Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • 5 points d’at­ten­tion pour allé­ger votre manière d’écrire

Le style devrait être cette bulle de savon iri­sée qui s’en­vole dans l’air frais du matin… Mais le nôtre, sou­vent, évoque plu­tôt la triste enclume. Comment allé­ger, où tra­quer les pires lour­deurs ? Un por­trait de l’ennemi…

En tri­ant de vieux maga­zines à la cave, je suis tombé sur cet ancien numéro de « Je t’aime, moi non plume »… Il était lar­ge­ment abîmé par l’hu­mi­dité et les que­nottes des sou­ris, mais j’ai pu en tirer un article à peu près com­plet. Je vous le livre ici.

Le régime du docteur Plume

Le prin­temps approche, la meilleure sai­son pour envoyer son manus­crit… Mais sou­dain, c’est l’af­fo­le­ment : depuis la fin des séances d’é­cri­ture, il y a plu­sieurs semaines, c’est comme s’il avait grossi ! Il ne rentre même plus dans l’en­ve­loppe pos­tale que vous aviez pré­vue pour lui !

Alors, on déprime dans son coin en pigno­chant dans un seau de glace ? Non ! On se remue les adjec­tifs, on secoue ces rela­tives ! Et on retrouve un corps de texte parfait !

Adjectifs cachés

Certains adjec­tifs sont tel­le­ment évi­dents, écrits tel­le­ment par réflexe, qu’ils passent inaperçu, même à vos yeux. Et pour­tant, à l’u­sage, votre style vous semble bavard, enva­his­sant. Un peu comme ce convive, en fin de repas, qui prend la parole pour faire un dis­cours ; on finit par l’emmener de force hors de la salle, mais il résiste, il se cabre, et il conti­nue à par­ler, par­ler, jus­qu’à sa dis­pa­ri­tion dans les coulisses…

Vous avez essayé d’in­ter­ve­nir sur les adjec­tifs ? Sans les sup­pri­mer sys­té­ma­ti­que­ment, il est sou­vent pos­sible d’en reti­rer sans alté­rer le sens. Vous n’a­vez pas besoin d’être tou­jours par­fai­te­ment pré­cis. Soyez-le dans les moments-chocs, et lorsque vous trai­tez des sujets très abs­traits, comme des sen­ti­ments, des sen­sa­tions inha­bi­tuelles… Pour par­ler de la lune ou d’une brouette, l’im­pré­ci­sion est permise.

Les adjec­tifs (ou les adverbes, qui sont les adjec­tifs du verbe) ont pour fonc­tion de qua­li­fier. Mais en réa­lité, plus vous vou­lez qua­li­fier, moins vous le faites. Au bout d’un moment, le lec­teur ne saura plus vrai­ment ce qu’il devra entendre par « une belle grosse voi­ture noire rugis­sante ». Et pire : il s’en fichera complètement.

Rien de plus traître que ces petites salo­pe­ries : exac­te­ment comme les qua­li­fi­ca­tifs dans les replis d’un récit…

Relatives imbriquées

« C’est une mai­son bleue qui est accro­chée à la col­line, qui se dresse fiè­re­ment dans la baie de Frisco. »

Bon. Avouez que ça aurait eu moins d’al­lure sous cette forme… Il s’a­git ici de ce que j’ap­pelle une « rela­tive imbri­quée », une rela­tive à tiroirs. Il y a une col­line qui sur­plombe la baie, et sur cette col­line une mai­son. Seulement, la rela­tive a un rap­port logique assez exclu­sif avec sa pro­po­si­tion prin­ci­pale. Elle n’aime pas partager.

Autrement, on a un peu l’im­pres­sion d’un tiroir dans le tiroir, d’une babou­chka dans la babou­chka. Du seul point de vue sur­réa­liste, c’est inté­res­sant ; du point de vue de la logique pure, c’est hor­rible. L’esprit humain (sauf en condi­tions de jeu) n’est pas à l’aise avec ce genre d’im­bri­ca­tions. Sans comp­ter qu’il entraîne, le temps d’une mil­li­se­conde, une confu­sion : qu’est-ce qui se dresse dans la baie de Frisco, déjà ? La col­line ou la maison ?

Autre imbri­ca­tion qui donne, à l’u­sage, le tour­nis à la logique : les accu­mu­la­tions de nuances, de res­tric­tions : « Mais… Mais… Cependant… » Si votre récit vous amène à for­mu­ler une nuance à la nuance de la nuance, c’est, soit, que vous avez mal pré­paré ce pas­sage, soit que vous des­cen­dez trop loin dans les détails, et que vous avez ten­dance à « tour­ner autour du pot »… 

Le résul­tat sur l’es­prit ? De la fatigue. Milliseconde après mil­li­se­conde, vous allez user la béné­vo­lence de votre lec­teur. Et quand il sera bien fati­gué, il met­tra sa lec­ture de côté ; et sou­pi­rera dès qu’il s’a­gira d’y revenir.

