Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • Les 3 stades du sty­liste : cha­meau, lion, enfant
  • Quelle impor­tance don­ner aux ques­tions de style dans votre écriture ?
  • Votre style idéal ?

Trouver son style d’é­cri­ture est un besoin capi­tal pour tous les écri­vains. Voici les trois grands stades d’é­vo­lu­tion de votre style.

Développer votre style d’é­cri­ture vous fera pas­ser par 3 stades : le “bien écrit”, le “mieux écrit” puis, tout sim­ple­ment, l’“écrit”.

Dans son Zarathoustra, Nietzsche repère 3 stades de la sagesse : le cha­meau, le lion et l’enfant. Le sage com­mence ainsi par être un cha­meau, se char­geant de connais­sances et de prin­cipes. Ensuite, le sage entre dans l’attitude du lion, agres­sif, actif. Ainsi armé, il s’attaque au dra­gon du « tu dois ». Enfin, le sage choi­sit de rede­ve­nir enfant, et de com­men­cer une vraie vie de sagesse, dépouillé de toute connais­sance ou idée préconçue.

Jouons un ins­tant les « petit sca­ra­bée » : car le style, j’en suis convaincu, est avant tout affaire de sagesse.

Le chameau ou le “bien écrit”

Souvent, lorsque l’on com­mence en écri­ture, on se pré­oc­cupe énor­mé­ment de la forme. Conséquence, peut-être, des cours de fran­çais où l’on nous apprend à recon­naître, dans un livre, les figures de style les yeux ban­dés ? Oxymores, ana­co­luthes, zeugmes et hyper­chleuasmes semblent alors les clés uni­ver­selles du texte lit­té­raire. Bien sûr, cela n’est pas faux. Mais il s’agit juste de la par­tie la plus évi­dente de la vérité.

Vous êtes un auteur en herbe ? Fraîchement équipé de cette pano­plie scin­tillante, vous vous met­tez à écrire. Vous far­cis­sez vos his­toires de tour­nures mal maî­tri­sées, de ficelles poé­tiques, de bouts de phi­lo­so­phie, de vagues lueurs, d’inversions, d’incantations… Vous char­gez votre texte comme un dro­ma­daire. Si on n’y regarde pas de trop près, on dira que vous “écri­vez bien”. Si on vous lit pour de bon, on s’ennuie.

Car le style d’é­cri­ture, c’est tout cela, oui, et rien de cela.

Trouver son style d'écriture est une traversée du désert
Avoir la bosse des lettres…
… est un bon début.

Le lion ou le “mieux écrit”

Un jour, si vous êtes dans le cas décrit ci-des­sus, vous en aurez assez. Vous connaî­trez une révé­la­tion en vous reli­sant : vous vous ennuie­rez vous-même à votre lec­ture. Vous serez mûr alors pour entrer dans le com­bat du “mieux écrit”.

Vous vous débar­ras­se­rez d’un seul coup de l’attirail qui vous pèse. Vous com­men­ce­rez une quête, une recherche de votre voix propre : adjec­tifs, idio­lec­tismes, perles… Vous vou­drez, à tout prix, ne res­sem­bler à personne.

Votre Graal sera le “mot juste”. Vous avoue­rez fiè­re­ment que vous pas­sez des heures sur chaque phrase, des jour­nées sur chaque mot. Car le “mot juste” existe en vous, et vous seul savez le faire sur­gir de vos espaces intérieurs.

Ce sera une époque de satis­fac­tions sub­tiles, et de grandes faims intel­lec­tuelles. Vous serez heu­reux. Enfin, vous le serez… spirituellement.

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Tout feu tout flamme…
… pour le « mieux écrit ».

L’enfant : “écrit”, tout simplement »

Et puis, vous vous reli­rez. Un jour “sans”, un jour où on se prend soi-même par sur­prise. Et vous aurez une amère décon­ve­nue : ce fatras bariolé, ce livre en cos­tume de clown, est-ce bien vous qui l’avez écrit ? Hélas, oui.

Car le “mot juste” vieillit mal. Ce qui vous a “parlé” un moment, vous fera sou­rire l’instant d’après. L’exploration pas­sion­née de votre cœur d’écrivain n’aura trouvé que des mots éphémères.

Alors, vous dépouille­rez le cher­cheur, l’explorateur, le bri­seur d’habitudes, bref, le lion.

Vous com­pren­drez que le style d’é­cri­ture, celui qui fait fonc­tion­ner le texte, celui qui tra­duit au mieux votre pen­sée, est invi­sible. Le vrai sty­liste apprend tout, essaye tout, puis il revient à son point de départ.

Vous essaie­rez d’écrire “comme tout le monde”, et vous vous ren­drez compte de cette mer­veille : en écri­vant comme tout le monde, on n’écrit comme per­sonne. En cher­chant la voix de l’évidence, on trouve d’instinct les for­mules comme les “mots justes”.

Vous com­pren­drez que le meilleur style, c’est celui qui se fait oublier. L’accomplissement sur­vien­dra lorsque votre lec­teur relè­vera le nez de votre texte après le mot “fin”, et qu’il se dira « Bon sang, mais en plus, c’est bien écrit ! J’avais même pas remar­qué ! » Car le style, à ce moment-là, sera devenu ce qu’il doit être : la par­tie d’un tout, un simple moyen au ser­vice de l’histoire. Un serviteur.

Z Les 3 stades de votre style d’écriture
L’arrière-salle du café de Flore. Un ramas­sis de vieux écri­vains pas­sés maîtres dans la pra­tique stylistique.

