Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • La vie d’un édi­teur sur un salon : le rush !

Dans le der­nier épi­sode, ven­dredi, nous avons vu le « petit assis­tant » sur le mon­tage d’un salon du livre, aux prises avec son chef et avec un stan­diste par­ti­cu­liè­re­ment… cool ? Après avoir évité de jus­tesse un incen­die, revoilà notre assis­tant le samedi, au petit matin, pour la jour­née d’ouverture du salon…

Salon du livre lambda, 8h30

Bon, je suis arrivé sur le stand. Pour le moment, on se les gèle, mais avec la cha­leur humaine, ça devrait s’arranger…

Heureusement qu’on a pensé à cou­vrir les tables hier soir. Les pigeons qui logent dans le toit du parc expo ont dû man­ger un truc pas frais : il y a des fientes par­tout sur les tissus.

J’enlève les pro­tec­tions en gri­ma­çant. Les livres n’ont rien, semble-t-il…

J’installe la caisse, les sacs plas­tique, les petits marque-pages, les cata­logues… J’ai l’impression d’avoir oublié quelque chose en pré­pa­rant les car­tons, mais quoi ? Ce n’est pas la cal­cu­lette. Ni les sacoches pro­mo­tion­nelles toutes moches qui tombent en loque dans la main des clients. Ni le TPE. Non, je ne vois pas ; ça me reviendra.

9h00

Les pre­miers badauds sont entrés dans le salon. Les dés­œu­vrés du samedi matin. Le genre grin­cheux, dubi­ta­tif, flâ­neur, dégagé. Ce sont les éclai­reurs. Ils annoncent le gros du troupeau.

J’attaque un pas­sant, pour me faire la voix, et le sou­rire. « Bonjour mon­sieur, vous vous inté­res­sez à la taxa­tion fon­cière sous le bas-empire égyp­tien ? » Pas per­suadé de faire une vente, mais l’important est de se mettre dans l’ambiance.

« Eh bien jus­te­ment, je pen­sais à la phy­sique nucléaire, voyez-vous ? En voyant ce livre, j’ai fait le rap­pro­che­ment avec mes propres tra­vaux. Je suis phy­si­cien nucléaire ama­teur, voyez-vous, et il se trouve que ma théorie… »

Et crotte ! Où est passé mon 6e sens ? J’ai alpa­gué un pénible ! Le genre qui n’achètera jamais rien, mais qui veut abso­lu­ment vous racon­ter ce qu’il fait ! Le pénible king size, même : il me regarde dans les yeux, il me prend le bras, il longe le stand à ma pour­suite, il revien­dra trois fois dans la jour­née… Bravo, je ne me féli­cite pas !

10h30

Voilà le chef. Je vais enfin pou­voir aller faire pipi.
« Bonjour Nicolas. Alors, bien dormi ?
— Dormi ? Ah oui, oui…
— Tenez, je vous ai amené les choses, là, pour l’ambiance.
— Les choses ?
— Mais enfin, on en a parlé dix fois ! Vous n’avez pas oublié ? Les bon­nets de bain !
— Je croyais qu’on avait dit en réunion que…
— Tenez, pour vous j’en ai pris un rose. Il sera peut-être un peu serré, mais il va bien avec votre car­na­tion. C’est vrai que vous avez une grosse tête, bon sang ! Allez, tirez des­sus, quoi ! Enfilez-moi ça ! »

Les bonnes idées d’un chef ont la vie dure. C’est vrai, il avait évo­qué l’idée que l’on porte tous des bon­nets de bain durant le salon. Pourquoi ? Mystère. Aucun rap­port avec le thème de l’événement (« la forêt dans tous ses états ») ni avec les livres que l’on publie. Mais il y tenait, et il est allé au bout de sa logique. Il nous a acheté à cha­cun l’accessoire qui va bien. Donc, me voilà coincé sous cette hor­reur en caou­tchouc. Si avec ça on ne fait pas la une du jour­nal, c’est que le ridi­cule n’est plus ce qu’il était.

Le couvre-chef indispensable de l’exposant sur un salon du livre.
Le couvre-chef indis­pen­sable de l’exposant sur un salon du livre.

