Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • Pourquoi soi­gner ses incipit
  • Comment varier à coup sûr ses débuts de scène

Rien de pire que des inci­pit qui se res­semblent tous. Voici un cane­vas pour aider les écri­vains à varier leurs débuts de scènes.

Vous êtes en train d’écrire votre livre. Ce soir, vous avez une scène impor­tante à rédi­ger. Vous dis­po­sez de tout, les per­son­nages, l’intrigue, les gags, les répliques. Il ne vous reste plus qu’à vous y mettre.
Et là, hor­reur et putré­fac­tion ! Le syn­drome de la page blanche ! La panne d’inspiration ! Vous avez beau retour­ner les pre­mières phrases dans tous les sens, votre inci­pit ne “colle” pas avec votre idée ; toutes vos phrases boitent à trois jambes !
Les débuts de cha­pitres, les débuts de scènes, jouent tou­jours un rôle capi­tal dans une fic­tion. À la longue, vous aurez l’impression d’avoir épuisé tous les débuts pos­sibles, ou de faire tou­jours la même chose. Vous vous retrou­ve­rez coincé comme un rat trop malin, à l’entrée du labyrinthe.

Voici une petite méthode de com­po­si­tion des “débuts de scène”, tirée de mes lec­tures et de ma pratique.

Cette méthode n’est bien sûr pas close. Elle ne doit pas deve­nir votre cor­vée, mais vous ser­vir de sti­mu­lant, dans les moments où vous aurez plus de mal à y voir clair. Elle doit vous rendre toute la variété que vous avez pu perdre au fil du temps.

Elle a quelques défauts, quelques redon­dances, mais elle a le mérite d’exister. Si avec ton aide, inter­naute, je peux l’améliorer, j’en serai sin­cè­re­ment ravi et content !

(NB : si votre pro­blème est plu­tôt de pour­suivre ce que vous avez com­mencé, ren­dez-vous sur l’article sui­vant)

Les 6 questions pour mixer vos incipit

Pour que votre début de scène [1] soit “blindé”, il fau­dra vous poser 6 grandes questions :

  1. Où se situe le début du récit (tem­po­rel) :
    • avant le début de la scène ;
    • après celle-ci ;
    • en même temps qu’elle ;
  2. Comment est la foca­li­sa­tion (spa­tiale) au début de la scène : 
    • Elle se rap­proche de la scène ?
    • Elle est déjà dans l’action ?
    • Elle part d’un détail pour s’élargir aux dimen­sions de la scène toute entière ?
  3. Déterminer sur quoi amorcent les toutes pre­mières phrases de la scène (voir pos­si­bi­li­tés d’amorces ci-dessous) ;
  4. Déterminer com­ment le récit glisse vers le pre­mier per­son­nage dans la scène. Le pre­mier per­son­nage à agir fait-t-il quelque chose : 
    • d’attendu ;
    • d’inattendu ;
    • de drôle ;
  5. Choisir d’intercaler une éven­tuelle digres­sion (des­crip­tion du pay­sage, de l’ambiance) entre l’amorce et la suite
  6. Penser à men­tion­ner le plus vite pos­sible un élé­ment-clé de la com­pré­hen­sion de la scène (les vécés sont fer­més de l’intérieur)…

Si vous sou­hai­tez varier au maxi­mum les com­bi­nai­sons, vous pou­vez vous faire un mini-tableau pour vous rap­pe­ler vos choix, scène par scène.

Un autre moyen de vous ser­vir de ce ques­tion­naire, est la méthode ouli­pienne : choi­sis­sez au hasard la réponse à cha­cune des 6 ques­tions, et tâchez ensuite d’écrire ce début comme le Sort en a décidé. Après quoi, reve­nez en arrière si vous le sou­hai­tez ; peut-être que, tan­dis que vous débat­tiez avec cette contrainte débile, le véri­table, l’unique, le vrai début de cette scène s’est imposé à vous.

Des incipit qui ne laissent pas le lecteur en rideau
Des inci­pit qui ne laissent pas le lec­teur en rideau

Amorces de scènes

Le plus déli­cat est sans doute de varier ce que j’appelle les “amorces”. Le petit fait, les 2–3 phrases qui ins­tallent tout le reste.
Là, pas de secret, il fau­dra vous consti­tuer votre propre biblio­thèque d’amorces, en lisant, ou en reli­sant vos œuvres favorites.

