Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • Actions de démarchage
  • Les rap­ports avec l’éditeur
  • Points de vue sur les cou­lisses de l’édition

Olivier Boile, auteur de SFFF, me parle de ses pre­miers pas dans l’édition…

La pre­mière fois que j’ai croisé Olivier, c’était au détour d’un forum lit­té­raire. C’était un affreux per­son­nage, infoutu de gar­der pour lui ses remarques décou­ra­geantes sur la prose de Kévin, 16 ans, auteur d’une plu­ri­dé­ca­lo­gie en 12 volumes. Olivier était grand, il était beau, il sen­tait bon le sable chaud… Bref, nous avons rôdé pen­dant quelques temps sur les mêmes topics.

Plus tard, un de ses manus­crits a atterri chez l’éditeur où je bos­sais. Dommage, le texte n’a pas fait de vieux os là-bas – ni moi non plus d’ailleurs, mais c’est une autre histoire…

Et main­te­nant, le revoilà, Olivier Boile, avec un roman sous le bras. Un bou­quin qui lui res­semble, rythmé, iro­nique, dur à l’extérieur, et tendre au milieu… : Medieval Superheroes, un mélange de fan­tasy et d’anticipation, avec des beaux gosses et des filles bien roulées.

J’ai voulu pro­fi­ter de l’occasion pour éclair­cir quelques noir­ceurs du per­son­nage… Entretien avec Olivier Boile, un vilain qui se marre.

Nicolas Kempf : Peux-tu nous expli­quer com­ment tu t’y es pris pour le démar­chage autour de Medieval Superheroes ?

Olivier Boile : J’ai achevé la pre­mière ver­sion du roman fin 2006. Au départ, je ne comp­tais pas jouer le jeu de l’édition, per­suadé d’avoir écrit quelque chose qui m’avait bien fait rire, mais qui n’intéresserait per­sonne. Peu de temps après, j’ai décou­vert un nou­vel édi­teur dont la ligne édi­to­riale me sem­blait avoir été spé­ci­fi­que­ment conçue pour « Medieval Superheroes ». Ni une, ni deux, j’ai envoyé le manus­crit. Quelques jours plus tard, il était accepté pour publi­ca­tion. Cette rapi­dité aurait dû me mettre la puce à l’oreille, mal­heu­reu­se­ment j’ai foncé tête bais­sée. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais cet édi­teur était un incom­pé­tent dou­blé d’un filou. J’ai failli perdre beau­coup dans l’histoire, mais au final je m’en suis sorti avec la simple perte d’une bonne par­tie de mes illu­sions, ce qui est un moindre mal.
Par la suite, je me suis amusé à envoyer le manus­crit à une ving­taine d’éditeurs ; « s’amuser » est le verbe adé­quat car je m’y suis attelé sans prendre la chose au sérieux. « Medieval Superheroes » s’est ainsi retrouvé à para­si­ter les comi­tés de lec­ture de véné­rables édi­teurs ger­ma­no­pra­tins, plus habi­tués à faire leur beurre sur les jéré­miades auto­fic­tives de qua­dra­gé­naires pari­siens céli­ba­taires que sur de la fan­tasy ( !) humo­ris­tique ( ! !) avec des super-héros ( ! ! !) Je conserve pré­cieu­se­ment la lettre de refus de l’un de ces édi­teurs, magni­fique de condes­cen­dance sur l’air de « Nous publions de la Littérature, nous ». J’ai poussé le vice jusqu’à envoyer mon roman à un escroc à compte d’auteur, pour le plai­sir de rece­voir une pro­po­si­tion de contrat agré­men­tée d’une demande de paie­ment de je ne sais plus com­bien de mil­liers d’euros.
En fait, le manus­crit de « Medieval Superheroes » m’a per­mis, plus que mes manus­crits pré­cé­dents, de son­der le milieu de l’édition, de ses palaces les plus clin­quants à ses réduits les plus fan­geux — les uns et les autres n’étant pas for­cé­ment ceux que l’on croit.
Et lorsque ce petit jeu a cessé de me faire rire, lorsque je remi­sai enfin « Medieval Superheroes » au fond d’un tiroir pour ne plus jamais y tou­cher, est arrivé un mail de Nestiveqnen… Qui fera l’objet de la ques­tion sui­vante, n’est-ce pas ?

Olivier Boile, Medieval Superheroes
« Alex Nikolavitch rat­tache les héros de comics aux mythes fon­da­teurs de l’Antiquité et du Moyen-Âge. C’est une concep­tion des choses qui me plait. »

NK : Cette pres­cience m’é­ton­nera tou­jours chez toi. Donc oui, tu es publié chez Nestiveqnen, « Nesti », une des 3–4 grosses mai­sons fran­çaises de SFFF. Comment s’est passé le tra­vail avec eux ?

