Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Que faire des passages que vous supprimez dans vos textes
- Apprendre à couper le cœur léger
Que faire des morceaux que vous coupez dans votre manuscrit au moment de la relecture ? Les jeter ? Eh bien non, malheureux !
Je vous vois venir, bande de morfals : vous vous dites « Chic, il va nous parler des meilleures marques de glace ou de pâte à tartiner pour se goinfrer quand on n’a plus d’inspiration ».
Eh bien pas du tout. Sachez que le « frigo » n’a rien à voir avec cet appareil électroménager perpétuellement vide (donc inutile) qui trône dans la cuisine.
Il s’agit du frigo d’écrivain. En d’autres termes, le fichier où échouent tous les morceaux de texte qui ne vont plus nulle part. Le cimetière des repentirs. La boîte à rabiots.
Voici l’historique du concept, et son mode d’emploi.
Difficulté de tailler dans le gras
Quand je travaillais en maison d’édition, une cause régulière d’énervement était les copies qui revenaient de chez les auteurs. Car nos auteurs avaient un mal fou à sabrer dans leur texte. On leur disait très pragmatiquement : « Entre les pages 23 et 42, il y a beaucoup trop de digressions. Il faut enlever 50 % du texte. » La copie revenait avec trois phrases en moins, et nous étions obligés d’imprimer un cahier de plus que prévu, parce que l’auteur ne savait pas tailler dans le gras.
En tant qu’auteur, j’ai eu moi aussi beaucoup de mal à apprendre à « sabrer ». Les regrets sont terribles. On sait qu’une fois appuyé sur Delete, notre belle trouvaille qui nous a coûté une nuit blanche va retourner aux limbes électroniques.
Insoutenable, n’est-ce pas ?
Le problème du gâchis
Je me suis dit : « Au fond, quel est le problème ? Épurer le texte, ça ne me dérange pas. C’est pour son plus grand bien. Non, ce qui me chiffonne, c’est le gâchis. »
Car l’écrivain est un peu grippe-sou de ses mots. Pour ne pas le traiter de vil Harpagon mâtiné d’Écossais étriqué.
Mais si c’était une question de gâchis, il suffisait de ne pas le supprimer, ce texte ! Pourquoi ne pas se servir de ce satané ordinateur, justement, pour garder trace de tous les mots sabrés au champ d’honneur ?
Le fichier « frigo.doc » était né.
Extraits de manuscrit tout prêts
Désormais, je n’ai plus aucune hésitation à trancher dans le vif. Dès que je suis en phase de relecture, j’ouvre mon fichier frigo et hop, que ce soit une phrase, un nom, une scène entière, copier-coller, je mets ça dedans et on n’en parle plus.
Ensuite, quand j’ai besoin de décrire quelque chose que j’ai déjà beaucoup travaillé, par exemple « scène de colère » ou « magie d’invocation », hop, une petite recherche dans le frigo, et voilà un paragraphe tout prêt, frais comme au premier jour.
Et chez les autres ? À chaque fois que j’ai conseillé à un de nos écrivains d’utiliser un frigo, j’ai constaté un gain de sévérité dans ses coups de sabre… Le blocage avait disparu.
Tactique globale
Le fichier « frigo.doc » fait partie d’une petite batterie d’outils tout simples qui me permettent de maîtriser beaucoup mieux mes séances d’écriture. Un « carnet.doc » (où j’essaie, non seulement, de noter tous mes projets, mais aussi d’estimer leur degré de mûrissement), un tableau des rapports entre personnages, des fiches de personnages, une petite playlist pour me mettre dans les ambiances voulues (avant d’écrire)… Peut-être parlerai-je de ces autres accessoires un jour ou l’autre ; demandez-moi celui qui vous intéresse.
Et techniquement, alors ?
Techniquement, le fichier se présente ainsi :
Propos | Mots-clés | Texte |
---|---|---|
Formule d’adieu | adieu départ chagrin | Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps |
Souvenir du coucher | lit mémoire | Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint. |
La première colonne résume le texte. La deuxième ajoute des mots-clés sur l’ambiance, la situation… qui n’apparaissent pas forcément dans le texte. Et la troisième contient le texte.
