Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Quelques regards en coulisses de l’édition
- Postures d’auteur : celle d’un vieux briscard de la littérature
- Introduction à une bio passionnante d’un grand auteur de polars
Présentation et exploration d’une autobiographie parue récemment : celle de Max Genève, auteur d’essais et de littérature.
Retour sur une lecture délicieuse et pleine d’enseignements pour tous les écrivains.
40 ans. 40 ans d’écriture de fiction. Max Genève est né en 1945 et a publié ses premiers textes de romancier en 1982. Auparavant, il avait déjà lancé plusieurs « pavés dans la mare » dans son domaine de recherches, la sociologie, notamment un essai visionnaire sur les medias, Information Mystification. Celui qui s’appelle encore Jean-Marie Geng passe donc, cette année 82, à la littérature, et se cherche un pseudonyme : ce sera Genève, Max Genève. Il écrit d’abord de la « blanche », de l’érotisme, avant d’aborder le polar en 95.
Aujourd’hui, il jette un regard en arrière, sur un parcours d’auteur d’envergure nationale. Il a publié chez Zulma, Safran, Stock, il a été un ami proche de Derrida. Il a créé ce personnage de détective épouvantablement atypique : Simon Rose, gros dormeur, dragueur malgré lui, affublé d’un psychanalyste dépressif et d’une Coccinelle caractérielle, Béatrice.
Dans un ouvrage croustillant paru au Verger en septembre 2021, Max Genève revient sur son parcours littéraire.
Ce blog furète partout à la recherche de miettes de connaissances sur la vie des auteurs. La vie d’auteur de Max Genève ne pouvait pas nous échapper… Voici quelques morceaux choisis et petites réflexions pour vous, camarades écrivains.
Morceaux choisis
De la qualité des livres
Sur les forums, dans les groupes Facebook, les disputes sur la qualité objective des livres font rage. Je ne suis pas le dernier à m’en mêler, d’ailleurs ; j’ai même voulu vous asticoter, chers lecteurs, dans un article sur la critique littéraire…
Genève a une opinion assez différente ; et comme elle est bien balancée et qu’elle vient d’un fin observateur, elle me semble tout à fait digne d’être rapportée ici :
Très tôt, pourtant, j’ai compris que l’autorité en littérature appartient à nos textes comme une vertu constitutive. J’étais l’auteur, le seul à pouvoir les écrire. Leur existence, comme la mienne, était liée à leur singularité. Je n’avais donc pas à me soucier de ma place dans une échelle de valeurs. Je n’éprouvais aucune envie face à des confrères, certains, amis proches, qui avaient connu le succès et se trouvaient situés haut sur cette échelle. Ces classements étant du reste tout relatifs, le temps pouvait les défaire, les inverser.
Je voyais, je vois toujours dans la littérature un acte unique et singulier d’appropriation du monde, du langage. Avant d’être bons, beaux, forts, mes livres doivent être bien. Je n’ai pas à me comparer ni à concourir (c’est-à-dire à accepter une certaine dose d’uniformité qui permette la comparaison), à obtenir cette forme extérieure, toute artificielle, qu’est la reconnaissance publique. « Ce n’est que moi, mais c’est moi », disent mes romans. Et quand je lis mes amis, je suis heureux de sentir, d’entendre leur propre voix. Qu’en plus leurs livres soient réussis, me voilà ravi comme si je les avais écrits. (p. 134)
Écriture-plaisir ?
Voici un autre sujet qui revient souvent dans les discours d’écrivains (surtout « en herbe ») ou dans les points de vue des lecteurs : écrire serait avant tout un plaisir, un délassement. Voilà ce que l’on peut trouver p. 151 de La vie d’auteur :
J’observe mon ami dans l’atelier qu’il s’est aménagé dans l’ancienne grange de sa maison de campagne. Il met la dernière main à un Spitfire de la dernière guerre, un modèle réduit. J’admire ses gestes lents, précis, précautionneux, sa minutie, sa patience. Sa femme me dit : « Il aime s’enfermer dans son atelier, le silence qui règne ici, l’odeur de colle. Et ça l’occupe, ça le détend, tu sais comme c’est compliqué pour lui au bureau. » (…) Elle ajoute : « Toi aussi, tu passes des heures enfermé dans ton bureau à taper sur ton ordinateur. »
(…) Je n’aimerais pas que ma femme raconte partout que ça m’occupe, que ça me détend, d’écrire. D’ailleurs ce serait faux, l’écriture ne me calme pas, même si elle me prend la tête.