La nuance rhétorique : style d’écriture atticiste et asianiste

Une autre approche inté­res­sante de ces ques­tions de forme nous vient de l’Antiquité. Au Ier siècle avant J.-C., les ora­teurs grecs se rangent entre les tenants du style clair, sobre, et ceux d’un style plus orné, sen­ti­men­tal : les atti­cistes et les asia­nistes. Voici une défi­ni­tion moderne de l’at­ti­cisme (à pro­pos du com­po­si­teur Gabriel Fauré) :

… l’atticisme, qui se défi­nit si bien par ses contraires : l’emphase, l’outrance, la vul­ga­rité, la lour­deur, l’affectation, l’effort – l’atticisme qui n’appuie pas, qui n’insiste pas, qui ne crie jamais, qui n’emploie jamais plus de mots ou de notes qu’il n’en faut, qui a le sens inné du choix et de la mesure, qui est la forme suprême du goût, dans un par­fait naturel.

Vous et votre “staïle” : mise en pratique

La démons­tra­tion ne serait rien sans un peu de pra­tique. À quoi devez-vous faire atten­tion, si vous vou­lez pro­gres­ser plus vite sur la voie du style ? Quels prin­cipes pou­vez-vous vous donner ?

  • Persuadez-vous que le style d’é­cri­ture “lit­té­raire” est une conven­tion qui ne cor­res­pond à rien de réel. Ne faites rien qui affai­bli­rait invo­lon­tai­re­ment l’“illu­sion roma­nesque”.
  • Le style ne doit pas être votre pré­oc­cu­pa­tion prin­ci­pale. La forme est subor­don­née au fond. Autrement, on tombe dans l’é­pou­van­table :

    Elle, défunte nue en le miroir, encor Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe De scin­tilla­tions sitôt le septuor.

    Au contraire, n’hésitez pas à plier la forme à ce que vous vou­lez dire. Tant pis si la per­fec­tion for­melle y laisse des plumes.

  • Méfiez-vous des dan­gers les plus simples : les cli­chés, les lour­deurs, et l’écriture “à la manière de”. Si votre trou­vaille sent le déjà-vu, sup­pri­mez-la. Un léger doute suf­fira pour la condam­ner. Si votre élé­gance entraîne une lour­deur, sup­pri­mez-la. Et sur­tout, ne cher­chez pas à écrire comme Untel. Vous avez une voix à faire entendre : la vôtre ; lais­sez votre écri­vain favori se sou­cier de la sienne.
  • Un texte de fic­tion n’est pas fait pour impres­sion­ner. Ne cher­chez JAMAIS à être brillant. Dès que vous serez brillant, vous détour­ne­rez l’attention du lec­teur de ce que vous vou­lez racon­ter. en vou­lant l’impressionner, vous vous ferez votre propre ennemi.
  • Le “mot juste” n’existe pas. Il vous paraî­tra peut-être juste ici et main­te­nant, mais pas le len­de­main, et jamais pour autrui. Or, c’est à autrui que vous vous adres­sez. Un mot ne sera jamais juste s’il semble incon­gru, déplacé. La jus­tesse, en lit­té­ra­ture, est affaire de contexte, de fluidité.

Et un dernier pour la route…

Apprêtez-vous à reve­nir sur vos pas, pour recom­men­cer la route sur un che­min meilleur.

Oubliez toute ques­tion de style, tant que vous n’aurez pas trouvé le vôtre. Le style d’é­cri­ture se forge dans la pra­tique. Votre écri­ture propre, assu­rée, naî­tra de vos épreuves d’auteur.

Un jour, quand vous aurez cessé de vous sou­cier de la forme, vous reli­rez votre der­nier texte. Vous vous ren­drez compte que vous tenez le ton juste. Et vous ver­rez que tout cela est bon.


Et toi, mon bel inter­naute sau­vage ? Chameau, lion ou enfant ?

45 commentaire

  1. Sebastienn VERGNAUD a dit :

    C’est très inté­res­sant ! Et cela me fait pen­ser à ceci :

    Les jeunes auteurs font sou­vent une erreur impor­tante : ils intel­lec­tua­lisent tout. J’ai décou­vert au fur et à mesure de mes romans, et en pas­sant par dif­fé­rents stades, qu’il arrive un moment ou vous n’intellectualisez plus, mais vous deve­nez obser­va­teur de l’histoire qui se déroule devant vos yeux.

    Désormais, je découvre les conver­sa­tions, les per­son­nages, les lieux, tout arrive avec sim­pli­cité pour une simple et bonne rai­son : j’ai arrêté d’intellectualiser et j’ai essayé pen­dant long­temps de n’écrire que par l’inspiration.

    Inspiration dif­fi­cile à trou­ver lorsque vous êtes fati­gué, malade, rem­pli de mau­vaise nou­velle, mais le constat le plus amu­sant est de voir que, lorsque je com­mence à écrire, j’ai réussi à for­ma­ter mon esprit pour ne pas m’occuper de ce qu’il se passe à côté et m’inspirer de l’histoire en cours.

    Ce texte m’a fait pen­ser à ce constat et je vou­lais le partager !

    Un grand merci à Nico !
    Sébastien VERGNAUD

    1. Bien vu, le phé­no­mène est en effet de l’ordre de l’intellectualisation. Le terme d’« ins­pi­ra­tion » ne me plaît pas beau­coup (je revien­drai là-des­sus un jour), mais dans le prin­cipe je suis sur la même lon­gueur d’ondes que toi : concer­nant le style, l’auteur doit apprendre à ne plus réfléchir.

