Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Définition du copinage
- Le copinage, acteur par acteur du monde littéraire
- Utiliser le phénomène, sous conditions…
Le copinage littéraire existe-t-il vraiment ? Pour moi qui ai vécu les choses de l’intérieur, voici mon retour d’expérience.
Au courant de l’année, les prix littéraires type Fémina, Renaudot et autres Grand Prix de l’Académie Française tombent en pluie drue. Et avec eux les procès en copinage.
Le lauréat du Goncourt de 2011 était certes au-dessus de tout soupçon : prof de bio il était, prof de bio il restera ; Alexis Jenni n’a semble-t-il soudoyé personne pour pousser son Art français de la guerre dans les bras d’un éditeur. Pourtant, je reste assez amer sur cette question : la façon dont les jurys décernent les prix est un des facteurs qui dégradent doucement la vie littéraire française. L’exemple de Jenni ressemble surtout à un de ces alibis que le monde de l’édition se donne, de temps en temps, quand les empêcheurs de décerner en rond commencent à aboyer trop fort.
En même temps, lorsque l’on parle « prix littéraires », « presse » ou « soumission de manuscrit » à un auteur, on n’entend souvent que ce seul mot : « copinage ». Tout est copinage, tout est piston, tout est connivence et complaisance. Le Canard enchaîné revendique le mot dans ses colonnes, tandis que le site d’Acrimed y consacre régulièrement des décryptages.
Pour cette question, comme pour toutes, il est bon de tout remettre à plat et de ne pas répéter ce que l’on entend partout.
Alors, le copinage ? Est-il universel ou inexistant ? Et pourquoi ?
Voici mes réflexions et mes expériences sur le sujet. [1] Elles ne visent pas, bien sûr, à dresser un tableau exhaustif du paysage éditorial. En revanche, elles vous apporteront, je l’espère, un peu plus que les rumeurs et les on-dit habituels.
Entre éditeur et jury littéraire
Lorsque je travaillais en maison d’édition, j’ai pu étudier de près deux prix littéraires.
Le premier était attribué à un roman médical, par une association d’écrivains unijambistes. Ceux-ci se réunissaient et délibéraient très démocratiquement ; après quoi le président de l’association posait son veto, et le prix allait à l’ouvrage qu’il avait choisi. Son choix se faisait sur des critères complètement loufoques, dont quelquefois l’incontournable « Je le connais, c’est un ami. » Mais le vent électoral tourne, même dans les associations. L’équipe a changé, et le prix décerné à présent par cette association l’est en toute légitimité.
L’autre prix était décerné dans le cadre d’un salon du livre. La logique de copinage prévalait (et continue, je pense, à prévaloir) : le jury se réunissait sommairement et attribuait son prix à l’un ou l’autre gros éditeur de la région (à celui qui payait le plus gros emplacement).
Entre éditeur et journaliste
Faire parvenir le livre au journaliste, attirer son attention sur un livre est un travail harassant. Là où je travaillais, nous avons toujours essayé, par tous les moyens, de nous faire connaître du journaliste avant de lui envoyer un ouvrage. Discuter avec lui, lui laisser un bon souvenir…
Nous comptions parmi nos auteurs un journaliste spécialisé sur les tortues. Or, un jour, nous avons publié un roman situé dans les fonds marins. Nous lui avons mis un exemplaire dans les mains, à l’occasion d’une réunion de travail.
Nous avons eu un très bel article dans le journal où signait notre fanatique des tortues. Le copinage a marché à fond.
Depuis, l’éditeur a continué à publier sur les fonds marins. Le journaliste turtophile lui a fait savoir qu’il y avait conflit d’intérêt. Il ne chronique plus les livres de l’éditeur.
Entre auteur et auteur
Nous avions une collection de livres sur l’aviation. La plupart des livres étaient rédigés par le même auteur, une sorte de grand bonhomme, fort en gueule et brise-baraque. Il pondait les livres avec la régularité d’une poule de concours. Tous les ans, à la fin de l’été, le manuscrit nouveau était sur notre bureau… avec la préface d’une grosse pointure : général d’armée, pilote de chasse, ingénieur en aérodynamique…
C’est le réseau de notre auteur qui lui permettait de dénicher à chaque fois un préfacier prestigieux. Nous n’avions rien à faire pour cela, l’auteur se chargeait de tout.
Entre auteur et éditeur
Voilà sans doute le domaine où la question du copinage vous interpelle le plus, n’est-ce pas ? Vous vous demandez si nous avons édité, à l’époque, des livres sur recommandation ?
Nous l’avons fait, bien sûr. De temps en temps. Et nous avons aussi refusé un sacré paquet de textes recommandés !
La recommandation avait plutôt le don de nous crisper : les auteurs qui se croyaient malins en invoquant Pierre-Paul-Jacques, avaient le plus souvent une plume assez faible. La décision, dans ce cas, était rapidement prise : retour à l’envoyeur.
