Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Ce qu’est vraiment une langue
- Les idées reçues par sentimentalisme sur la langue
- Revenir à la langue en tant qu’outil
Mes bien chers frères,
Aujourd’hui, je vous parlerai d’un livre. Un livre plutôt discret, sous sa couverture blanche, un livre de peu de pages : un livre sur notre langue. Et un livre qui atomise jovialement nos idées reçues.
Tout le monde a un avis sur sa langue, et à plus forte raison nous autres, écrivains, qui la manions et la malmenons à longueur de journée. Pourtant, savons-nous vraiment ce qu’elle est, cette langue ? Savons-nous ce que nous voulons dire, lorsque nous la prétendons « belle », « riche » ou musicale ? Marina Yaguello, linguiste, n’est pas née avec le français dans les oreilles. Elle l’a étudié, tout comme l’anglais et le wolof. Dans Catalogue des idées reçues sur la langue paru chez Points, elle met de côté les querelles et les hypothèses scientifiques, et nous raconte, dans une langue extrêmement claire, ce qu’est vraiment notre langue.
L’arbitre des élégances
« Vous qui êtes linguiste… » : combien de fois l’auteur n’a‑t-elle pas entendu cette petite phrase ? Et pourtant, « Confrontée à un mot inconnu, je fais comme vous, j’ouvre mon dictionnaire », confie-t-elle. Un linguiste n’est ni un lexicographe, ni un étymologiste, ni, surtout pas, un grammairien ou un puriste. Un linguiste se contente d’observer et de décrire, sans prendre parti dans ce phénomène éminemment politique qu’est une langue.
Donc, nous n’entendrons pas, dans ce livre, les paroles d’un être divin qui tranche du haut de sa chaire, mais celles d’un observateur, désarmé, d’une sorte de casque bleu de la langue. Car c’est bien là, à tout prendre, la fonction des linguistes.
Trois attitudes
Le discours sur la langue est toujours tenu par quelqu’un. L’auteur distingue trois sorte de propos : explicatif (cherchant à donner des raisons à tel état de langue, à théoriser), appréciatif (jugeant de la beauté, de la logique, de la clarté etc. de la langue), normatif (dénonçant les « corruptions » de la langue). Le plus souvent, le discours de tout un chacun sur sa langue, sur une langue étrangère, est un mélange de ces trois postures. Dans les trois cas, l’on se trompe, et on émet des jugements contestables.
Clichés en rafale
Et c’est parti pour une remise à plat complète de nos représentations. « Grandes et petites langues », « Le don des langues » (on oublie toujours que les peuples « doués en langues » ont simplement intégré le multilinguisme dans leur culture et dans leur fonctionnement social), la « langue maternelle », l’insécurité linguistique, la clarté, la complexité (le français, quoi qu’on en dise, est assez pauvre en vocabulaire, comparé à l’anglais, et fort pauvre en sonorités), la beauté, la difficulté (les langues des « sauvages » ou des Antiques ne sont pas plus simples ou moins simples que nos langues « civilisées » modernes)… rien n’est oublié.
Fier de sa langue ?
Sur la fierté de sa langue, l’auteur écrit :
Un cajun de Louisiane déclarait récemment au cours d’un reportage télévisé – dans un français approximatif : « Nous sommes fiers de la langue française et nous voulons la conserver. » Quand les gens se sentent obligés de proclamer qu’ils sont fiers de leur langue, il y a des raisons de s’inquiéter pour la langue en question. Le français est condamné en Louisiane et la fierté vient trop tard. Est-ce qu’on entend jamais un Américain se proclamer fier de la langue anglaise ?
Moi qui vis en Alsace, où le dialecte se meurt avec beaucoup de remous, je peux confirmer toute la triste vérité d’un tel propos.
Ordre des mots
Autre analyse : l’ordre des mots dans la phrase. Soporifique, comme sujet, n’est-ce pas ? Il entraîne pourtant Marina Yaguello dans des réflexions passionnantes, et nous avec.
La langue, inéluctablement, nous impose un ordre linéaire de l’expression. Les deux mots sont d’ailleurs inséparables. Ils impliquent qu’il y a un point d’origine et un point d’arrivée. Or, lorsque nous appréhendons un événement, nous ne le faisons pas de façon linaire, mais de façon globale. Il ne saurait donc y avoir d’ordre naturel [des mots dans la phrase]. Vouloir à tout prix que certaines langues soient plus logiques que d’autres, revient à nier l’unicité du langage humain par-delà la diversité des différentes langues naturelles. Il est probable ‑les recherches contemporaines vont dans ce sens- qu’une même organisation régit, en profondeur, toutes les langues humaines.