  2. Kanata a dit :

    Tu prêches un converti Nicolas 😉
    Je me tue à dire (dans le contexte du roman de fic­tion, on s’entend) que le bou­lot de l’auteur c’est d’écrire une histoire.
    La forme, pour moi, doit être comme tu l’as joli­ment écrit, la par­tie d’un tout. Elle ne doit pas être trop médiocre de manière à ne pas bri­ser la flui­dité du lec­teur et le lais­ser s’envoler. Elle ne doit pas non plus être trop « bonne » car elle acca­pare alors l’esprit du lec­teur au lieu de le lais­ser s’évader.
    Combien de romans aux longues phrases déve­lop­pées comme les rubans sans fin de pel­li­cules argen­tiques aux images colo­rées et émou­vantes, chauds et char­gés de tour­nures toutes plus justes les unes que les autres, de struc­tures her­cu­léennes sou­te­nant des pro­pos pour­tant tout en finesse… s’avèrent au final dénués d’histoire ?
    Après tout, une âme ne trans­cende-t-elle pas le corps dans lequel elle réside ?
    Pour répondre à ta ques­tion : je ne suis pas encore rede­venu un enfant, mais désor­mais je m’amuse en écri­vant… c’est plu­tôt bon signe non ?

  3. Kanata a dit :

    Peut-être 😉
    Il est vrai que l’on croise des jeunes auteurs obnu­bi­lés par le style. J’avoue ne pas en avoir été, pro­ba­ble­ment parce que mon back­ground été à cent lieues du lit­té­raire, et même si je l’avais voulu, je n’aurais pas pu jouer à ce jeu… j’ai tou­jours voulu racon­ter des his­toires avant tout. La forme ? J’ai ramé pour la domp­ter ensuite dans la fameuse « phase lion » que tu men­tionnes, en ingur­gi­tant tout ce qui me pas­sait à por­tée de main.

  4. Peraspera a dit :

    Sors de ce corps Mr Jourdain !

    Sans rire, j’adhère tout à fait à cette phi­lo­so­phie. Je me suis aperçu que mes textes sor­taient de plus en plus d’un état de récep­ti­vité de la situa­tion que je veux décrire et des per­son­nages qui m’animent. Le mot juste, la phrase juste pour moi désor­mais c’est plu­tôt lorsque je peux me dire « c’est ce qu’il aurait dit, fait, pensé »

    J’ai aban­donné sans remord les affres des phrases cise­lées aux petits oignons avec un peu de thym et la ciboulette.

    1. Le constat que vous faites toi et Sébastien signale déjà des auteurs qui ont un peu de bou­teille. Les tout jeunes écri­vains, en géné­ral, quand ils com­mencent à écrire, se cherchent d’urgence une pos­ture. Ils se construisent un style tout à fait arti­fi­ciel pour “col­ler” à cette posture.

      Le tra­vail sur le style, c’est aussi un tra­vail sur soi, sur ses propres rai­sons d’écrire.

  5. lolodubain a dit :

    « Ne plus réflé­chir » Voilà une phrase clé et qui me va !
    Le style n’est peut être pas une fin en soi, la den­rée est trop rare…
    N’oubliez pas pour autant cette ombre indé­fi­nis­sable qui, livre fermé, toutes lumières éteintes colle encore aux pieds des lecteurs…

    1. Attention, je ne dis pas qu’il faut négli­ger le style, hein, je dis qu’il se consti­tue beau­coup mal­gré soi.

      L’image de l’ombre est belle. Le style comme une ombre pro­je­tée par le texte. C’est un effet natu­rel, invo­lon­taire, et inévi­table ; le terme convient bien en effet.

  6. Gilles Rimbert a dit :

    Ton article m’a fait repen­ser à ce per­son­nage de la Peste de Camus, Grand, qui écrit, reprend et trans­forme une phrase, « sa phrase » encore et encore tout au long du roman, sans jamais réus­sir à l’écrire, à trou­ver le ton juste, les bons mots… Le paroxysme de l’intellectualisation !

  7. Mellumiere a dit :

    Misère ! Je com­prends enfin pour­quoi ma « coach » d’écriture m’a repro­ché ma tech­nique d’écrivaine en herbe… C’est-à-dire, écrire deux phrases, les relire, les retra­vailler, écrire deux autres phrases, relire les quatre phrases, les retra­vailler, et ainsi de suite ; je suis une lionne féroce et je l’ignorais !

    Merci à toi pour cet article enri­chis­sant. Je tâche­rai désor­mais de trou­ver l’enfant qui dort en moi !

    D’ailleurs, je pense savoir par où com­men­cer… Je ne sais pas si on peut y voir un lien, mais dès que j’écris à « l’ancienne » avec un bout de papier et un crayon, j’arrive à me lais­ser aller. Serait-ce un signe de l’enfant qui som­meille en moi ?

    (Juste pour dire, j’ai pris au moins 20 minutes pour écrire ces quelques phrases… Lionne enra­gée, sors de moi ! 🙂 )

    1. Ce que tu racontes vou­drait dire que lorsque les repen­tirs sont mal­com­modes (sys­tème papier-crayon), on oublie un peu les finas­se­ries de style… ?

      Bon à savoir ; merci Mellumière.

