Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Comment monter un projet de BD
- Quel est le travail du dessinateur et du scénariste BD
Si vite lue, et si vite refermée… Voilà ce que l’on entend souvent dire à propos de la bande dessinée. Et comme un album se lit vite, on s’imagine qu’il est vite fait. Le scénariste de BD est même parfois pris de haut par ses collègues écrivains de « pur texte ». Or, quand on sait comment faire une BD, les choses ne sont pas aussi simples… Une bonne BD se lit vite, mais elle se relit, se re-relit ; elle reste en mémoire, comme un bon film ou comme un bon roman. Et l’écriture d’une bande dessinée, car il s’agit bien d’écriture, n’est pas de tout repos.
Vous êtes écrivain, poète, nouvelliste, dramaturge… découvrez à quoi votre camarade de la BD passe ses jours et ses nuits. Dans cet article, nous allons passer de l’autre côté des cases et des bulles… dans les coulisses de la création de BD.
Pourquoi moi ?
Avant toute chose, il est peut-être utile que je me situe par rapport au propos.
Je ne suis pas scénariste BD confirmé, loin de là. J’ai été, comme la plupart des enfants, lecteur de BD. Passée l’adolescence, je n’en ai plus beaucoup lu. Durant mes années d’étudiant, ma chambre débordait de « classiques » de la littérature à lire et à commenter ; il n’y avait pas beaucoup de place pour la BD…
Les hasards des rencontres entre entrepreneurs m’ont fait croiser la route d’Éric Catarina, porteur de projet. Ce qui à l’époque n’était qu’une idée d’entreprise est devenu une vraie maison, les Éditions du Long Bec. Cette structure publie exclusivement des BD, rattachées, d’une façon ou d’une autre, à l’Alsace.
D’une idée évoquée en passant, nous en sommes arrivés à un album BD à part entière, Envols. Cette fiction prend comme point de départ un épisode de la vie de l’écrivain-aviateur, et déroule une mystérieuse histoire de manuscrit perdu et retrouvé…
J’avais sous le coude plusieurs romans, et j’avaisi publié quelques nouvelles en revue ou en anthologie. Je connaissais la circonstance historique en question ; j’avais déjà écrit à ce sujet. Pourtant, je ne pensais pas faire, de cette histoire, une BD. C’est Éric Catarina qui en a eu l’idée.
La perspective de voir mes scènes, mes personnages mis en images, m’a emballé ; j’ai accepté.
Comment faire une BD : la « dream team »
La réalisation d’une bande dessinée, comme celle de n’importe quel livre, demande plusieurs talents, c’est-à-dire plusieurs personnes.
En l’occurrence, l’équipe qui réalise un projet BD se compose de…
- Scénariste : c’est souvent à lui que l’on doit l’idée de départ. Son travail est de mettre l’histoire sur pied, puis de la traduire en directives pour le dessinateur. Parfois, comme dans mon cas, ces deux missions sont réparties entre 2 co-scénaristes. Alors que j’ai écrit l’histoire d’Envols, c’est Roger Seiter, un scénariste réputé, qui s’est chargé du « découpage ».
- Dessinateur : attention, si vous ne voulez vexer personne, ne parlez jamais d’« illustrateur » en bande dessinée. Le dessinateur s’appuie sur le découpage préparé par le scénariste pour dessiner, case par case, les planches de l’album BD, et l’illustration de couverture. Parfois, le dessinateur est aussi le scénariste. Une fois les planches finalisées, le dessinateur, ou un graphiste, choisit une typo et place le texte dans les bulles (le « lettrage »).
- Coloriste : la mise en couleur est un art à part entière. Certains intervenants sont donc spécialisés dans le métier de coloriste. Dans le reste des cas, c’est le dessinateur qui se charge de la mise en couleur.
- Graphiste : On pourrait penser que le travail de mise en pages, dans une BD, n’est pas bien difficile… Pourtant, le graphiste est indispensable ! C’est lui qui donne l’ambiance de la BD, en concevant la couverture, la 4e…
- Éditeur : comme dans les livres de « pur texte », l’éditeur est celui qui prend le risque financier de la publication, et garde une vue d’ensemble du travail. Son œil critique permet à chaque intervenant de donner le meilleur de lui-même. Il est présent à chaque étape, depuis l’idée jusqu’au contrôle des l’impression sur les rotatives de l’imprimeur.