L’ordre des mots dans la phrase varie selon chaque langue, et aucun ordre ne semble meilleur qu’un autre. Or, cette impasse, cette limite, c’est peut-être bien celle de notre cerveau lui-même, dont la langue, quelle qu’elle soit, ne reste qu’un instrument grossier.
Les petits enseignements de Catalogue des idées reçues sur la langue
Essayons de conclure par un petit enseignement, même si je vous invite, pour vous dégourdir l’esprit, à lire ce Catalogue au plus vite…
Il y a, à mon avis, un peu trop de révérence envers la langue, chez les écrivains débutants que je rencontre. Ils considèrent le français comme une déesse fragile, à ne toucher qu’avec précaution. Ils montrent, dans leurs écrits, du respect pour la langue, de la componction et aussi, disons-le, une certaine dose de trouille.
Le livre de Marina Yaguello nous dépeint la langue comme un objet, un phénomène, ni bon ni mauvais, ni précieux, ni méprisable. La linguiste nous rappelle que le langage est avant tout une matière, ce qui devrait nous faire diablement plaisir. Bonne nouvelle ! Nos aventures stylistiques y puiseront de nouvelles forces.
Certes, la langue est une déesse, mais on traîne aussi les déesses par terre. Rappelez-vous ce que Baudelaire disait de Théodore de Banville :
Vous avez empoigné les crins de la Déesse
Avec un tel poignet, qu’on vous eût pris, à voir
Et cet air de maîtrise et ce beau nonchaloir,
Pour un jeune ruffian terrassant sa maîtresse.
Mon onctueux internaute, mon bien cher frère, c’est à toi ! tu as sûrement noté ici ou là des idées reçues sur notre langage… Tu les as même peut-être sur le bout de la langue.
Des propos que j’aimerais lire plus souvent, trop de fois j’entend que l’on peut pas dire ceci, que l’on peut pas dire cela car la langue Française ne le permet pas…
Pour moi ce n’est qu’un outil comme elle le dit dans son livre. Une langue vivante change jour après jour.
J’estime que certaines évolutions de langue même non présente dans un dictionnaire peuvent être utilisées, qu’en pensez-vous en tant qu’auteur et personne de lettre.
Vous m’avez donné envie de lire ce livre, j’y jetterais un coup d’oeil en librairie.
En ce qui me concerne, je pense que la littérature autorise en effet un usage expérimental de la langue, à condition d’avoir bien pratiqué les règles et les usages auparavant.
J’aime beaucoup cette linguiste, j’avais déjà lu d’elle Alice au pays des mots ‚juste génial pour avoir une idée de base de la linguistique de façon ludique 🙂
Je suis sidéré par la ligne politique inconsciente, mais fortement dessinée, que défend cet opuscule écrit par la linguiste Marina Yaguello. Mme Yaguello y affiche sa méfiance envers l’idée d’une intervention politique sur la langue, elle y sanctifie l’usage en proscrivant les jugements de valeur « prescriptifs », elle y caractérise les langues comme autant de « capitaux » que les peuples qui les parlent utiliseraient ou abandonneraient de manière purement instrumentale ; comme si lesdites langues n’étaient pas aussi pour lesdits peuples la sédimentation mentale de leur histoire passée, de leur identité présente et de leur éventuel destin commun, du moins quand les langues nationales forgées au cours des siècles ne sont pas sciemment détruites et reniées par leurs « élites »…
Comment s’étonner dans ces conditions que Mme Yaguello – qui au détail, énonce pas mal de rappels scientifiques utiles ou de mises en garde critiques sur le langage – se montre totalement indifférente à l’actuel meurtre organisé des langues européennes autre que l’anglais, qu’elle y fasse l’éloge discret du russe, des langues régionales de France, du pidgin ou des créoles (pourquoi pas ?) et surtout de l’anglais, si « riche » en vocabulaire… mais jamais de cette malheureuse langue française qui sert à l’auteur pour écrire son livre : or, c’est bien la langue française que l’oligarchie capitaliste et ses caniches bobos s’emploient à marginaliser aujourd’hui ! Qu’on en juge : le jour même où j’écris ces lignes – 21 janvier 2014 – le parlement français saisi par le gouvernement Ayrault entame la discussion sur l’adoption de la Charte européenne des langues minoritaires et régionales qui permettra, qui en doute ? – d’officialiser lesdites langues à l’égal du français en déclassant relativement l’ex-« langue de la République » (aux termes de la Constitution, article II). Curieux hasard de calendrier, c’est le 20 janvier 2014 que l’on apprenait que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (C.S.A.) s’apprête à assouplir – en réalité, à désactiver peu à peu – les « quotas » en matière de chanson française qui sont imposés aux médias : soucieux de « diversité » (!), le C.S.A. veut faire de la place aux « chanteurs français chantant dans une autre langue » (devinez laquelle). Il y a moins d’un an, la Loi Fioraso ouvrait les vannes aux cours en anglais à l’université, et tout à l’avenant (tout cela sans le moindre débat politique large, sans la moindre consultation référendaire du peuple français et alors que la ministre « socialiste » Filipetti ose écrire, en introduction au rapport annuel sur la langue de la D.G.L.F. que « le français n’est pas menacé ».