  8. Lucile a dit :

    Quand on parle de « jeunes auteurs » pour la phase du cha­meau, ça me gêne un peu. Personnellement, j’ai l’impression que c’est aussi beau­coup lié à la pra­tique de la lec­ture et à ce qu’on a appris des autres. Disons que j’ai fait le cha­meau quand j’ai essayé d’écrire de la poé­sie au col­lège. Depuis j’ai lu pas mal, mais qua­si­ment pas écrit ; je m’y mets seule­ment aujourd’hui et j’ai l’impression d’écrire dans l’optique « comme un enfant » en essayant de me débar­ras­ser des défauts de lion qui sont là, dans mon écri­ture. Pourtant, je suis une « auteure » on ne peut plus débutante.
    Mais bon, peut-être que même sans avoir rien pro­duit, j’avais une pos­ture d’auteur chaque fois que j’ai fait atten­tion à ce que je lisais et à pour­quoi ça fonc­tion­nait (ou pas !) ?
    En tout cas, je trouve l’article très inté­res­sant ! Merci beaucoup ! 🙂

    1. Je ne me suis pas aven­turé à indi­quer des durées pour chaque stade. Bien sûr, vous avez pu aban­don­ner les deux pre­miers avant de pra­ti­quer sérieu­se­ment. Tout comme on peut, à cer­tains moments de sa pra­tique, être encore cha­meau mais déjà lion, sur­tout enfant mais tou­jours un peu lion, etc.

      Il doit même s’en trou­ver qui com­mencent par être lion, et ensuite seule­ment chameau ! 😉

  9. Iael a dit :

    je dois être un drôle de cas parce que je ne me retrouve pas du tout dans tout ça XD

    J’écris avant tout à l’instinct, en me met­tant à la place des per­son­nages, en fai­sant atten­tion à l’histoire et à la pré­sence des 6 sens (les 5 sens + le res­senti, l’émotion).

    Quand j’écris la suite je me relis, en repre­nant les pas­sages que je trouve mal­adroit. Là c’est un peu com­pli­qué, je n’aime pas reprendre, je pré­fère presque tjs mon pre­mier jet. En ce moment je fais atten­tion aux répé­ti­tions et je cherche des synonymes.

    Et c’est à peu près tout XD

    Il faut savoir aussi que je me suis « for­mée » tota­le­ment en auto­di­dacte, les rares ate­liers d’écriture que j’ai pu tes­ter ne me conve­nant pas (et j’ai beau sor­tir d’un bac L je suis une quiche en ortho/grammaire etc). J’ai l’impression quand même d’avoir un manque de tech­nique, alors bon je glane de conseils sur le net. Mais fina­le­ment il n’y a pas l’air d’avoir tant que ça de « méthodes » pro­pre­ment dite, donc je crois que tout ça se joue avant tout à l’instinct XD

    1. Eh bien ma chère Lael, d’après ce que tu racontes, il semble que tu te situes là : « Oubliez toute ques­tion de style, tant que vous n’aurez pas trouvé le vôtre. Le style se forge dans la pratique. »

      Tant mieux, n’est-ce pas ? C’est là où je vou­lais en venir !

  10. Andrea a dit :

    J’aime bien cet article ! Même si je n’arrive pas à me situer parmi le cha­meau, le lion et l’enfant. J’ai l’impression d’être un peu des trois à la fois !

    Sinon, je suis en par­fait accord avec le fait qu’un bon style, c’est celui que le lec­teur oublie pour ne plus se concen­trer que sur l’histoire. D’où mon obses­sion pour tous les mots, toutes les tour­nures, toutes les mau­vaises tran­si­tions d’idées qui me font buter à la relec­ture sur une phrase ou un passage.
    Quand je lis un pas­sage au lieu de le relire, au moins, je sais que c’est parce que, à ce moment là, il n’y avait aucun défaut majeur.
    Enfin… pour moi ! (un lec­teur satis­fait, ce n’est déjà pas si mal)

    1. Oui, sans doute que l’on reste tou­jours un peu lion et un peu cha­meau… L’essentiel est de le savoir et de faire un peu attention.

      Le test de l’auto-relecture peut être valable… A condi­tion de lais­ser décan­ter son texte. Si tu te relis dans la fou­lée, tu trou­ve­ras tout très fluide et très explicite 😉

  11. R. Jeanne Caré-Lapresad a dit :

    Merci pour votre site…
    il m’a per­mis de me rassurer.
    J’écris depuis que je suis toute petite, et j’ai 36 ans aujourd’hui. c’est vrai qu’au début, je cher­chais les bons mots, les tour­nures com­pli­quées, les adjec­tifs expli­cites… je res­tais des heures sur un mot (LOL) les épaules cris­pées car je ne trou­vais pas les mots pour cou­cher sur le papier ces images qui me hantaient.
    J’essaye à pré­sent de faire au plus simple… tout en cher­chant par­fois à étof­fer mon voca­bu­laire ??? alors je crois que je reste un cha­meau avec un corps de lion et un coeur d’enfant… Drôle de chi­mère, n’est-ce pas ?

    1. C’est vrai, plu­sieurs de vos com­men­taires laissent un peu entendre la même chose : on ne quitte jamais vrai­ment tota­le­ment le stade pré­cé­dent. Sur cer­tains points, on reste cha­meau, ou lion…

      Disons que c’est sur­tout le but qui est impor­tant. Je pense qu’il faut viser le stade « enfant » et se défaire des réflexes « lion » et « cha­meau », quand on les discerne.

  12. Sarah a dit :

    Waouh j’ai l’impression de m’être assom­mée, de m’être fait réveillée et de recom­men­cer. Ça fait un moment que je traîne sur ce blog, très enri­chis­sant ! Franchement, bravo et merci pour tout !