Dommage, n’est-ce pas ? D’autant qu’il est fort simple de lui faci­li­ter la vie, au moyen d’un point et d’une majuscule…

Des phrases courtes, ma chérie

Tels sont les mots de l’é­ter­nelle Pierrette Fleutiaux, qui servent de titre à son roman paru en 2001. Et bon sang, qui ne pour­rait pas lui don­ner raison ?

Il existe une infi­nité de moyens de ral­lon­ger sa phrase, de repous­ser le moment de conclure par un point. Plaisir d’au­teur, petite com­plai­sance intime… Mais qui, au sein de tout le lec­to­rat, a mérité d’a­va­ler cette immonde chou­croute ? Qui a com­mis des péchés assez forts pour s’en­fi­ler des phrases longues comme des spaghettis ?

Vous n’êtes pas en Italie sous la dic­ta­ture bolo­gnaise : cou­pez ! Tranchez ! Ponctuez ! A tout le moins, met­tez des points-vir­gules ! Formez des uni­tés de sens plus petites, plus faciles à ava­ler. Certains lec­teurs res­pirent au rythme de la ponc­tua­tion : évi­tez de vous mettre des morts sur la conscience, par asphyxie !

Et com­pre­nons-nous bien, on ne vous demande pas ici de cou­per dans vos phrases, dans vos pro­pos. Je parle de scin­der, ce qui est tout à fait dif­fé­rent (et n’al­tère pas la richesse de ce que vous avez à dire).

« Oui mais Proust. » Là des­sus, quelques remarques pour rame­ner un peu d’honnêteté intel­lec­tuelle dans le débat. Vous avez lu Proust ? Nous, oui. Nous nous sommes même réga­lés à ses phrases inter­mi­nables. Mais si l’on regarde de plus près, Proust s’ar­range pour ponc­tuer son pro­pos de toutes autres manières. Ses idées sont suf­fi­sam­ment orga­ni­sées et « sau­cis­son­nées » pour que l’in­tel­lect reste frais, une unité de sens après l’autre.

Ce n’est pas l’en­droit pour détailler les tech­niques prous­tiennes, et cela ne serait pas, peut-être, per­ti­nent : si, quand on regrette la lon­gueur de vos phrases, vous objec­tez Proust, deman­dez-vous tout de même si vous le connais­sez si bien que cela ; êtes-vous prêt à deve­nir Proust, à deve­nir tout le bon­homme ? Si vous n’êtes pas spé­cia­le­ment fan d’un auteur, ne vous abri­tez pas der­rière lui quand cela vous arrange.

Le mot juste

… Et même juste-juste, finit par être bien encom­brant. Changez de façon de pen­ser. Au lieu d’é­crire en enton­noir, en allant, labo­rieu­se­ment de votre monde immense au détail micro­sco­pique, ouvrez les fenêtres de la pen­sée ! Cessez de vous cau­ser du cha­grin avec ce mot qui « ne vient pas », ces­sez de ratu­rer dix fois le même pas­sage, dans un va-et-vient éter­nel entre deux-trois variantes ; pen­sez phrase, pen­sez scène, pen­sez monde !

Votre texte ne repo­sera jamais sur un mot en par­ti­cu­lier, et d’au­tant moins si vous vous êtes acharné lon­gue­ment à le cibler. Mais la magie des asso­cia­tions, le natu­rel, la clarté, l’ef­fet d’é­vi­dence, la cadence, la pointe finale… voilà, le plus sou­vent, ce qui ravira vos lec­teurs, bien plus que vos fier­tés de lexicographe.

Lourdeurs

« Glissez mor­tels, n’ap­puyez point », comme disait, en che­vro­tant, la chère mamie de Jean-Paul Sartre. Ce sont des mots de sagesse, dans ce monde où l’on pré­fère, le plus sou­vent, éta­ler son talent, plus ou moins large, et se rou­ler dedans avec délice.