Dans l’autre sens, le copinage jouait beaucoup plus naturellement. Notre directrice avait travaillé, au début de sa carrière, pour un ouvrage monumental, l’Encyclopédie des églises de France. Elle s’était composé un énorme carnet d’adresses avec tous les encyclopédistes. Comme on publiait de temps en temps un livre autour de l’art religieux, elle n’avait qu’à ouvrir son carnet pour dénicher l’auteur adéquat. Autant dire que les auteurs inconnus de nous, et voulant publier chez nous sur les églises, devaient sacrément faire leurs preuves.
Copinage, oui et alors ?
Loin des clichés de dîner au Fouquet’s ou de soirée rose bonbon, le copinage, dans l’édition prend souvent la forme d’un bête coup de téléphone.
Il s’agit avant tout de contacts, de mise en relation, bref… de réseau. Et « réseau », voilà un mot qui sonne bien moins négativement que « copinage », n’est-ce pas ? Des réseaux tout à fait honorables, il y en a plein, nous en faisons tous partie, comme ici ou bien là.
Blague à part, la pratique du réseau plaît ou ne plaît pas, mais elle est accessible à tout le monde. N’importe qui peut se constituer un réseau, à condition d’être patient et relativement désintéressé.
Bien souvent, les gens qui pestent contre ces éditeurs « tous copains » laissent deviner une certaine aigreur, qui n’est pas si loin que ça de la jalousie…
Moi non plus, je n’étais d’aucun réseau. J’écrivais, et je me moquais de tisser des liens. Aujourd’hui, je m’aperçois que le réseau s’est constitué tout seul, à force d’échanges, de rencontres.
J’ai publié deux livres. Le réseau m’a donné l’accès à l’éditeur, mais il m’a fallu me battre, évidemment, pour être à la hauteur de ses attentes.
Si se créer un réseau est accessible à un timide pathologique comme moi, ce doit être à vôtre portée, non ?
Des lectures pour aller plus loin
Pour rire du copinage dans le monde des grandes maisons d’édition, je vous conseillerai deux titres :
Conclusion : où est le vrai copinage ?
Voici donc les situations où j’ai vu, personnellement, le copinage à l’œuvre :
- attribution de prix littéraires ;
- mise en avant des livres auprès de la presse (uniquement pour bénéficier de l’attention du journaliste) ;
- recherche de préfaciers prestigieux ;
- démarchages d’éditeur à auteur ;
- … mais rarement dans les démarchages d’auteur à éditeur.
D’après mon expérience, le piston éditorial n’est pas si répandu, pas aussi installé qu’on voudrait le faire croire. Tout le monde galère pour faire accepter ses manuscrits, même avec les recommandations qui vont bien.
Les éditeurs, je l’ai vu, je l’ai vécu, sont le plus souvent libres de leur choix de publication. Le copinage ne sert qu’à une chose : faire arriver votre manuscrit plus vite sur leur bureau.
Après quoi, ce sera à lui de jouer. Comme d’habitude.
Et maintenant, grenouillant internaute, parlons de ton réseau littéraire ; sans donner de noms, raconte-nous tes petites actions de réseautage…
[1] Les circonstances de mon récit ont toutes été changées, bien entendu.
Le « copinage » est une réalité partout. On pistonne des copains ou de la famille tous les jours, qui pour un stage, qui pour un job d’été, qui pour un premier emploi.
L’édition n’est pas bien différente, à cela prêt que les places son chères, et très publiques… Donc, ça se voit tout de suite. (cf mon Nikos et son copain Mich…)
Et SI je connaissais du monde, bien sûr que je les utiliserais, faut pas être stupide non plus…
Maintenant, je te rejoins, le réseautage aussi c’est partout, et ça demande de s’impliquer. Du coup QUAND je connaitrais du monde, bah j’aurais soucis à les utiliser, ce ne sera pas volé, y a du boulot derrière 😉
Là où le cynisme devient simplement pragmatisme… Merci Kanata, je partage tout à fait ce que tu dis !
Je suis externe au monde de l’édition et j’aimerais le savoir : est-ce que les résultats des concours sont vraiment très importants ? Je supporte difficilement les concours, alors personnellement, j’y accorde peu d’importance. Tout comme aux shows télévisés où l’on se fait noyer de phrases ampoulées qui n’apportent rien. Je préfère le bouche-à-oreille. Les participants voient aussi leur chiffre de vente augmenté même s’ils ne sont pas nominés, non ?
Et puis, le copinage, c’est naturel.
Pouvez-vous préciser un peu ? « est-ce que les résultats des concours sont vraiment très importants » importants pour qui, sur quel plan ?
Tout à fait d’accord sur « le copinage, c’est naturel ». C’est quelque chose que je constate dans ma pratique professionnelle. On peut proposer le plus beau des projets à un décideur, si celui-ci ne vous « connaît » pas, il ne vous accordera pas une seconde d’attention. S’il vous a vaguement rencontré quelque part, ou si quelqu’un lui a parlé de vous, il vous adore. Vous pouvez être un gros nul, vous pouvez avoir un projet boiteux, du moment qu’il vous « connaît », il est rassuré…