Sans s’en douter, Mme Yaguello colporte une attitude qu’elle croit scientifique et distanciée alors que cette attitude « linguistiquement correcte » est totalement imprégnée jusqu’à l’os de néolibéralisme politique et de laissez-faire, laissez-casser linguistique. C’est ignorer que, comme le montre Claude Hagège dans Combat pour le français, que depuis 1945 les Anglo-Saxons ont investi des milliards pour assoir l’hégémonie planétaire de leur langue et que cette hégémonie a été mondialisée par la chute de l’U.R.S.S. et le déclassement de la langue russe, rempart de la diversité linguistique mondiale.
Par ailleurs, ignorer qu’en France, la politique de la langue a toujours été, souvent pour le meilleur et quelquefois pour le pire, au cœur de la construction politique de la nation : construction et centralisation du Royaume de France, puis de la République bourgeoise (Ordonnance de Villers-Côtterets, 1539, création par Richelieu de l’Académie française, normalisation de l’enseignement du français par la Troisième République, etc.) ; en outre, les combats pour la langue ont toujours été et ils demeurent plus que jamais (là encore pour le meilleur et quelquefois pour le pire) indissociables du combat pour l’État-nation (ou pour sa destruction…) en Hongrie, au Québec, en Israël, en Belgique, etc. ; sans parler de l’U.R.S.S. où la politique linguistique (enseignement fédéral du russe véhiculaire, mais aussi des langues nationales, souvent dotées de leur écriture et de leur première littérature nationale par le jeune pouvoir des soviets…). Bref, l’approche politico-linguistique de Mme Yaguello revient à détacher la langue de la vie des peuples sans « voir » davantage l’actuel assassinat programmé des langues au profit du tout-globiche que les astronomes romains ne voulaient « voir » la rotation du soleil dans la lunette d’approche de Galilée !
Mme Yaguello nous apprend pourtant que les jugements de valeur sur la langue, sur ce qui se dit et ce qui ne se dit pas, sur ce qui fait bien quand on parle, etc., sont inhérents au fait de parler et au jugement par lequel chaque locuteur d’une langue se sent compétent linguistiquement pour trancher de l’usage. Il y a toujours des usages rivaux, au nom de quoi privilégier… celui du bobo parisien, comme le font massivement les média, sur celui du jeune de banlieue, du chanteur québécois, du paysan des Cévennes ? Comme toujours, la référence d’apparence libertaire à la libre disposition de la langue (sous-entendu, sans intervention des académies et des « puristes ») cache le fait que l’usage libre des usagers transformés en « consommateurs » est aujourd’hui systématiquement dévié par la toute-puissance des monopoles capitalistes de l’édition et des médias. Or ce sont eux qui, très consciemment, choisissent et déterminent l’usage en substituant méthodiquement – pour des raisons commerciales mais aussi politiques – le globiche au français (mais aussi à l’italien, à l’allemand, à l’espagnol…) dans la pub, la technologie, les dénominations d’enseignes, etc. (par ex., ce n’est ni le cheminot, ni l’usager de la S.N.C.F. qui a décidé d’appeler Railteam, TGV Night, TGB Family, Smile, etc. certains « produits » et enseignes de la société ferroviaire « nationale », ni l’usager d’Air France qui a subitement décidé de rebaptiser la compagnie nationale Airfrance ; et ce n’est pas davantage le client de Carrefour qui a rebaptisé Champion « Carrefour Market »)… Il y a là en réalité une politique linguistique DE CLASSE, décidée par la direction des grandes entreprises, approuvée en douce par l’État – qui organise en sous-mains le viol de sa propre loi – une politique fort justement dénoncée par la CGT-Carrefour. Au lieu de cibler implicitement les trop rares défenseurs de la francophonie, que censurent, que moquent et qu’ignorent les médias dominants – Mme Yaguello ferait mieux de s’en