    Je par­tais à l’exploration d’un nou­vel article : celui-ci. Je savais ce qu’était le style mais je n’ai jamais spé­cia­le­ment eu expres­sé­ment « l’envie » de me créer un style tout à moi. Je me doute que tout ce que j’écris viens for­cé­ment de quelque part, je ne suis pas un génie et n’inventerais jamais quoique ce soit, je retrans­cri­rais sim­ple­ment ce que je vois, res­sens : tout viens de quelque part ou presque tout car plu­sieurs choses ou au moins une ont for­cé­ment démar­rés de « rien »… enfin bref je m’éloigne du sujet. Avide de pou­voir amé­lio­rer mon écri­ture, j’ai com­mencé à lire cet article. Quand je suis arri­vée à l’étape cha­meau, je me suis ren­due compte que je ne savais pas ce qu’était tout les trucs bizarres : zeugme, oxy­more… etc. Alors, vite je me ren­seigne. En une petite soi­rée j’ai appris toutes ou du moins celles réper­to­riées étude-littéraire-ou-un-truc-comme-ça.com, très contente de moi je retourne sur l’article ayant des pro­jets en tête de textes sty­lés (enfin plu­tôt « figu­re­des­tylé » 😀 ). L’épisode lion m’assomme : aurais-je appris toutes les figures de style pour rien ? Je finis ensuite l’article. J’avais et j’ai encore l’impression d’avoir évité d’écrire un texte tota­le­ment cha­meau ou tota­le­ment lion. Est-ce pos­sible de pou­voir évi­ter ses étapes du « bien écrit » et du « mieux écrit » quand à peine sor­tie de l’enfance on apprend qu’il faut y retour­ner ? Est-ce plus facile d’y retour­ner quand on vient d’en sor­tir ? Oui, j’ai 14 ans, enfin presque (ce mois-ci) et j’ai jamais eu l’impression d’être le cha­meau ou le lion décrit ci-des­sus. J’ai tou­jours écrit ins­tinc­ti­ve­ment. A part la fois où j’ai fait mon pre­mier poème, je vou­lais à tout prix faire un son­net d’alexandrins alors il était un peu tiré par les che­veux. Alors ça vou­drait dire que rien qu’avec ce poème j’aurais passé les deux étapes cha­meau et lion ? Ou est-ce que c’est trop tôt pour le savoir, que je les pas­se­rais plus tard ces étapes ? Peut-être suis-je pré­ten­tieuse… Tout ça me parait confus au final.

    Croyez-vous que votre article puisse per­mettre à un écri­vain en herbe à igno­rer les deux étapes que vous avez retrans­crites ? Sont-elles essentielles ?
    Vous dites qu’un enfant doit tout oublié pour retrou­ver son inno­cence mais… peut-être pas quand même son expé­rience, sinon ce serait un cercle vicieux tota­le­ment inutile.
    Mais alors cette expé­rience est-elle essen­tielle afin de deve­nir un écri­vain « accom­pli » ou du moins « qui a son style » ?

    Merci et déso­lée de vous déran­ger avec mes pâtés de questions… 🙂

    1. Hum, sans vou­loir faire d’ironie, toutes ces ques­tions montrent que vous n’êtes pas encore dans le stade « enfant », de façon géné­rale… Il est bon de se poser des ques­tions, mais quand elles sont trop nom­breuses ou trop détaillées, méfiance…

      Pour répondre de façon un peu déta­chée, je dirais que les 3 stades que j’identifie ne sont pas imper­méables. On peut vivre un peu des trois expé­riences ds que l’on écrit ses pre­mières pages. Simplement, plus le temps passe, et plus on va du cha­meau au lion et du lion à l’enfant.

      Et l’expérience ne dis­pa­raît pas avec le stade « enfant ». Au contraire, pour Nietzsche qui nous sert de guide ici, le natu­rel, le « gai savoir », est la forme ultime que prend l’expérience et la connais­sance accumulés.

  13. Izru a dit :

    Je suis moi aussi dans les trois stades. On m’a pour­tant dit que j’avais un style propre, mal­gré un cer­tain com­bat pour ne pas en avoir. J’essaye sou­vent d’imiter d’autres per­sonnes et je pense mal­gré tout ce que vous dites que c’est enri­chis­sant. Certes, c’est avant tout un jeu, mais le fait d’étudier les écrits des autres me per­met d’y pio­cher quelques mots qui finissent par s’intégrer à mon « iden­tité » d’auteur. Changer de voca­bu­laire et de pré­sen­ta­tion en chan­geant d’histoire, c’est aussi une manière de décou­vrir là où l’on est le plus à l’aise.

    Les figures de style, ça reste bien si c’est natu­rel, choisi une manière pas for­cé­ment consciente afin d’installer l’ambiance. Je prône aussi la sobriété et suis ravie de ne pas être seule.

    Quant à ma méthode pour retrou­ver mon style… je marche pen­dant quelques heures, je bosse encore un peu et je retourne devant mon clavier !

