Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • Progresser en écriture
  • Les rituels
  • Réflexions sur les « bons polars »

Grégoire Gauchet, jour­na­liste et écri­vain, me parle de ses pro­cé­dés d’é­cri­ture et de ses points de vigilance…

Un livre de Grégoire Gauchet res­semble à un voyage qui com­mence bien, et qui peut finir… n’importe où. À par­tir de quelques per­son­nages bien typés, notre polar­deux monte des romans-catas­trophes louf­dingues, cyniques et rigolards.

Sabotages et effeuillages, notam­ment, sont les deux géné­reuses mamelles de son der­nier opus, Meurtres bio au châ­teau. À quoi s’ajoutent quelques mines bien pla­cées : dans Meurtres bio, tou­jours, l’auteur se paye le monde des poli­ti­ciens ver­dâtres et des éco­los de façade.

Loufoquerie, certes, mais tout à fait maî­tri­sée. Ses his­toires sont « polar » jusqu’au bout des ongles : sus­pense, mys­tères, coups tor­dus arrivent tou­jours au bon moment.

Monsieur Gauchet, jour­na­liste dans un quo­ti­dien régio­nal, signe là son qua­trième livre, si l’on met à part un ouvrage d’érudition sur le ski.
Il m’a accordé quelques moments, pour me par­ler de son exis­tence d’écrivain édité.

NK : Grégoire Gauchet, bon­jour. D’abord, pou­vez-vous me dire, pour vous, ce qu’est un bon polar ? 

GG : À mon sens il n’y a pas un bon polar mais une plu­ra­lité de bons polars. C’est un genre très riche, en constante évo­lu­tion, et on y trouve heu­reu­se­ment des familles variées : roman à énigme, roman noir, thril­ler, polar pro­cé­du­rier, poli­cier humo­ris­tique. Mais disons qu’au-delà de la forme choi­sie, il faut d’abord une bonne his­toire qui tienne la route, puis une ten­sion qui main­tienne le lec­teur en haleine, lui donne envie de tour­ner la page. L’histoire n’a pas besoin d’être com­plexe, elle peut aussi être simple et tenir par l’écriture, la patte de l’auteur. J’apprécie sur ce point tout par­ti­cu­liè­re­ment l’œuvre de David Goodis, ses ambiances, sa capa­cité à faire avan­cer l’histoire par les per­son­nages, à affran­chir ceux-ci d’une trame trop visible : ils sont là devant nous, ils pal­pitent et font avan­cer l’histoire. J’aime aussi beau­coup les livres de Manchette, ses his­toires au scal­pel, son éco­no­mie de moyens, son effi­ca­cité. Le Haut Fer de Giovanni est aussi un livre remar­quable. Dans un tout autre style, les Exbrayat de la série des Imogène ou des Tarchinini me ravissent. Je crois que l’important c’est d’abord de prendre du plai­sir à la lec­ture et quand on com­mence une his­toire de se poser la ques­tion : quel livre ai-je envie d’écrire ? Quel sujet j’ai envie de trai­ter ? Et quelle forme me semble la plus oppor­tune pour par­ve­nir à mon but ?

NK : Vous écri­vez à quel rythme ? Est-ce qu’il vous faut une mise en condi­tion particulière ?

GG : De par ma pro­fes­sion je suis habi­tué à pondre des kilo­mètres de copie jetable. Mais bon, on peut écrire vingt pages d’inepties par jour, ce n’est pas l’empilement et l’abondance qui feront la qua­lité d’un texte. L’important c’est de don­ner du rythme à ce qu’on écrit, de trou­ver son rythme. Et là c’est très aléa­toire, vous pou­vez « vasouiller » pen­dant des jours avant d’avoir la sen­sa­tion de trou­ver un rythme. Mais si on a le rythme, géné­ra­le­ment, la musique suit.