À la longue, ce tableau prendra des proportions impressionnantes (le mien fait 144 pages). Grâce aux mots-clés, il vous sera possible de naviguer dedans instantanément, par un simple CTRL‑F…
Mais attendez, on me dit que les deux extraits cités ont déjà été publiés ? Pas possible ! Je n’aurais pas tenu correctement mon frigo ? Ne faites pas cette erreur : quand vous prenez quelque chose dans le frigo, supprimez-le. Il sera toujours temps de l’y remettre si vous renoncez à cette nouvelle utilisation.
Et toi, gourmand internaute, as-tu un mis en place un système de ce genre ?
Zut ! Que de faux espoirs… Adieu, veau, vache, cochon et glaces goût cookies ! :’(
Bref, pour revenir au sujet.. Je fais presque pareil : toutes les idées qui me passent par la tête, je les retranscris sur des carnets ^^ que ce soit des bouts de phrase, des citations ou autre ( bcp d autre !) tout reste écrit. Contrairement à vous, je garde pratiquement rien sur l ordinateur… Trop peur qu il me lâche et que je ne puisse rien récupérer ! ( je fais des sauvegardes externes mais bon je reste traditionnelle ^^)
Bon, c est pas tt mais votre « frigo » ouvre l appétit, je vais de ce pas récupérer un pot de glace ! ( commeny ça c est pas l heure ??? * frustrée*)
Et moi, on va m’accuser de pousser au crime. Le prochain sujet je l’introduis par une photo de muesli aux épinards, comme ça j’aurai pas d’ennuis…
Un bon conseil pour mettre à l’abri vos carnets : ouvrez une adresse mail chez un fournisseur du genre Y…oo ! ou G..ail, et envoyez-vous régulièrement vos fichiers en PJ. C’est une sauvegarde électronique, mais aussi increvable qu’une info sur Internet…
Je pratique aussi le « frigo » depuis quelques années… sauf que le fichier était nommé « poubelle ». A bien y réfléchir, il est bien plus appétissant de fouiller dans le premier que dans la seconde !
Une poubelle que tu avais beaucoup de mal à te décider à sortir 😉
Et moi qui me trouvais trop carré avec mes listes, mes dossiers, sous-dossiers, tableaux, etc. Me voilà rassuré, on peut donc bien mettre ses TOCs au profit de l’écriture, merci Nicolas pour cette révélation, et pour cette idée originale de recette de petit déjeuner 😉
C’est vrai, voilà un sujet que le regretté Cyclopède aurait pu traiter, après « Décrispons la Berrigoulaine » et « Rentabilisons la colère de Dieu » :
« Mettons à profit nos TOC d’écrivain »
Merci beaucoup pour ce « truc » ! On ne peut pas dire que je sois prolifique, mais je crois que justement ce qui m’arrête est la peur d’écrire des choses médiocres ou hors-sujet. La perspective d’avoir un frigo (voire une poubelle ! 😉 ) pour délester mes écrits de ce qui les encombre me rendra peut-être l’écriture plus facile à envisager !
Je te le souhaite de tout cœur !
Un de mes objectifs sur ce blog est de dédramatiser l’écriture, d’aider les jeunes écrivains à dépasser leurs blocages. Je suis content si je peux y parvenir un peu.
voilà une très bonne idée !
ça m’intéresse ce genre d’astuce !
par contre comment tu fait des colonnes sous word ?
Ah ah !
Tu peux aller dans le menu Tableau/Dessiner un tableau. Sinon, un tableau tracé dans un tableur fait aussi bien l’affaire (et à la longue, il se montre plus souple d’utilisation).
En voila une bonne idée qu’elle est bonne !! Mais faut-il garder tous les restes au frigo ? N’y a‑t-il pas certaines coupes qui sont avariées ? :o) Perso j’ai un petit carnet ‑et meme plusieurs (bouts de papier, agendas…- ou j’essaie de noter des phrases qui me viennent, des idées, des souvenirs que je devine pouvoir utiliser bientot ! Cela dit, je garde dans un coin l’idée du frigo !!
julien -
http://www.julienlootens.com/
Attention, j’ai bien parlé du frigo, c’est à dire de l’endroit où vont les textes usagés, les repentirs, dans l’idée de leur donner un jour une seconde jeunesse. Bref, tout ce qui concerne « l’après-rédaction ».