- Prestataires techniques : imprimeur, relieur, communicant…
Le parcours d’écriture
Le processus de création d’une BD ne se déroule pas au hasard. Faire un album de bande dessinée demande de l’organisation, et du temps !
Laissons de côté les autres intervenants, et concentrons-nous sur le scénariste. Voici les différentes étapes de sa mission…
L’idée
Au départ, comme le nouvelliste ou le romancier, le scénariste formule une idée. Celle-ci doit tenir en quelques lignes, 2–3 phrases minimum. Elle doit, déjà, contenir le début, la fin, et montrer l’intérêt principal de l’histoire envisagée.
Le séquencier
Ce document de 10–15 pages décrit, scène par scène, le déroulement de l’histoire. Le scénariste le traite comme un récit neutre, comme une nouvelle, les effets littéraires en moins. Même les dialogues sont, à ce stade, indésirables.
Pour rédiger son séquencier, le scénariste peut passer par une phase de construction du scénario sous forme de tableau. Dans le cas d’Envols, l’album se compose de deux histoires séparées, qui se répondent et se rejoignent à la fin. On compte 2 couples de personnages principaux. Pour mettre au point les actions des uns et des autres, les révélations etc., le recours à un schéma chronologique était indispensable.
Le découpage
À partir du séquencier, le scénariste répartit l’histoire selon le nombre de planches dont il dispose. Une planche correspond à une page d’album. Les albums BD, en France, comptent en général 46 ou 52 planches. Les planches se répartissent en 3 ou 4 bandes (strips), divisées en cases. Une planche au format « franco-belge » comporte en moyenne 7 à 8 cases.
Les scènes qui ont été créées dans le séquencier ne seront pas toutes de la même longueur. Une scène peut occuper une demi-planche aussi bien que 3 planches.
Pour chaque planche, le scénariste décrit, case par case, le cadrage, le décor, le placement des personnages (s’il y en a), leur attitude, leur action… Chaque bulle de dialogue est indiquée, ainsi que les « récitatifs », les textes explicatifs encadrés.
Tout l’art du scénariste, à ce stade, est de transformer un récit « continu », celui du séquencier (qui fonctionne, rappelons-le, comme une nouvelle littéraire) en cases. Tout ne pourra pas être dit. C’est au lecteur d’interpréter ce qui se passe d’une case à l’autre ; ce phénomène est appelé la « continuité narrative ».
Le scénariste, au moment du découpage, doit donc veiller à bien résumer chaque scène, tout en variant les cadrages, et en trouvant celui qui correspond le mieux à chaque situation.
Le suivi du dessin
Une fois le découpage achevé, le scénariste n’a pas terminé son travail pour autant. Pas question pour lui de partir aux Baléares ! Il lui faut rester sous nos cieux grisâtres, pour suivre le travail du dessinateur. Et la phase de dessin prend… un temps certain.
Le dessinateur travaille sur chaque planche en trois étapes. Pour chacune, le scénariste vérifie que le séquencier est bien respecté :
- Crayonné : le dessinateur esquisse, pour chaque case, la position des personnages, les attitudes, les arrière-plans…
- Encrage : Une fois que le contenu des cases est fixé, le dessinateur trace tous contours définitifs et « efface ses traces »
- Mise en couleur : le dessinateur (ou le coloriste) donne des couleurs à chaque case, en veillant entre autres à conserver, sur chaque planche, la même dominante…
Pour Envols, un travail supplémentaire a été nécessaire : comme ce récit a une base historique, il a fallu faire de longues recherches iconographiques et bibliographiques. Il nous a fallu aussi arpenter la ville concernée avec un appareil photo pour prendre des vues correspondant aux cadrages prévus.
Enfin, pour ne pas faire trop d’erreurs techniques, nous avons modélisé sur ordinateur les deux avions mis en scène, le Farman F40 et le SPAD C XX. Toutes ces tâches sont revenues aux scénaristes.
Les interventions annexes
En fin de projet, il reste souvent au scénariste quelques bricoles à faire. Pour Envols, j’ai été associé aux relectures. Une BD ne comporte pas beaucoup de texte, mais des fautes de frappe, des erreurs typographiques trouvent toujours le moyen de se faufiler !