Grégoire Gauchet
« Si on a le rythme…
… la musique suit. »

Cela dit, je tra­vaille géné­ra­le­ment en trois phases. La pre­mière, c’est la période pré­pa­ra­toire, celle du car­net et du stylo dont je ne me sépare jamais car j’ai une mémoire en gue­nilles. Je note dès qu’une idée, bonne ou mau­vaise, me tra­verse la tête ; ça peut être des sujets, des phrases, des débuts, des fins, des per­son­nages, l’ambiance de lieux, des apho­rismes, des réflexions, tout cela pen­dant des mois. Puis je reprends tout, je trie, je jette, je garde, je déve­loppe, j’élimine, je recycle. Ensuite, je m’enferme plu­sieurs semaines et je tra­vaille comme un bagnard : j’écris. C’est à la fois jouis­sif et pénible. Ce sont par­fois de grands moments de soli­tude, une vraie épreuve d’usure à laquelle il faut se pré­pa­rer. Je com­pa­re­rais ça à une tra­ver­sée de l’Atlantique à la voile en soli­taire : vous par­tez et vous ne savez pas quelle météo vous allez avoir et si vous arri­ve­rez un jour sur l’autre rive. Pendant tout ce temps, je vis avec mes per­son­nages et la coha­bi­ta­tion n’est pas tou­jours facile. Surtout pour eux, car j’ai une fâcheuse pro­pen­sion à zigouiller tout le monde. J’ai besoin de cette claus­tra­tion pour avan­cer. Je m’arrête quand j’ai fini un pre­mier manus­crit relu et rec­ti­fié et cor­rigé et je n’y touche plus. Je laisse repo­ser deux mois l’histoire sous un meuble puis je reprends tout, impi­toyable, en m’efforçant à la luci­dité : je sabre, je ravaude, j’ajoute… je remets le tra­vail sur le métier jusqu’à ce que je sois satis­fait du résultat.

NK : Vous avez à ce jour publié chez trois édi­teurs dif­fé­rents. Qu’est-ce que vous avez le plus appré­cié, chez votre édi­teur préféré ?

GG : J’apprécie le sérieux, le pro­fes­sion­na­lisme ; un édi­teur qui autop­sie le texte, en relève les fai­blesses, argu­mente, ouvre la dis­cus­sion. Je suis ouvert aux remarques : je crois qu’on peut tou­jours amé­lio­rer une his­toire, qu’il y a des choses que l’auteur ne dis­cerne plus à force d’avoir le nez des­sus et qu’un regard exté­rieur, déta­ché, et pro­fes­sion­nel, iden­ti­fiera. J’aime aussi que les délais soient tenus.

NK : Vous aviez des défauts de jeune écri­vain ? Lesquels ? Vous les avez combattus ?

GG : C’est une bataille per­ma­nente. Tout jeune écri­vain de 20 ans s’est un jour pris pour Rimbaud. Ceci dit, si tout le monde gom­mait ou cor­ri­geait ses défauts, on écri­rait tous de la même façon et qu’est-ce qu’on s’embêterait. Je crois qu’il y a des défauts de jeunes écri­vains, se regar­der écrire par exemple, et des défauts de vieux écri­vains : regar­der un peu trop les autres écrire, se répéter.

NK : Un petit tea­sing sur vos pro­jets d’écriture, sur votre actu d’automne ?

GG : À vrai dire, je n’aime pas trop par­ler des livres en cours, j’ai une sorte de super­sti­tion à ce niveau. J’ai peur que le fait d’en par­ler ne leur porte la malé­dic­tion du tom­beau. Alors sans entrer dans les détails, j’ai trois ouvrages en chan­tier. J’en ai ter­miné le gros-œuvre, j’ai mis l’électricité et le gaz, mais il me reste toute la déco à faire, voire quelques pièces à rema­nier, sans par­ler du jar­din. Le pre­mier est un roman poli­cier court et sec sur le thème du men­songe, le second un roman noir, une his­toire sur­gie du passé qui inter­roge l’époque de l’occupation nazie, le troi­sième un roman-roman gigogne pas du tout poli­cier. Quant à savoir si l’un d’eux sera un jour publié… une chose est sûre mon cher Watson, c’est que ce ne sera pas pour cet automne.

NK : Grégoire Gauchet, je vous remer­cie. Les lec­teurs qui veulent en savoir plus peuvent entre autres consul­ter votre fiche sur Babelio.

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