Ceci doit rester séparé selon moi des idées, comme tu les évoques, qui peuvent, elles, aller noircir des carnets. On n’a pas recours au carnet et au frigo au même moment. On consulte ses carnets quand on veut initier un nouveau projet. On revient à son frigo quand on est plongé dans la rédaction, ou quand on reprend un premier jet.
En d’autres termes :
idées à réaliser -> carnets
morceaux rédigés -> frigo
Superbe idée que celle-ci 😀 Personnellement, j’utilise mon carnet pour ce type de scènes que je ne peux pas mettre dans mes écrits. Je préfère écrire à la main… Mais bon, j’imagine que c’est beaucoup plus pratique de le faire directement sur l’ordinateur. Je le répète : superbe idée 🙂
Le carnet, pour ma part, j’ai laissé tomber, après avoir essayé pour la huitième fois de remettre les feuilles en ordre, lorsque cette ù$$^ de calepin s’est renversé par terre alors que je cherchais un passage dedans…
Merci pour cette super idée ! je le fais déjà plus ou moins (plutôt moins que plus), mais de façon un peu trop désorganisée, je vais essayer sous forme de tableau.
Et n’hésitez pas à donner ensuite votre avis !
Voilà une idée intéressante même si je crois que pour une scène entière j’aurais du mal a la replacé dans un autre contexte. Mais pour toutes ces petites phrases et répliques que l’ont passe 2h a tourné dans tout les sens pour trouvé la formulation qui touche le plus je trouve que c’est une pratique très utile en cas de remaniement de dialogue ou paragraphes ou l’ont a souvent des bons mots qui ne ce coulent plus dans le texte
Pour les scènes cela m’est arrivé plusieurs fois. Et quand bien même… l’effet du frigo sur l’écrivain est aussi psychologique !
Bonjour,
Je découvre ce blog plein de conseils plus que pertinents, alors permettez-moi de vous conseiller, à mon tour, une appli que j’utilise pour classer mes restes. Un tri sélectif de mes déchets littéraires à recycler en quelque sorte…
Il s’agit d’un éditeur de texte très basique, mais conçu pour les développeurs informatiques à la base. Cet outil nommé « NoteTab Light » ( gratuit, mais en anglais hélas pour les non pratiquants ) permet d’ouvrir un ensemble de notes sous la forme de documents accessibles grâce à des onglets personnalisables.
J’ai par exemple ( noms des onglets ) : mots, phrases, textes, réflexions, aphorismes, etc.
C’est aussi un excellent gestionnaire d’idées, car il est très léger ( en mémoire ) et, cerise sur le gâteau, il sauvegarde automatiquement les ajouts/modifications apportés.
Espérant avoir apporté ma pierre…
Merci à l’auteur du site et aux contributeurs, enfin à tous… et Joyeux Noël tant que j’y suis ( c’est bientôt, je crois, j’ai vu que mon supermarché à commencé à décorer ).
PS : Je n’ai rien vu sur la ponctuation ( une de mes bêtes noires 😉 ) ?! ( la preuve ! ) !?
Ah oui, merci pour le tuyau. Est-ce que ce soft comporte aussi un outil de recherche ?
Pour la ponctuation, vous l’entendez au sens typographique ? Ou plutôt de son emploi ?
Bien perfide cette histoire de frigo ! Au début, on se dit : quelle bonne idée !
Et puis on s’aperçoit que c’est une ruse pour nous faire travailler plus ; eh oui, quand le frigo est plein, on fait quoi ? On est bien obligé de cuisiner ! 🙂
Exactement !! C’est la phase secrète de ce plan diabolique.
En fait, je prévoyais un additif à l’article, un jour ; j’y expliquerai que le frigo est peut-être (surtout ?) une béquille psychologique pour l’écrivain qui hésite à sabrer son texte…
[…] et qui marche du tonnerre chez moi : la technique du frigo présentée par Nicolas Kempf sur son blog. En deux mots, il s’agit d’un fichier regroupant les passages coupés d’un texte. Plutôt que […]
Mais quelle bonne idée ! Tout autant alléchant qu’allégeant
Et rafraîchissant ! 😉