Les lour­deurs sont de la boue col­lée à la semelle de nos textes. Elles rendent chaque pas, pour le lec­teur, plus dif­fi­cile, et le fatiguent avant le terme. Elles l’in­ter­rompent, le laissent hési­tant sur le sens, le font sou­rire, par­fois, aux dépens de l’au­teur. Elles le sortent bru­ta­le­ment de cette pré­cieuse illu­sion roma­nesque dont on fait tant de cas…

Mais la lour­deur, comme le cli­ché, est dif­fi­cile à repé­rer soi-même. Comment dis­tin­guer cette cel­lu­lite de l’es­prit ? Relisez-vous. Si vous devez vous arrê­ter pour vous com­prendre, si vous ne vous rap­pe­lez plus « ce que vous avez voulu dire », alerte !

Surveillez, autant que possible…

  • les doubles néga­tions (« Ce n’é­tait pas cet homme qui n’é­tait pas entré par la porte)
  • l’ordre des mots en cas d’ad­jec­tif court/substantif long, ou de duo d’ad­jec­tifs courts+longs (« un mate­las fin et confor­table » de pré­fé­rence à « confor­table et fin »)
  • les accu­mu­la­tions de verbes (« Il n’a­vait pas cru pou­voir pen­ser qu’il le ferait »)
  • les enfi­lades de cir­cons­tan­ciels (« Dans la rue, le matin, à neuf heures, alors que le soleil se levait, il avan­çait d’un bon pas. »)
  • le style « gen­darme », qui donne l’im­pres­sion que l’on s’a­brite der­rière des faits indis­cu­tables (« Nonobstant la nuit qui tom­bait, Elsa n’al­luma pas la lumière. Par consé­quent, elle ne vit pas le chat qui venait, comme chaque soir, laper l’as­siette de lait. Ce même chat qui, une heure plus tôt… »)

Si ces ques­tions de style manquent un peu d’as­sise intel­lec­tuelle, nous vous ren­voyons à cet autre article, qui entre plus pro­fon­dé­ment dans la ques­tion du « pourquoi »… :


Voilà, mon gra­cile inter­naute, tout ce que j’ai pu sau­ver de cet article.
Mais peut-être as-tu d’autres trucs pour faire mai­grir ton style ? Après tout, ce qui marche pour les uns ne marche pas for­cé­ment pour les autres. Alors ? Hyper-pro­téiné ? Instincto ? Sans viande rouge ? Dis-moi tout !

6 commentaire

  1. Excellent article comme tou­jours ! Bravo. Et merci : il est tel­le­ment dif­fi­cile de per­ce­voir ses propres lour­deurs. De mon côté, j’es­saie aussi d’é­vi­ter la répé­ti­tion d’un mot sur la même page, les adverbes en ‘-ment’, les mots de quatre syl­labes, les ‘qui’, ‘que’, ‘avec’, ‘parce que’, ‘pour que’, etc.
    Chacun a un peu ses p’tit trucs, non ?

  2. Marie-Rose Marcoux a dit :

    De tout temps j’é­tais hyper concise dans mes pro­pos et mes écrits sco­laires par exemple. Or l’é­cri­ture d’un roman demande de la matière, du volume, des mots. J’ai lu Zola. Je suis tom­bée en amour avec ses inter­mi­nables des­crip­tions. Comme si j’ha­bi­tais au quo­ti­dien ses romans. J’ai voulu l’i­mi­ter. Ai-je eu tort ? .

    1. Intéressant. Je pense que la ques­tion ne se pose pas comme une lutte « concision/descriptions interminables ».
      En fait, pour des théo­ri­ciens comme John Truby, dans une fic­tion, TOUT ce qu’elle contient doit ser­vir à illus­trer, faire réson­ner le thème cen­tral : per­son­nages, action, lieux, météo… Quand on voit les choses sous cet angle (et cette approche a aussi ses limites), on se demande beau­coup moins « com­ment étof­fer ici et là » « Est-ce que je dois faire comme Untel ? »
      Tout ce qui entre dans le roman doit y être ; tout ce qui n’a pas de rai­son d’y être, n’y entre pas…

  3. Julien Zaegel a dit :

    Le hachoir : si la phrase résiste à la sim­pli­fi­ca­tion, envi­sa­ger de la sup­pri­mer. C’est comme pour la gan­grène, on ampute le membre en putré­fac­tion pour sau­ver le sujet. Fonctionne très bien aussi à l’é­chelle du para­graphe ou de la scène. La lour­deur, c’est sou­vent une petite pro­por­tion du texte. Il suf­fit de la sup­pri­mer pour réhaus­ser tout le reste.

    Super article, merci

  4. malou Courbou/Pflug a dit :

    Article très plai­sant à savou­rer car bien assai­sonné… Dur, dur, la fabrique de l’écriture…Merci de ces petites leçons pério­diques et pertinentes.

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