Par ailleurs, nous voulions ajouter une mise au point historique en fin d’ouvrage. J’ai été chargé de rédiger ce texte supplémentaire.
… et l’addition, s’il vous plaît
Le projet d’Envols a été initié en avril 2012. L’album est paru début octobre 2013. Il a donc fallu plus d’une année entre la première ligne du projet et l’arrivée du livre en librairie.
Pour les deux co-scénaristes réunis, les heures de travail se sont réparties comme suit (effectuées, en ce qui me concerne, par séances de 3–4 heures par soirée) :
Étape | Heures |
Idée | 5 |
Séquencier | 60 |
Découpage | 60 |
Suivi du dessin | 50 |
Interventions annexes | 10 |
TOTAL | 185 |
Devenir scénariste
Comme dans les autres domaines du livre, la concurrence est rude pour devenir créateur de BD. Voici quelques informations que j’ai pu glaner durant mon immersion dans cet univers.
Les standards pro d’un projet
Quand un romancier démarche un éditeur, il lui envoie son manuscrit, éventuellement assorti d’un petit dossier de soumission.
Quand un scénariste BD démarche un éditeur BD, il lui envoie un dossier de projet. Ce dossier n’est que l’ébauche d’un travail restant à réaliser, mais doit déjà donner une idée complète du projet.
Un dossier de projet « pro » peut comporter :
- Une note d’intention, qui donne quelques informations éditoriales (genre, public visé…) ;
- L’idée, comme décrite plus haut ;
- Une présentation des personnages principaux, avec quelques études réalisées par le dessinateur ;
- Le séquencier complet ;
- Quelques planches d’essai dessinées, encrées et mises en couleur ;
- Le découpage de quelques planches ;
- Les coordonnées du scénariste et du dessinateur ;
- Le tout dans une mise en page attrayante, agrémentée de quelques dessins d’ambiance.
Même si le projet n’est pas sûr de trouver preneur, il réclame un important travail de formulation, de présentation, afin de déclencher l’intérêt de l’éditeur.
Le duo scénariste-dessinateur
Les scénaristes fonctionnent en duo avec leur dessinateur, pour des travaux occasionnels ou des collaborations plus régulières.
En général, scénariste et dessinateur s’associent pour proposer un projet d’album commun à un éditeur. Ceci n’empêche, pas, bien sûr, l’éditeur de jouer les marieuses, d’associer le scénariste à un autre dessinateur, ou le dessinateur à un autre scénariste, s’il pense que le projet a plus de potentiel autrement.
Se former à l’écriture scénaristique
En France, contrairement au monde anglo-saxon où cette matière fait partie du cursus universitaire de lettres, il est difficile de se former à l’écriture scénaristique. L’idée même que l’écriture s’apprend, peut choquer bon nombre d’auteurs…
Des formations au scénario existent en France. À côté de quelques formations au scenario BD, il existe de nombreux cycles, d’un ou deux ans, dédiés au scénario audiovisuel.
Certains livres traitent de l’écriture scénaristique, là encore pour le cinéma. Je suis en train d’en éplucher certains, et je ne peux donc pas encore en parler en connaissance de cause.
Se trouver un mentor, un vieux briscard du scénario, puis travailler avec lui, est peut-être une meilleure solution, mais dépend beaucoup du hasard des rencontres… et de sa propre capacité à le convaincre.
Enfin, des « script doctors » ou conseillers en écriture peuvent intervenir sur votre projet de scénario, que ce soit pour le cinéma, pour un roman, une nouvelle ou une bande dessinée. Leur prestation est payante, mais elle vous permet, comme avec un mentor, d’« apprendre en faisant ».
Pour en savoir plus sur mes petits chéris :
Et toi, délicat internaute ? Tu t’es déjà essayé aux plaisirs de la création de BD ?
Ça faisait longtemps qu’on avait pas eu de vos nouvelles, tiens !
Sujet original que l’écriture de BD, en tout cas je n’avais lu que très peu de billets là-dessus. Très intéressant. J’ai bien envie de m’acheter le premier tome d’Envols, au passage !
Oh, merci ! J’en suis touché !
Ne manquez pas, la semaine prochaine, une interview passionnante du traducteur Cédric Degottex…