Pour vous aider, voici ma propre liste d’amorces (de la plus évi­dente à la plus sub­tile). J’ai évité de don­ner des exemples, pour lui lais­ser un carac­tère géné­ral ; mais je peux bien sûr expli­ci­ter tous les points qui vous paraî­traient trop nébuleux :

Amorce sur une action

  • Le récit démarre sim­ple­ment, comme s’il avait à peine été inter­rompu par la fin de la scène précédente ;
  • Une action géné­rale (mar­cher) menée par le per­son­nage, puis pas­sage à des gestes plus ponc­tuels (tout ce qu’il fait, ce qu’il pense en marchant) ;
  • Le lever d’un per­son­nage, le début d’une journée ;
  • Un per­son­nage se pré­pare à effec­tuer une action ; puis des­crip­tion du décor (digres­sion) puis le per­son­nage entre en action de manière inattendue ;
  • Récit de ce que le per­son­nage pour­rait faire… puis on détrompe le lec­teur : voici ce qu’il fait en réalité ;
  • Un ou plu­sieurs per­son­nages incon­nus agissent (l’accent est mis sur l’action seule) ; puis, le récit révèle que ces per­son­nages sont X et Y, bien connus du lecteur ;
  • Des qui­dams dis­cutent de choses et d’autres. Ils en viennent à par­ler de tel évé­ne­ment impor­tant, qui s’avère être la conclu­sion d’une scène pré­cé­dente, qui avait été lais­sée en sus­pens ; un per­son­nage inconnu ques­tionne ces qui­dams, ou les écoute, puis il com­mence à agir : on com­prend que c’est celui dont il était ques­tion dans les évé­ne­ments rapportés.

Amorce sur une réflexion

(à manier avec par­ci­mo­nie ; il n’est rien de plus pénible qu’un récit trop intellectualisant)

  • Un per­son­nage seul avec ses pen­sées, sans indi­ca­tion de situa­tion, puis il entre dans une scène, et la découvre en même temps que le lecteur ;
  • Un per­son­nage anti­cipe en pen­sée une scène puis elle démarre, confor­mé­ment, ou contrai­re­ment à ce qu’il avait prévu.

Amorce sur une habitude

  • Description d’une scène récur­rente, habi­tuelle, puis on passe à une ver­sion sin­gu­lière de cette scène ;
  • Description d’une scène récur­rente, habi­tuelle, puis on passe au per­son­nage qui a décidé, cette fois, qu’elle serait différente.

Amorce sur un décor ou une ambiance

(ne pas en abu­ser, car les jeux de décor sont comme les effets de zoom chez les cinéastes du dimanche : trop, ça barbouille)

  • Considération météo­ro­lo­gique, puis pen­sées ou réac­tions d’un per­son­nage au cœur de ce climat ;
  • Un nou­veau lieu (et éven­tuel­le­ment son rap­port avec le per­son­nage) ; puis le per­son­nage est situé, ou arrive dans ce lieu ;
  • Un lieu vaste (un com­plexe, un bâti­ment, un milieu natu­rel) puis une salle dans ce bâti­ment, les conver­sa­tions dans cette salle, un coin dans cette salle etc. On finit sur le per­son­nage en train de faire quelque chose ;
  • Description d’un évé­ne­ment his­to­rique, d’une grande scène, puis foca­li­sa­tion sur le per­son­nage, dans un coin de la scène ;
  • Mise en place d’une ambiance, puis un per­son­nage agit tout de suite après, contre­di­sant cette ambiance.

Amorce sur une phrase, un contenu textuel

  • Une phrase, une inter­jec­tion, une pen­sée inso­lite, puis l’explication de cette phrase, et la scène s’enclenche en réponse à cette phrase.

Amorce sur un objet

  • Action (même insi­gni­fiante) d’un per­son­nage sur un objet lon­gue­ment décrit, puis élar­gis­se­ment pro­gres­sif du récit à toute la scène.

Amorce sur un personnage supplémentaire

  • Un per­son­nage connu réflé­chit, ana­lyse un nou­veau per­son­nage qu’il vient de décou­vrir pré­cé­dem­ment, puis une scène avec ces deux per­son­nages commence ;
  • On est plon­gés dans les pen­sées d’un per­son­nage (très secon­daire), qui constate quelque chose sur un per­son­nage récur­rent. Puis la scène s’engage avec ce per­son­nage récurrent ;
  • Dans le pas­sage pré­cé­dent, un per­son­nage débou­chait dans une scène en cours. Au début du nou­veau pas­sage, un autre per­son­nage, déjà pré­sent, voit et ana­lyse cette arrivée.