    1. « On m’a pour­tant dit que j’avais un style propre, mal­gré un cer­tain com­bat pour ne pas en avoir. »

      Et un jour, cette ques­tion du style, de ses tech­niques ne vous pré­oc­cu­pera plus. Vous serez alors plei­ne­ment dans le stade « enfant »…

  14. Gauthier a dit :

    Bonjour,
    En vous lisant je ne peux que vous deman­der : « Que pen­sez vous des sty­listes comme Céline ? »
    Il était obnu­bilé par le style, et reven­di­quait fiè­re­ment que seuls les auteurs qui « met­taient leur peau sur la table », qui avaient du style, valaient la peine.
    Dans ses livres c’est moins le fond que la forme qui nous fait res­sen­tir la misère et le déses­poir du nar­ra­teur au cours de ses « voyages ». Pourtant son oeuvre est celle d’un écri­vain génial (dans son sens pri­maire, ins­piré par le génie), qui n’aurait pas entrevu un seul ins­tant le stade de l’enfant ?
    Car il est évident que chaque phrase est four­nie de « mots justes », que son style est omni­pré­sent, impos­sible à oublier, dur. Pourtant Céline reste consi­déré comme un des plus grands auteurs de son siècle, grâce à cela.
    Est-il alors pos­sible de n’être jamais un enfant tout en étant un bon écri­vain ? Ma réflexion est-elle le fruit d’une incompréhension ?
    Merci.

    1. Voilà une ques­tion très pas­sion­nante et très com­plexe. Elle méri­te­rait un article savant de la part d’un « céli­niste », ce que je ne suis pas, même si je suis lec­teur du bonhomme.

      Il y a plu­sieurs élé­ments dans votre question :

      Sur l’écrivain ins­piré par le génie, je me réserve d’en repar­ler un jour. Je trouve que c’est une façon un peu com­mode de pen­ser l’écriture, et la créa­tion en géné­ral. Néanmoins, si le concept de « génie » devait être rap­pro­chée d’un des 3 stades que j’évoque, ce serait sans doute plu­tôt du stade de l’enfant.
      Céline et les 3 stades : je ne connais pas assez son his­toire d’écrivain pour dire s’il a connu les stades en ques­tion. Un cher­cheur aurait peut-être des choses pas­sion­nantes à dire là-dessus.
      Ce que vous per­ce­vez comme lec­teur (mots justes) ne cor­res­pond pas for­cé­ment à ce que l’auteur per­çoit de son écri­ture, et c’est bien ce point de vue-là dont je parle dans l’article. Le rap­port de Céline au style est plus com­plexe que vous le pré­sen­tez, je pense. Vous connais­sez peut-être son allé­go­rie du bâton : « Si vous pre­nez un bâton et si vous vou­lez le faire paraître droit dans l’eau, vous allez le cour­ber d’abord, parce que la réfrac­tion fait que si je mets ma canne dans l’eau, elle a l’air d’être cas­sée. Il faut la cas­ser avant de la plon­ger dans l’eau. C’est un vrai tra­vail. C’est le tra­vail du sty­liste. » Il y a donc un effort à four­nir durant le tra­vail, et un but, qui est l’apparence de natu­rel. Le but est donc bien celui du stade enfant : trou­ver le style qui se fera oublier. C’est ainsi, selon moi, que les « mots justes » viennent à Céline. Maintenant, l’énorme effort dont parle Céline pose pro­blème dans mon rai­son­ne­ment, je suis d’accord. Cela le ramè­ne­rait plu­tôt vers le stade lion. Peut-être pour­rait-on dire que Céline avait choisi de s’arrêter entre les deux ? Une sorte de « lionfant » ?

      Et pour finir à pro­pos de l’effet de la prose céli­nienne sur le lec­teur : oui, celle-ci est dure, impos­sible à oublier… Mais peut-être est-ce parce que nous sommes tel­le­ment habi­tués à un style lit­té­raire « sage », « fabri­qué », que nous ne savons plus recon­naître le natu­rel, quand nous le voyons, dans un roman ?

  15. une plume sans elle a dit :

    Merci pour cet article enrichissant.

    Je me retrouve (trop) sou­vent dans ce cas de figure où un jour j’ai l’impression d’avoir écrit LA phrase unique et forte de sens avec l’idée révo­lu­tion­naire. Puis le len­de­main, à la relec­ture, tout me paraît si fade que j’en hésite à la conserver.

    Comment y remédier ?

    1. J’espère don­ner quelques pistes dans cet article. La clé, à mon avis, est de ne pas se pré­oc­cu­per de LA phrase. Objectivement, ce n’est pas ce qui fait la réus­site ou l’échec d’un récit…

  16. you must be fun at parties a dit :

    Je suis étonné que Nietzsche évoque trois dif­fé­rente forme à atteindre par des méta­phores d’animaux. Je me sens beau­coup moins ori­gi­nal main­te­nant. Merci.

    C’est un petit exer­cice d’écriture que je vous livre.

    Quand j’étais gamin, j’écrivais en sachant que mes proches et ma famille le lirait, et me sen­tais drô­le­ment embêté. Comment vais-je faire pour la scène érotique ?

    Je plai­sante, mais je crois qu’une bonne manière de tra­vailler son style est de s’entraîner à n’écrire pour per­sonne. Un peu à la façon d’un jour­nal intime, mais dans lequel vous racon­tez une his­toire sans for­cé­ment par­ler de vous.

    Pour ce type d’écriture je vous conseille d’oser le plus pos­sible. Dépasser vos propres limites en termes d’écritures, abor­dez des sujets plus extrême et d’une façon que vous ne maî­tri­sez pas. N’essayez pas d’êtres « vous même », au contraire, pre­nez des che­mins que vous n’oseriez prendre d’habitude. N’hésitez pas, per­sonne ne le saura 🙂

    1. Oui, c’est bien vu, même si on ne peut s’empêcher, je pense, d’avoir un cer­tain lec­teur en tête quand on écrit. Celui-ci peut chan­ger d’une scène à l’autre. Tout l’art est de ne pas pen­ser à sa gen­tille mémé quand on s’attaque à la scène de porno SM…

  17. Hannah a dit :

    Tout d’abord, merci pour cet article, qui me donne matière à réfléchir.