Ici, je l’approuve totalement : si écrire n’était que pur loisir, pourquoi resterait-on éveillé tandis que tout le monde dort ? Pourquoi des idées de scènes, de personnages, des changements à noter absolument nous viendraient-ils au volant de la voiture, aux pires moments, avec une frustration, un regret, la peur atroce de ne pas pouvoir les noter sur-le-champ ? Pourquoi rouvrir son fichier, son manuscrit, même à des heures indues ? Pourquoi se sentirait-on coupable de baguenauder sur les réseaux sociaux à l’heure de son écriture quotidienne… ? Si plaisir il y a (et plaisir il y a, c’est certain), il vient de l’écriture même, de l’objet littéraire fabriqué ; pas de l’activité d’écrire…
Tous pareils dans l’originalité
Notre société nous encourage à nous sentir uniques : c’est bien commode pour nous vendre tout un tas de machins. Les écrivains sont spécialement, et depuis bien longtemps, vulnérables à ce discours. Depuis le romantisme (au moins), l’auteur fait de sa singularité une revendication, une carte de visite, un stigmate, une marque d’élection… Et Genève, qu’en pense-t-il ?
Rien qu’en Europe, en ce moment précis, plusieurs dizaines de milliers d’auteurs sont sur un roman. Tous les matins que Dieu fait, ils se couchent sur le papier, alignent des phrases, remplissent des pages. Patience, minutie, silence. Et cette absurde, orgueilleuse prétention à l’unicité, à la singularité qui nous tenaille et nous est si commune. (p. 151)
Semblables dans le désir d’être uniques… Voilà un bien beau paradoxe, que je n’ai, personnellement, pas fini de digérer ; Max Genève nous apporte, ici aussi, un regard très décapant.
Démarchage
Et concernant ce qui nous intéresse le plus directement sur ce blog, le démarchage ?
Max Genève est résolument un partisan des agents littéraires, même si sa collaboration avec l’un d’entre a coûté cher à sa carrière (je vous laisse découvrir comment, dans le livre). En tout cas, au fil des années, il a brassé de la correspondance avec les éditeurs, et notamment un bon paquet de lettres de refus, comme il le raconte ici :
Comme nombre de mes pairs, je me suis plus d’une fois trouvé dans la détestable situation de me chercher un éditeur. Cela n’arrive pas aux bons vendeurs, et ne devrait plus arriver à quelqu’un qui s’est voué à l’écriture et « vit de sa plume ». C’est le rôle des agents littéraires, mais voilà, la plupart des éditeurs français préfèrent s’en passer. (…)
J’ai donc reçu moi aussi mon lot de lettres de refus, qui sont un genre littéraire en soi et présentent ainsi le mérite de permettre à l’inculture, à la prétention, à la simple bêtise de certains lecteurs ou directeurs de collection de s’étaler librement. (…)
Parfois pourtant, la lettre de refus, quand elle est signée par un esprit honnête, scrupuleux et sincère, peut se révéler d’un grand secours, surtout pour un jeune auteur encore en phase de consolidation. (pp. 198–199)
Voilà une chose que je vous disais dans le tout premier article de ce blog, il y a plus de 10 ans maintenant ; et cela fait plaisir de le lire sous la plume d’une personne bien plus rompue à l’édition, bien plus expérimentée que moi.
Portrait d’éditeur
Une dernière pour la route ?
Voici un portrait d’éditeur… A notre époque où, plus que jamais, on n’entend que mépris et hargne contre cette profession, où tout le monde pense pouvoir tout faire tout seul, on a un peu oublié à quoi sert, réellement, ce maillon de la chaîne du livre ; ce que peut être l’amour du métier, de ce métier. Qu’il y a de grands éditeurs comme il y a de grands auteurs, ce qu’ils ont à l’esprit et dans le cœur. Voici, vu par Genève, la grande figure de Christian Bourgois :
On le disait mondain. En réalité, il masquait sous les dehors élégants et désinvoltes du dilettante (au sens fort et original du « passionné ») un doute lancinant et une profonde mélancolie. Il était un véritable éditeur, en témoigne son impressionnant catalogue, qu’il considérait comme son œuvre. Cultivé, grand lecteur, travailleur acharné, pas insensible aux modes, plus réceptif aux poètes qu’aux romanciers, mais les narines grand ouvertes au nouveau, il lisait les livres qu’il publiait, prenait des risques, aimait les écrivains et les artistes, savait en parler avec chaleur et pertinence (…) Il m’accompagnait à la télévision quand j’étais invité ; il savait donner à son interlocuteur le sentiment que lui aussi pensait que la littérature n’était pas un vain mot. (p. 198)
Tous à Genève !
Voilà, mes lacustres internautes, le genre de pépites que l’on peut trouver dans cette somme autobiographique.
La vie d’auteur est un regard sur les coulisses, mais un regard depuis une position éminente, informée… et malicieuse. Si vous voulez connaître la vie littéraire, son évolution depuis 3 décennies, les mécaniques de l’écrivain, mais aussi les coulisses des prix, des résidences d’auteur, des bureaux d’éditeurs ; plus encore, si vous voulez faire la connaissance d’une personne entière, et passionnante, servie par une plume claire et juste, ne ratez pas La vie d’auteur ; respirez un bon coup… mettez vous en route… Tous à Genève !
Ne pas perdre son crouton dans la fondue, surtout.
C’est la base.
😀