Amorce sur un jeu de temporalité

  • Ellipse tem­po­relle puis action géné­rale des per­son­nages (« Enfin, au bout de trois mois, vint le dégel. Ils se mirent en route ») ;
  • Ellipse tem­po­relle puis action par­ti­cu­lière d’un per­son­nage (« Enfin, au bout de trois mois, vint le dégel. Le pre­mier jour d’avril, Jean-Claude sor­tit essayer sa nou­velle bouée canard. ») ;
  • Résumé d’une jour­née en deux phrases (parce qu’elle a été ennuyeuse, déce­vante, consa­crée à autre chose) ; puis « le soir venu » et la scène démarre ;
  • Ellipse sur une rou­tine effec­tuée pen­dant quelques temps après un évé­ne­ment cru­cial (« Jean-Claude savait donc désor­mais nager sans bouée. Pendant plu­sieurs semaines, il se ren­dit au mari­got, tous les jours. ») ;
  • Description de la scène figée, en arrêt sur image, un per­son­nage après l’autre, et quand on en a fait le tour, les per­son­nages se mettent en branle.

Et toi, mon bon inter­naute, quelles sont tes amorces favorites ?


[1] Petite pré­ci­sion qui a son impor­tance : j’entends par “scène” un évé­ne­ment de votre his­toire, qui fait par­ti­ci­per un cer­tain nombre de per­son­nages et se déroule dans un lieu pré­cis à un moment donné. Dès que l’un de ces élé­ments change, vous chan­gez de scène (et un nou­veau début doit être étudié).

10 commentaire

  1. Kanata a dit :

    D’excellents conseils dont les détails sont judi­cieu­se­ment posés.
    Sans pour autant avoir d’autres types d’amorces, il m’arrive de jouer à un jeu fil­mique entre cha­pitres (ou entre scènes au sein d’un même cha­pitre), c’est-à-dire de lier la fin de la scène pré­cé­dente avec l’accroche de la nou­velle en une tran­si­tion de type ciné­ma­to­gra­phique (visuelle, ou audi­tive). J’aime la manière dont cela lisse les pas­sages d’une action à une autre (en lieu et place de simples cuts ou fon­dus). Par exemple une scène qui finit sur le déclen­che­ment de l’alarme d’une banque à l’ouverture d’un coffre et une nou­velle scène qui reprend sur l’alarme du réveil ou la son­ne­rie de télé­phone du héros…

  2. Sylvie de Mathuisieulx a dit :

    … et si on est vrai­ment coincé, on fait une pause.
    On se pré­pare un petit thé (café/w­his­ky/­lait-gre­na­dine) et on se plonge dans « Les rillettes de Proust et autres fan­tai­sies littéraires ».
    Une petite mer­veille, parue chez JBz&Cie sous la plume de Thierry Maugenest.

  3. Alain Lasverne a dit :

    Bravo pour la variété des pro­po­si­tions et leur agencement.
    Pour ma part, je fais au fee­ling. En géné­ral, je m’interdis de com­men­cer par l’action, mais plu­tôt par une réflexion, ou une mise en décor. Ca dépend éga­le­ment si j’utilise le « je » ou le « il » ; Justement je dois com­men­cer un cha­pitre à la troi­sième per­sonne et je crois bien que je vais intro­duire par quelques réflexions géné­rales qui ramènent le début du récit, le pro­blème du héros. A moins que je n’utilise un per­son­nage secon­daire comme intro­duc­teur de la pro­blé­ma­tique cen­trale du cha­pitre, via une scène de com­mu­nion ou conflit avec le héros.

    Tout dépend éga­le­ment du type de récit qu’on pro­pose. Là, je suis dans un récit psy­cho­lo­gique donc je m’autorise, voire je pro­voque des incises, – réflexions, digres­sions, dérives – qui nour­rissent le récit, « l’histoire », et par­fois peuvent consti­tuer elle-même l’histoire, dans le sens où dans ce genre de livre les incises consti­tuent la matière pro­fonde du texte, nour­ries qu’elles sont de l’atmosphère géné­rale que je veux faire naître. Bien plus, fina­le­ment, que les événements.

    Mais bon, c’est sou­vent au fee­ling, comme je l’ai déjà dit, parce que l’important c’est la langue, le fluide qui ordonne les mots et tra­verse l’esprit au-delà du simple agen­ce­ment gram­ma­ti­cal et lexical.

    J’espère ne pas avoir été trop confus…

    1. Vous n’êtes pas du tout confus, rassurez-vous.

      Ce qui est impor­tant concer­nant le début de scène, à mon avis, est la variété. Il faut que chaque scène soit une petite sur­prise. Vous sem­blez y par­ve­nir natu­rel­le­ment : bravo !

      Comme pour beau­coup de ques­tions d’écriture, on com­mence par tra­vailler le nez sur la feuille, et un jour on se rend compte qu’on a inté­gré le principe.