    J’étais en train de cher­cher des conseils pour mieux écrire, parce que comme vous le disiez dans votre article, j’étais en pleine période « sans », je trou­vais mes phrases vides, mes récits ennuyeux, qui ne reflé­taient pas ce que je vou­lais vrai­ment expri­mer. Et lorsque j’ai lu votre article, j’ai enfin com­pris que je regar­dais pas du tout dans la bonne direc­tion. A vou­loir trop bien faire, j’étais tom­bée dans un piège. Ma pre­mière réac­tion fut de me sen­tir décou­ra­gée. Avais-je donc tenté d’apprendre pour au final me rendre compte que tout ce che­min par­couru m’avait rame­née au point de départ ?

    En lisant la par­tie « enfant », je me suis ren­due compte qu’il y avait long­temps que je n’avais écrit comme ça. Juste racon­ter une his­toire, sans réflé­chir, sans m’encombrer de tour­nures arti­fi­cielles. Tout ça m’a rap­pelé un vague sou­ve­nir qui date de ma sixième. J’avais écrit un poème en prose qu’il me fal­lait rendre pour le len­de­main. Je ne me sou­viens même pas de mes réflexions à pro­pos du style et de l’écriture. Je me suis juste rap­pe­lée que je n’avais pensé qu’à tra­duire ce que je voyais dans ma tête, à racon­ter ce que je voyais.

    Et là, sur­prise. Mon pro­fes­seur était scié, mon père l’a trouvé magni­fique. Je ne com­pre­nais même pas cet engoue­ment. Aujourd’hui, je crois avoir com­pris. Était-ce ça, être enfant ? Est-ce le but à atteindre ? Étais-ce le seul moment où j’ai été enfant qui m’a per­mis d’écrire un texte d’un niveau que je n’ai jamais plus réussi à atteindre, étant retom­bée au niveau cha­meau et lion en pen­sant que mon écri­ture s’améliorerait ?

    1. Je pense que vous avez saisi l’idée.

      Mais ne soyez pas déses­pé­rée : on peut retrou­ver cet état. Comment ? Je cherche encore les élé­ments de réponse.

      Les autres, dans le fond : une idée ?

  18. Ento a dit :

    Article très inté­res­sant, qui renou­velle un peu la manière d’envisager le style, ou plu­tôt le tra­vail sur le style. J’y émet les mêmes réserves qu’un pré­cé­dent inter­naute (Gautier) auquel vous avez répondu. Ce sont sur­tout ces mots qui m’ont dérangé : « En cher­chant la voix de l’évidence, on trouve d’instinct les for­mules comme les “mots justes” » car il me semble, pré­ci­sé­ment, que l’instinct des mots justes relève de quelque rares talents ; les autres lit­té­ra­teurs devront en pas­ser par des heures fas­ti­dieuses, et comp­ter sur l’expérience pour com­pen­ser ce défaut en espé­rant, peut-être un jour, atteindre ce fameux « troi­sième stade ». Je ne crois pas que l’on puisse se dis­pen­ser du labeur sty­lis­tique, quand on pré­tend à la littérature.
    Un gros bémol, cepen­dant : j’ai tiqué sur le « Autrement, on tombe dans.. » à pro­pos de vers tirés de l’un des plus beaux poèmes de Mallarmé. Ca me semble être une méprise, ou une erreur : évi­dem­ment, on ne conce­vrait pas un tel style à l’échelle d’un roman ; évi­dem­ment, Mallarmé n’a jamais pré­tendu racon­ter une his­toire ; évi­dem­ment encore, le style était l’une de ses pré­oc­cu­pa­tions fon­da­men­tales. Néanmoins, elle n’a jamais été l’unique, et Mallarmé n’en a pas fait un but ; il a d’abord pro­duit du sens, et ce sens conju­gué à ce style a pro­duit de la poé­sie, ou pour employer un autre terme, de l’impression. Ses poèmes (en vers, mais sur­tout en prose) sont, certes, un défi à l’intelligence, et sont par­ti­cu­liè­re­ment âpres à com­prendre, mais une fois le sens trouvé (il y en a tou­jours un !), l’impression pro­duite est d’une rare puis­sance et splen­deur. Si son œuvre a sur­vécu au 20e siècle, c’est pré­ci­sé­ment parce qu’il n’était pas qu’un sty­liste. Il me semble donc que le réduire à cela relève de l’incompréhension totale. Cela étant, je ne jette pas la moindre pierre à qui d’entre nous dit ne pas l’aimer, ou ne pas vou­loir s’efforcer à le com­prendre. Toutes les sen­si­bi­li­tés se respectent.

    1. Je pense que la recherche du mot juste est une impasse. Que l’écriture ne peut vivre si elle se résume à un vaste bal­let autour de « quelques rares talents ».

      Et tant pis pour moi 🙂 l vers de Mallarmé n’était pas une erreur. Précisément parce que l’intelligence, selon moi, ne fait pas de la bonne poé­sie. L’intelligence ne parle qu’à l’intelligence, qui a déjà tel­le­ment à écou­ter. Il y a une sorte de nar­cis­sisme intel­lec­tuel chez Mallarmé qui me semble tout à fait inexem­plaire et contre-productif.