OB : Je n’aime pas trop ces inter­views d’acteurs au cours des­quelles on apprend que le tour­nage a été génial, les rap­ports avec l’équipe tech­nique idyl­liques, les autres acteurs de mer­veilleux com­pa­gnons, et ainsi de suite, ad nau­seam. Pourtant je n’ai, hélas ! rien de déplai­sant à t’avouer au sujet de mon édi­teur. Il faut dire qu’entre nous c’est une longue his­toire… Je vais tâcher d’aller à l’essentiel.
Au tour­nant du siècle, j’avais achevé mon pre­mier roman que je peux consi­dé­rer comme « accep­table » — pas mon his­toire d’Elfe des bois héri­tier du trône, d’accord ? Je l’ai alors sou­mis à un édi­teur que je savais friand de jeunes auteurs de fan­tasy : Nestiveqnen, car à l’époque j’avais déjà com­pris qu’il était inutile d’envoyer un manus­crit à Bragelonne à moins d’être un Américain nommé aux Locus Awards. Il a dû se pas­ser quelque chose comme deux ans avant qu’une réponse me par­vienne. Et quelle réponse ! Mon manus­crit m’était ren­voyé, non pas accom­pa­gné d’une dépri­mante lettre de refus type, mais bar­bouillé d’annotations, de conseils, de remarques, d’encouragements, de la main de la patronne en per­sonne.
Rappelons que tout ceci se déroule à une époque anté­di­lu­vienne, avant qu’Internet et les forums ne mettent en contact direct et per­ma­nent auteurs ama­teurs, auteurs recon­nus et édi­teurs. Pour un jeune de vingt ans qui ne connais­sait rien au monde de l’écriture et de l’édition, ce fut un pre­mier contact for­mi­dable.
Je ren­voyai donc ce pre­mier roman après l’avoir cor­rigé dans le sens pré­co­nisé par Nestiveqnen, puis au fil des années j’envoyai un deuxième manus­crit, un troi­sième enfin… Sans jamais rece­voir de réponse, et pour cause : l’éditeur avait mis ses acti­vi­tés en som­meil, le temps de résoudre de graves pro­blèmes finan­ciers qui ont failli lui être fatals. Imagine un peu ma sur­prise quand j’ai reçu un mail de la patronne me disant qu’elle avait lu mes manus­crits, qu’elle les avait aimé et avait envie de tra­vailler avec moi, six ans après notre der­nier contact !
Et main­te­nant que j’ai résumé la genèse de ma rela­tion avec mon édi­teur, com­ment s’est passé le tra­vail sur « Medieval Superheroes » ? Très bien. Au point que notre col­la­bo­ra­tion ne pren­dra vrai­sem­bla­ble­ment pas fin avec ce roman-ci.

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Alban le Blanc et Bat-moine
Sans donjon ni dragon, Olivier Boile
Sans don­jon ni dra­gon, Olivier Boile

NK : Pierre Jourde et Eric Naulleau, Nostalgia Critic, l’Odieux Connard… Il existe, à l’heure actuelle, une sorte de ligue des enne­mis de la médio­crité. Ils épinglent les daubes qu’on nous vend très cher, en librai­rie, au cinéma, et ils le font avec un humour déli­cieux. Est-ce que tu t’inscris là-dedans ?

OB : Il y a quelques années, notam­ment à l’époque glo­rieuse du forum où nous nous sommes connus, je t’aurais répondu « oui », sans hési­ta­tion aucune. Depuis, bien qu’ayant conservé l’esprit cri­tique qui, jadis, a été plus ou moins bien perçu par mes contem­po­rains, j’ai pris pas mal de recul par rap­port au per­son­nage de « l’Affreux Oliv ». Je parle bien de per­son­nage car il y a de ça : sur un forum où tran­si­taient pas mal de jeunes auteurs naïfs, il m’a vite sem­blé néces­saire de remettre cer­taines pen­dules à l’heure, à coups de pied ou de barre de fer si cela s’avérait néces­saire. À l’inverse, si j’avais eu la mau­vaise idée de par­ti­ci­per à ces forums de SF où le vieil aigri qui prend sys­té­ma­ti­que­ment une pos­ture néga­tive est la norme, je n’aurais pas eu besoin d’invoquer le mau­vais génie de l’Affreux Oliv.
Le pro­blème est qu’à vou­loir endos­ser le cos­tume vir­tuel du redres­seur de torts, on a vite fait de se lais­ser embar­quer dans une croi­sade contre des mou­lins à vent. Je pré­fère à pré­sent uti­li­ser mon temps libre à lire des bou­quins qui me plaisent et que je juge être de qua­lité, plu­tôt que de hur­ler seul ou avec les loups contre les « daubes qu’on nous vend très cher ». Si mon voi­sin a envie de limi­ter ses lec­tures à Lévy et Nothomb, ou s’il ne veut connaître de la SFFF que « L’Épée de Vérité », tant pis pour lui.
Cela ne m’empêche pas, bien sûr, d’apprécier le mau­vais esprit et l’humour d’un Naulleau ou d’un Odieux Connard, qui jouent leur rôle avec brio. Il faut des poils à grat­ter de ce genre. C’est juste qu’aujourd’hui je laisse cette res­pon­sa­bi­lité à d’autres. De toute façon, où veux-tu que je joue à l’Affreux désor­mais ? Vu que je ne suis ins­crit ni sur Facebook, ni sur Twitter — Dieu m’en garde ! — com­ment veux-tu que j’aie le moindre contact avec mes semblables ?