  4. Alain Lasverne a dit :

    Merci, c’est gentil…Faut dire que je remets l’ouvrage sur le métier depuis deux dizaines d’années…
    Effectivement, la variété est un vieux credo tou­jours d’actualité..Surtout, ne pas ennuyer…
    Quoique, je pense à un bou­quin de Gombrowicz où le per­son­nage cen­tral s’occupe de vider des tonnes de papier dans une pou­belle géante, si je me sou­viens bien. C’est tout à fait répé­ti­tif, mais pas ennuyeux…L’intérêt est dans les sen­ti­ments du boueux, leurs des­crip­tions, les tona­li­tés mul­tiples qu’emploie l’auteur, et un cer­tain grain d’écriture, tout à fait essentiel.…
    A part ça, la façon dont est frappé est plus impor­tante à mon avis que tous les déclen­cheurs du monde, même si les méthodes « ate­lier d’écriture » ont vrai­ment du bon, et d’abord pour repous­ser la peur de la page blanche.
    Une fois, j’ai été impres­sionné – comme une pel­li­cule – par une fille qui atten­dait à côté de l’arrêt de bus en bas de chez moi. Je la voyais depuis le bal­con et je devinais/j’imaginais à sa façon de pié­ti­ner, de tour­ner la tête qu’elle espé­rait peut-être son amou­reux, ou une réponse impor­tante, qu’elle sol­dait peut-être une par­tie de sa vie, ou venait d’apprendre qu’un compte à rebours débu­tait dans son corps..Bref, elle et le moment m’ont gran­de­ment amené à écrire. Et pour­tant je n’ai pas encore tra­duit en récit cette sen­sa­tion, ces ques­tions cor­ré­la­tives. Mais je sais qu’elle est là et se mon­trera quand ce sera le moment.
    C’est encore un autre élé­ment tou­jours pré­sent, pour moi, que cette impré­vi­si­bi­lité de la connexion avec la mémoire. On se sou­vient en écri­vant. En écri­vant, on se sou­vient. Et quelque part entre le sou­ve­nir et l’architecture du récit, il y a le fil, le mood de la langue, à mon avis.

    1. Cette his­toire que tu ébauches sur cette fille à l’arrêt de bus est fas­ci­nante. Fais-en un texte, ça en vaut la peine !

      Sur la variété, ton exemple est en effet très juste. La variété n’a rien à voir avec le « bariolé ». On s’imagine qu’il faut des choses visuel­le­ment, sen­si­ti­ve­ment nou­velles, ou extrêmes, pour sur­prendre le lec­teur, mais le métier d’un écri­vain est aussi de fabri­quer des varia­tions avec le maté­riau qu’il a sous la main.

  5. lael a dit :

    Sinon dans mon cas j’écris de manière assez ciné­ma­to­gra­phique, je visua­lise dans ma tête, donc les accroches s’imposent d’elles même. Mais c’est vrai qu’en tra­vail de relec­ture ça pour­rait être inté­res­sant de regar­der toutes mes entrées, de voir si y’a des répé­ti­tions qu’on peut enlever.
    Globalement c’est une pen­sée qui amène à quelque chose, une action, une parole, une des­crip­tion pro­gres­sive… ou des ellipse tem­po­relles (« 3 mois plus tard… » enfin j’essaye d’éviter c’est un peu bateau).

    Après mon souci c’est plu­tôt de savoir où cou­per les cha­pitres. Privilégier une lon­gueur égale, chan­ger de chap à chaque fin de scène ? J’aime bien la méthode d’auteurs comme Pratchett qui utile des asté­risques*** ou petits des­sins, et non des cha­pitres. Une chose qui m’insupporte en lisant, c’est bien d’avoir des cha­pitres inégaux, ou qui font deux pages.
    Ton avis sur la ques­tion ? Tu en as parlé quelque part peut être ?

    1. Ce type d’amorces, pour moi, s’appuie sur un déca­lage tem­po­rel. Ce sont donc bien des variantes de l’ellipse. On est d’accord, dans leur fonc­tion­ne­ment cou­rant, ces amorces sont assez bateau. Mais si tu as abso­lu­ment besoin de varier ton début, elles pour­ront te tirer d’un mau­vais pas.

      Où cou­per les cha­pitres ? Je déve­lop­pe­rai peut-être la chose un jour (qu’est-ce qu’un cha­pitre ?) J’ai eu une dis­cus­sion assez ser­rée là-des­sus sur un forum. Pour faire simple, et si on admet par « cha­pitre » quelque chose comme « décou­page de base d’un récit », il s’agit de pas­sages, courts ou longs, qui ont suivent grosse modo une unité de temps, de lieu et de per­son­nages ; un cha­pitre serait ce qui se passe au même moment au même endroit entre les mêmes per­son­nages. Forcément, cela donne des pas­sages de lon­gueur plu­tôt variable. Personnellement, la lon­gueur variable des cha­pitres dans un texte lit­té­raire ne me gêne abso­lu­ment pas, pourvu qu’elle soit justifiée.

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