prendre à l’inavouable politique linguistique de l’Etat néolibéral et de l’U.E., lesquels confisquent et polluent méthodiquement l’ « usage » pour pratiquer un arrachage linguistique de masse des langues nationales et pour substituer systématiquement une langue à une autre. Avec à la clé, d’énormes discriminations à l’encontre des couches populaires non-anglophones. Car en cassant ce premier service public de France qu’est le français et en établissant peu à peu, dans l’Hexagone et dans toute l’Europe, une novlangue porteuse des « valeurs » du business ; et cela dans le seul but, combien politique ! – d’araser les nations et d’installer l’Empire euro-atlantique de la haute finance. Imposer, non pas un nouvel académisme régentant le français, mais un débat politique de masse sur la politique linguistique serait au contraire aujourd’hui la meilleure façon de restituer aux peuples leur rapport libre, poétique, à la langue.
En bref, je suggère cordialement à Mme Yaguello de rebaptiser son opuscule en l’appelant « Idées reçues au carré, et politiquement sinon linguistiquement correctes, à propos des idées reçues sur la langue ».
Je suis attaché sentimentalement au français, qui est aussi ma langue d’excellence et mon outil de travail quotidien. Je ne pourrais simplement pas, en pratique, lui en substituer une autre ; ce n’est pas faute d’avoir appris dans le détail deux autres langues vivantes. Simplement, c’est une question de choix d’excellence : quand on a appris à marcher sur ses pieds, on ne marche pas spontanément sur les mains.
Maintenant, je suis plus capable que vous, je pense, de distinguer ce qui relève de l’affectif et de la réalité des faits. Car il n’est pas productif, à l’échelle des peuples, de transposer son sentimentalisme personnel.
Si je suis bien votre raisonnement, très énergique, vous nous expliquez que :
Les langues des peuples, culturellement riches, sont remplacées, dans l’usage, par un anglais standard, technocratique et appauvri.
Les peuples d’Europe doivent lutter contre ce phénomène mauvais.
Le livre de MY, en ce qu’il prend la langue comme un fait objectif, affaiblit la position linguistique sentimentaliste.
Comme toutes nos forces doivent s’unir pour défendre les langues des peuples, le livre de MY est mauvais (Ce qui n’est pas avec moi est contre moi).
Je ne peux pas être d’accord avec ce raisonnement. Le français, la francophonie, doivent sans doute être défendus. Mais pas avec l’argument sentimental, qui dessert gravement cette cause.
Vous évoquez, parmi d’innombrables choses, Galilée. Comment cela se passe à l’époque ? On croit, parce que la Tradition le dit, que la terre est au centre du système solaire. Puis Galilée proclame que la terre tourne autour du soleil. à partir de là, quand on est croyant, il y a plusieurs solutions : faire taire Galilée et continuer à croire contre les évidences, ou réviser sa foi ; chercher d’autres raisons, plus profondes, de lire la Bible. Vous me donnez un peu l’impression d’être celui qui veut tuer Galilée…
La langue, à l’échelle d’un peuple, est un fait objectif. Sa formation et son déclin obéissent à des mécanismes observables, mesurables. Le texte de Mme Yaguello a le mérite de les exposer au grand public. Cela ne change rien au rapport de forces entre les langues, mais rend peut-être, simplement, les choses un peu plus claires.
Bonjour, je désire écrire un livre , c’est pourquoi je recherche, des éventuelles sources d’inspiration pour l’écriture littéraire , tous conseils, aides en ce sens sont les bienvenus,j’aimerai aussi qu’on m’indiquant si possible les sites ou je pourrai télécharger gratuitement des livres susceptibles d’ ‘aider à écrire merci
C’est une question très vague !
Je peux vous signaler un site interessant, très éclectique (où j’ai d’ailleurs publié une nouvelle) : http://www.monbestseller.com/manuscrit/5053-yaouka