NK : Tu as été, à un moment, dans les cou­lisses de l’édition, et tu y as laissé quelques illu­sions. D’après toi, qu’est-ce qu’un mau­vais éditeur ?

OB : Tu veux vrai­ment que je me fasse des enne­mis, là ! Je ne pense pas qu’il y ait une défi­ni­tion uni­forme du mau­vais édi­teur, mais il y a un détail que j’ai pu noter en fré­quen­tant un peu ce milieu : le mau­vais édi­teur, tel­le­ment peu sûr de lui, aura ten­dance à sur­jouer son rôle, à sin­ger le vrai pro­fes­sion­nel, en se mon­trant diri­giste pour bien signi­fier qui est le chef voire, étant sou­vent un auteur raté, à reprendre la moindre phrase afin que le résul­tat soit conforme à ce que lui, auteur raté, aurait pu écrire. Avec un bon édi­teur, au contraire, on sera davan­tage dans une rela­tion de confiance, de per­sonnes qui connaissent leur bou­lot et res­pectent celui de leur inter­lo­cu­teur.
Malheureusement, la pro­por­tion de mau­vais édi­teurs aura du mal à se réduire : je reste per­plexe devant la mul­ti­pli­ca­tion des petites mai­sons d’édition dans le micro­cosme de la SFFF, alors que la santé du sec­teur est loin de jus­ti­fier pareille infla­tion. Il y a à peine dix ans, le pas­sionné de SFFF un tant soit peu entre­pre­nant s’empressait de créer un fan­zine ; aujourd’hui, le même pas­sionné de SFFF s’empresse de créer une mai­son d’édition, sur la seule base de sa bonne volonté.
Pour moi, être publié dans ce genre de struc­ture ama­teur a autant de valeur qu’être publié en fan­zine. N’y vois pas for­cé­ment un juge­ment néga­tif de ma part : j’ai été publié en fan­zine avant de l’être chez Nestiveqnen, et ce furent en géné­ral de très bonnes expé­riences. Mais j’ai l’impression que cer­tains auteurs ont du mal à faire la part des choses, et se croient « arri­vés » — si tant est que l’on arrive un jour quelque part en fai­sant ce bou­lot — parce qu’un pas­sionné qui a monté un site Internet d’éditeur a décidé de faire impri­mer le manus­crit d’un autre pas­sionné et de le vendre à quelques dizaines d’autres pas­sion­nés. Encore une fois, ce n’est rien que du fan­zi­nat, mais non-assumé, biaisé tout à la fois par les tech­niques modernes qui aident à don­ner à un tra­vail d’amateur un rendu « pro », et l’impression d’importance que peut sus­ci­ter Internet.
Bref, j’ai digressé bien au-delà de la ques­tion des bons et des mau­vais édi­teurs, il me semble. Tant pis, tu cou­pe­ras au mon­tage s’il le faut.

NK : Tu as mis un cer­tain temps à publier un roman. Pourtant, tu as conti­nué à écrire, mal­gré les portes refer­mées. Pourquoi cette obstination ?

OB : Peut-être parce que je n’écris pas dans le but d’être publié ?
J’ai effec­ti­ve­ment une cer­taine expé­rience du petit jeu auteur / édi­teur, des appels à textes, des envois de manus­crits et des refus affé­rents, mais j’ai tou­jours eu dans l’idée que ces dizaines de bou­teilles jetées à la mer décou­laient chez moi d’une sorte de réflexe pav­lo­vien de l’écrivain plus que d’une véri­table envie d’être publié. Les auteurs qui consi­dèrent l’édition comme un fin en soi, un accom­plis­se­ment, me font tou­jours un peu froid dans le dos. Pareil pour ceux qui écrivent en fonc­tion des attentes et des goûts sup­po­sés du public… Le jour où tu me ver­ras écrire de la bit-lit ou du « young adult » pour la bonne et simple rai­son que c’est ce qui se vend actuel­le­ment, s’il te plait, loue les ser­vices d’un bon tueur à gages et sup­prime-moi sans tar­der.
Au bout du compte, la paru­tion de l’année 2012 la plus impor­tante à mes yeux ne sera cer­tai­ne­ment pas celle de mon pre­mier roman, mais plu­tôt celle de ma fille. Je sais, tu vas trou­ver cela déce­vant comme conclu­sion de cette inter­view, n’est-ce pas ?

NK : Disons que comme nous ne vivons pas dans l’an­ti­quité et que je ne suis pas un hépa­to­scope, j’ai peu de chances de lire un jour ta gamine. Mais sinon ça va. Olivier, je te remer­cie… et je te féli­cite pour cette for­mi­dable parution !


Une ver­sion longue de cette même inter­view, qui décor­tique de plus près l’histoire de « MSH », figure au numéro 75 de Présence d’Esprits

Mise à jour de mai 2016 : le petit der­nier d’Olivier Boile se nomme « Sans don­jon ni dra­gon »

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