Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Les premiers pas d’une illustratrice dans l’édition
- Quels rapports avoir avec son éditeur ?
- Les réalités d’une carrière d’auteur de livre
Vlou, illustratrice et dessinatrice, me parle du travail entre un illustrateur et son éditeur… Vivante virtuose des arts visuels, Vlou vitrifie avec vigueur les variations du visible… Pour la jeune illustratrice Vlou, un simple trait est déjà toute une histoire. Ses images sont des épures, des études, de savoureux mélanges de grâce et d’idées.
Dans son blog, à côté de travaux personnels, on découvre son parcours dans l’illustration de livres. Elle y parle de son premier ouvrage, un petit bijou de trait et de sens : Petite nouvelle. Derrière ce titre, et comme toujours chez l’illustratrice, se cachent des sens multiples : l’histoire, bien sûr, de la venue au monde d’une petite fille… Mais la « petite nouvelle », c’est d’abord elle, Vlou, la jeune femme débarquée il y a quelques années, crayon au poing, dans le monde touffu de l’édition.
Elle a bien voulu nous parler un peu de ses découvertes de ce monde-là. Entretien avec une modeste magicienne.
NK : Salut à toi, Vlou. Pourrais-tu nous retracer en quelques phrases ton parcours ?
Vlou : Comme nombre d’illustrateurs, j’ai fait les Arts décoratifs de Strasbourg. Comme pas nombre d’illustrateurs, je l’ai fait en option Art. Dans la mesure où l’essentiel de mes travaux s’orientaient vers la vidéo, le milieu professionnel de l’audiovisuel s’est logiquement imposé à la sortie de l’école ; j’y ai travaillé plusieurs années avant de partir vivre aux États-Unis. C’est là-bas que j’ai repris les crayons. Je réalisais essentiellement des strips, du même acabit que ce qu’on peut trouver aujourd’hui sur la fameuse « blogosphère ». Le passage de l’audiovisuel à l’écriture de roman graphique s’est fait assez naturellement ; du storyboard à l’écriture en cases, il n’y a qu’un pas (que j’ai franchi un peu vigoureusement, dans la mesure où j’ai directement supprimé les cases, mais c’est une autre histoire.) La pratique de la réalisation de film donne un sens du rythme fort utile à l’écriture ; on pense en terme de scènes et d’images-clefs.
NK : Tu as publié Petite nouvelle, que tu gardais dans tes cartons depuis très longtemps. Comment cela s’est concrétisé ?
Vlou : Petite Nouvelle était mon tout premier projet de livre. Autant dire que le monde de l’édition relevait pour moi du pur concept. C’est un éditeur, Pierre Marchant (rencontré par Sylvain Drouilly, qu’il me soit permis ici de me jeter à ses tongs), qui a pris la peine de m’aiguiller ; je travaille régulièrement avec lui aujourd’hui… sur d’autres projets. Le plus long a été de rechercher les lignes éditoriales des différentes maisons, car il ne suffit pas qu’un projet lui plaise pour qu’un éditeur décide de s’y investir et de le publier. L’épluchage de bibliothèque et la consultation du libraire préféré sont d’excellents outils, néanmoins largement surpassés par les kilomètres parcourus sur les salons. C’est ainsi que j’ai rencontré les éditions Quiquandquoi, qui ont eu un réel coup de cœur pour ce projet. La rencontre directe des différents acteurs du monde du livre a été déterminante dans l’aboutissement de Petite Nouvelle ; les réactions tranchées et majoritairement positives me motivaient dans ce sens, et surtout, beaucoup ont pris la peine d’exprimer un point de vue que j’ai pris en compte lors du remaniement du projet.
NK : Qu’est-ce que tu retires de ton travail avec Quiquandquoi ?
Vlou : L’éditeur, au-delà de la réalisation du livre en tant qu’objet, a apporté une vision extérieure sur ce qu’on ne voit plus à force d’avoir le nez dessus. Étant lui-même auteur et graphiste, il scrutait les imperfections plastiques et narratives susceptibles d’éloigner Petite Nouvelle de son lectorat, et nous en discutions afin de corriger le tir tout en respectant l’intention artistique du projet. (Nous tranchions à la faveur de celui qui avait le plus gros argument…) Pour exemple, une modification majeure sur le livre a été de redessiner l’ensemble des personnages. À l’origine, leurs yeux avaient une forme ovoïde ; l’absence d’expression ainsi générée permettait une identification facile au personnage. L’éditeur a pointé du doigt les codes graphiques qui approchent ce type de dessin de fantômes, voire de morts, rendant l’ensemble plus inquiétant que souhaité. Le traitement final garde l’intention sans les effets secondaires.
NK : Tu tiens un blog, que tu mets à jour toutes les semaines. Est-ce que le blog t’aide pour ton activité, directement ou indirectement ? Si non, qu’est-ce qui te donne envie de blogguer ?
Vlou : La distribution de tracts prenait trop de temps. Plus sérieusement, l’apport du blog est plutôt indirect, mais il existe bel et bien ; il correspondrait à la division « recherches et développement » en quelque sorte. Une publication régulière oblige à une pratique du dessin en dehors de tout projet ; c’est un terrain d’expérimentation plastique et narrative, avec néanmoins une certaine exigence de résultat puisque ce dernier est public et archivé. Je laisse une grande place à l’interprétation du lecteur, ce qui me permet de tester les limites en terme de transmission d’une idée, tant au niveau narratif qu’au niveau graphique. Comme pour tout ce qui relève de l’expérimental, la résultante est un peu à l’avenant… Le blog permet également de provoquer des rencontres, ou de prolonger celles que l’on peut faire sur les festivals. C’est moins formel et plus interactif qu’une carte de visite.
NK : Pour finir, un conseil aux illustrateurs qui veulent travailler pour des maisons d’édition ?
Vlou : Concernant un livre illustré, proposer aux éditeurs un projet abouti les met en confiance. Face à la masse de travail que représente l’aboutissement d’un tel ouvrage, et à fortiori d’une bande dessinée, nombre d’éditeurs ont peur de s’engager et de voir l’auteur ne jamais achever le livre. Plus généralement, sans doute est-il essentiel de cibler un éditeur qui partage la même vision artistique. Lors de la phase d’écriture, l’auteur est le premier lecteur ; lors de l’aboutissement du projet, cet état d’esprit est déjà loin ; il est difficile d’être objectif, de se projeter à nouveau dans la peau de son lecteur. L’éditeur doit être celui qui prend le relais. D’ailleurs, s’il n’a rien à redire du tout, c’est louche… Concernant l’illustration d’ouvrages d’autres auteurs, il est conseillé de présenter un book aux éditeurs ; ces derniers préfèrent faire eux-mêmes les mariages entre auteurs et illustrateurs ; ceci leur évite de voir les deux protagonistes faire marcher la concurrence. (Lire entre les lignes que cela peut néanmoins porter ses fruits…) Globalement, la professionnalisation du métier ne va pas de soi ; le fameux « Mais c’est quoi votre vrai travail ? » a la vie dure, et accepter une proposition de travail non rétribuée, signe d’un commanditaire peu sérieux au demeurant, discrédite cette professionnalisation. Je laisse à l’appréciation de chacun les répercussions envisageables sur le long terme pour l’illustrateur lui-même et ses collègues. Enfin, savoir que l’on s’engage sur une voie chronophage, peu lucrative et où la concurrence est on ne peut plus prolifique évitera sans doute quelques désillusions…
NK : Vlou, sois remerciée jusque par terre !
sympa l’interview ^^