difficiles à exploiter…
Concernant les dialogues, je vois une petite divergence peut-être dans ce que nous y mettons : pour moi, dans le roman, un dialogue ne sert pas surtout à expliquer. C’est d’abord un moyen de traduire les postures, les sentiments des personnages, et de matérialiser les conflits. C’est une forme d’action, tout comme une course-poursuite ou une scène de sexe. Si Paul Doherty (que je ne connais pas) se sert des dialogues uniquement pour livrer ses explications, exposer les situations etc., effectivement, cela peut être indigeste, mais plutôt parce qu’il n’utilise pas les dialogues à leur vrai potentiel.
J’ai relu cet article, du coup, et il est vraiment très intéressant ! Je suis notamment stupéfaite, moi aussi, par la proportion des dialogues. Jamais je n’aurais imaginé qu’ils puissent être aussi importants, et pourtant j’ai fini ce livre hier matin. Et l’explication donnée quant à la raison pour laquelle on ne se rend pas compte de la place qu’ils représentent est très bonne.
Bref, super article, qui fait réfléchir. Merci. 🙂
Et merci infiniment pour ce retour !
Bonjour, je n’ai pas lu cet auteur mais je vais m’y intéresser. Si ce que tu dis est vrai, et je n’ai aucune raison d’en douter, son univers devrait me plaire. Bien aise de trouver ton blog et tes articles bien documentés après m’être baladée tout l’après-midi dans des blogs d’écriture pour n’y collecter qu’un ramassis de conseils à la noix, toujours les mêmes, dont je suis un peu lasse, j’avoue. Je réclame, à cor et à cris, des articles de fonds. Merci. A bientôt.
Merci pour ce retour. J’essaie de réfléchir à fond, et de ne pas garder l’essentiel pour moi…
Avec tous mes articles, tu devrais avoir de quoi t’occuper un peu… 😉