Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- Collaborer avec son éditeur
- Être écrivain et universitaire
Linda Lê me parle de l’écriture comme surprise, et de l’élan qui doit habiter le jeune écrivain.
Récits amers, cruels, mais récits véritables : tels sont les textes de l’écrivain Linda Lê. J’ai découvert Les trois Parques en 97. Je l’ai lu en une nuit. Au matin, j’ai rangé ce livre dans mon étagère numéro un, celle que je défendrai l’arme au poing quand les pompiers de Fahrenheit 451 sonneront à ma porte.
On ne présente pas Linda Lê.
On la lit.
Puis on se rappelle de reprendre son souffle.
Cherche fossoyeuse d’illusions
Trafiquante d’irraison
Cherche amante au désastre fidèle
Buveuse de champagne au fiel
Cherche égorgeuse aux mains pures
Petite sœur aux lèvres sures…
L’âme sœur, interprétée par Jacques Dutronc
Auteur d’une quinzaine de romans, lauréate du prix Fénéon et du prix Wepler, Linda Lê, l’« ours qui se terre », reste un écrivain rare. Pour Écriture (tiret) Livres, elle a bien voulu répondre à ces quelques questions.
NK : Linda Lê, bonjour. Pour commencer, je voudrais évoquer le prix de la Vocation, que vous avez reçu en 90 pour toute votre œuvre. La « vocation d’écrivain »… Ces termes rendent-ils compte de votre démarche ?
LL : Je sais seulement que je place la littérature très haut et que je veille à toujours écouter la voix en moi qui me dit que, sans trop la sacraliser, je dois me maintenir à un certain degré d’exigence, ne jamais écrire le même livre mais me surprendre à chaque fois, car c’est dans l’étonnement qu’il faut vivre pour ne pas se racornir : le désenchantement est la plaie de notre époque, je m’y abandonnerai pas, mes livres, mais aussi les livres de ceux que j’admire, m’aident à survivre et à croire qu’il est possible, selon l’expression des surréalistes, de « repassionner la vie ».
NK : Vous êtes une fidèle des éditions Christian Bourgois. Pouvez-vous nous décrire votre façon de travailler ensemble ?
LL : Ma rencontre avec Christian Bourgois et sa femme, Dominique, a été un événement majeur dans ma vie. J’ai fait leur connaissance grâce à un ami en 1991, l’année où je venais de terminer un recueil de quatre nouvelles, Les Évangiles du crime et l’année où Christian Bourgois dirigeait encore les Presses de la Cité. Il a publié mon livre dans l’une de ses maisons, les éditions Julliard. Puis, quand il a quitté les Presses de la Cité pour ne plus s’occuper que de la maison qui porte son nom, il m’a proposé de le suivre. Je n’ai pas hésité une seconde. Il avait toujours des remarques d’une extrême pertinence sur mes manuscrits, mais il ne me demandait jamais si je travaillais et quel était le « sujet » de mon roman. Christian et Dominique Bourgois m’ont toujours soutenue en me faisant des suggestions sur un remaniement de mes manuscrits quand ils le jugeaient nécessaire (c’était assez rare). Depuis la disparition de Christian Bourgois en 2007, Dominique continue le travail, toujours avec la même passion, avec la même énergie et le même enthousiasme.
NK : Vous avez pris pour titre d’un essai un vers de Baudelaire : « Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ». Quel rôle joue le « nouveau » dans votre écriture ?
LL : Je me dis toujours que l’avant-garde se démode vite, mais il faut aussi savoir ne pas être un fossile et combattre à tout prix l’académisme. J’essaie d’être une trouveuse et, comme je l’ai dit, j’aime la part d’imprévu dans mes inventions.
NK : Vous avez un cursus universitaire et critique. Cet arrière-plan est-il un frein ou une aide, dans l’écriture de fiction ?
LL : Je n’ai pas l’impression d’avoir conservé de grands souvenirs de mes études. Je me rappelle surtout que j’avais le goût de la lecture et que je ne lisais pas forcément les livres recommandés par l’Université. Quant à mon activité de critique littéraire, elle ne m’a jamais empêchée d’écrire des romans : je ne parle en général que des classiques, cela me permet de relire des livres que j’avais dévorés, adolescente. En lisant en écrivant, disait Julien Gracq. Je trouve dans la lecture et dans l’écriture de romans la même joie.
NK : Quand on choisit d’écrire des romans, des textes littéraires, on est souvent débordé par tous les points qui réclament notre attention. Y a‑t-il quelque chose que le jeune auteur ne devrait jamais perdre de vue ?
LL : Tant que, comme disait Artaud, sa plume « gratte au cœur de la vie », il peut être assuré qu’il ne fait pas fausse route. Mais toute la difficulté est là : comment descendre dans les abysses et en recueillir toute la noirceur, tout en faisant chanter la tristesse ?
NK : Peut-être souhaitez-vous nous parler de vos prochaines parutions, ou de ce que vous écrivez en ce moment ?
LL : Je publie cet automne une brève lettre, À l’enfant que je n’aurai pas. Après Cronos, qui était un texte sur le pouvoir, l’autoritarisme, je suis revenue à un registre plus intime.
NK : Linda Lê, du fond du cœur, merci.
Pour en savoir un peu plus long sur vous, les lecteurs pourront se rendre sur votre page Wikipédia
Merci pour cet entretien