11h00

Ils se sont jetés sur notre stand comme la misère sur le pauvre monde. Une bande d’ados qui riaient bête­ment, avec leur acné et leurs dents en acier. Leur prof les a lâchés dans le salon avec un ques­tion­naire débile, et c’est nous qu’ils ont choi­sis comme vic­time. Ils se foutent de mon bon­net de bain sans aucune gêne.

Mon chef, lui, a enlevé le sien : son pso­ria­sis chro­nique fait des siennes. Si c’est médi­cal, il faut bien l’excuser…

Mes ados me bom­bardent de ques­tions, mais n’écoutent pas mes réponses :
« Monsieur, c’est quoi un édi­teur ? Monsieur, vous nous offrez un livre ? Monsieur, c’est où les toi­lettes ? Vous êtes payé com­bien ? C’est un vrai métier, édi­teur ? »
En cet ins­tant, fran­che­ment, les gosses, je me le demande…

12h00

« Voilà voilà ! Alors, déjà bien vendu, Nicolas ? »
Ça, c’est notre auteur-vedette. Il est censé venir tout le samedi, mais il se pointe en fin de mati­née. Évidemment, le matin, il n’y a pas un chat… Mais le type s’efforce quand même d’arriver à midi, his­toire qu’on lui paie le repas…

14h00

Voilà un cha­land qui s’approche… Celui-là, juré, je me le fais.
« Bonjour mon­sieur, je cherche un livre sur Schnersheim. Vous avez ça en maga­sin ? Je pense pas, hein, c’est un sujet très pointu (pour te situer, ami lec­teur : nous sommes dans un énorme salon de pro­vince, et Schnersheim compte à tout cas­ser 300 habi­tants).
— Schnersheim ? Ah mais si, jus­te­ment, nous avons un livre des­sus ! Regardez. On peut dire que vous avez de la chance, vous : c’est le der­nier qui nous reste ! L’éditeur a perdu la rai­son à la fin du pre­mier tirage, suite à un acci­dent de bai­gnoire. Du coup, ce livre n’a jamais été réim­primé. Vous êtes un petit vei­nard !
— Faites voir ? Non, ça ne m’intéresse pas.
— …
— Ce livre-là parle du nord du vil­lage. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la rue du Muguet. Le sud ! »

15h00

« Hé, Nicolas, tu aurais pas un petit coup de blanc pour moi ? »
Notre illus­tra­teur, Frédo, pénètre sur le stand de sa démarche cha­lou­pée. Imbibé comme une éponge. Tant qu’il y a à boire, il reste sur le stand, et tant qu’il reste, il vend. Alors, le patron le fait boire, Frédo.
« Oui, oui, attends, je t’ouvre une bou­teille. Assieds-toi. Voilà… »

Ça y est. Je sais ce que j’ai oublié : le tire-bouchon.

16h00

Je suis allé qué­man­der un tire-bou­chon sur le stand du CRL Bourgogne. Ils se sont fichus de moi dans les grandes lar­geurs. On le sait peu : le Bourguignon est primesautier.

Et main­te­nant, on cuit. Les énormes tuyau­te­ries du chauf­fage débouchent juste au-des­sus de nos têtes. Les visi­teurs se marchent des­sus. Quel est l’imbécile qui rêvait de cha­leur humaine ?

17h00

Je peux enfin m’asseoir un peu. Je suis ravagé. On a eu un rush de tous les ton­nerres. Forcément, Frédo fai­sait ses des­sins. Les gens vou­laient un livre, n’importe lequel, pourvu que le des­si­na­teur leur fasse un petit gri­bouillage dedans.

Pendant ce temps-là, je rem­plis­sais les assiettes de petits gâteaux à tous les angles du stand. Des petits gâteaux et de la bouffe. Voilà avec quoi on vend des livres…

(la suite au pro­chain – et der­nier – épi­sode : le dimanche)


Et toi, mys­té­rieux inter­naute ? Peut-être as-tu été du même côté que moi ? Ou bien es-tu un habi­tué des salons du livre ? Raconte-moi un peu…

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