  19. Ailée a dit :

    Après des mil­liers de lignes écrites, ennuyeuses à saleur relec­ture, j’es­saye depuis deux mois la vali­da­tion par mon ventre. Quand c’est bien, je laisse, si ça tire, je cor­rige. Mais je ne me suis pas encore remue dans la durée. Bref, c’est la purée de poix, comme au pre­mier jour. Arrêter ?

      1. Spampani a dit :

        Je suis en grande par­tie d’ac­cord avec ce que vous dites sur le style. Cependant n’est-ce pas une affaire de parti pris ? Le cas de Flaubert pose pro­blème : que dire de ce grand roman­cier qui pou­vait pas­ser des jours entiers sur une phrase, un mot, qui fai­sait subir à sa prose l’é­preuve du « gueu­loir » (on en pas­se­rait aujourd’­hui pour un demeuré) ? Et pour­tant on ne peut lui repro­cher un nar­cis­sisme intel­lec­tuel comme vous le faites un peu légè­re­ment pour Mallarmé qui vou­lait retrou­ver la vita­lité des mots (« je dis une fleur…) der­rière les « étants » dés­in­car­nés à la manière d’Heidegger. Au contraire la prose de Flaubert a cette appa­rence de natu­rel et à aucun moment on ne voit l’é­cri­vain à sa table en train de cher­cher la phrase qui va impres­sion­ner le lec­teur comme on le voit constam­ment dans les « m’as-tu lu » de la trempe de Moix, Nabe ou Beigbeder…

        1. Nous pour­rions aller sur le ter­rain du goût, en effet, mais ce serait plus agréable dans un bis­trot, avec une bière et la nuit devant nous !

          Plaisanterie mise à part, je n’ar­rive pas à me sen­tir impres­sionné par Mallarmé. L’intention ne fait pas l’oeuvre, et sa récep­tion est tout de même contra­dic­toire. Vous me dites qu’il recher­chait la vita­lité des mots, d’autres me disent qu’il faut un bon effort d’in­tel­li­gence pour rece­voir sa poé­sie ; je suis prêt à tous les efforts pour com­prendre une théo­rie lit­té­raire (ou un texte en fran­çais du XIIIe) ; pour rece­voir la lit­té­ra­ture en action, c’est plus dif­fi­cile pour moi, lec­teur. L’écriture com­plexe est, me semble-t-il, plus facile à pro­duire, imman­qua­ble­ment. Faire repo­ser le tra­vail d’in­tel­lec­tion sur le lec­teur est une faci­lité d’au­teur, que l’on trouve plus sou­vent chez les auteurs débu­tants, ceux qui n’ont pas encore bien inté­gré l’im­por­tance du des­ti­na­taire dans l’é­qua­tion. C’est quelque chose qui m’a tou­jours déplu chez Mallarmé, et qui me le rend éter­nel­le­ment sus­pect. S’il ne s’é­tait pas fait cha­hu­ter par ses élèves, peut-être aurait-il abordé l’é­cri­ture sans ce pénible com­plexe de supériorité…

          Concernant Flaubert, dif­fi­cile de livrer ce que je pense de sa démarche en quelques lignes. Pour moi, ce qui importe le plus chez Flaubert n’é­tait pas une sorte d’a­char­ne­ment sur le style, mais de l’a­char­ne­ment tout court. C’est quel­qu’un qui se docu­mente jus­qu’au délire, qui recherche, on le voit in vivo dans sa cor­res­pon­dance, une introu­vable esthé­tique ; qui s’en­gage avec un carac­tère très entier contre la sot­tise du siècle. Le style n’est qu’un aspect de ce carac­tère léonin…

          Difficile d’ailleurs de trou­ver, parmi les clas­siques que je connais, beau­coup d’au­teurs arri­vés à ce stade de l’en­fant : Verlaine, peut-être, pour com­men­cer ? La ques­tion me deman­de­rait des mois de recherche, et je n’ai pas pour m’y aider la logis­tique d’un cher­cheur en littérature…

  20. Sophie a dit :

    Cet article que je découvre à l’ins­tant est une pure perle. C’est propre, c’est beau et sur­tout ça me parle. Grande lec­trice depuis mes plus jeunes années, j’ai tou­jours été fas­ci­née par la manière qu’a un auteur de nous trans­por­ter dans son uni­vers, et ce avec une telle légè­reté de plume qu’on en finit par dévo­rer le bou­quin natu­rel­le­ment, sim­ple­ment, sans s’en apercevoir.

    J’ai été l’en­fant, il y a trente ans. Petite, très petite même, j’é­cri­vais des contes fan­tas­tiques et féé­riques avec mon coeur, mes mots, ma simplicité.

    Et oui j’ai oublié. J’ai oublié qui j’é­tais. Je suis deve­nue le cha­meau. Directement, sans détours, for­ma­tée par les styles lin­guis­tiques ensei­gnés, apeu­rée par les for­mules de style des meilleurs comme des plus mau­vais auteurs. J’étais per­sua­dée que c’é­tait ce qu’il fal­lait pour entrer dans la cour des grands. 

    J’ai ensuite été per­due. Découragée, j’ai plongé mes manus­crits au fond du tiroir pour les res­sor­tir de temps en temps en les reli­sant avec une pin­cée d’a­mer­tume. C’est à cette période que j’ai com­mencé à écrire mes pen­sées, sou­vent les plus sombres. Des textes bruts, des textes simples. Pas de recherche de la for­mule magique. Juste l’ef­fet de mes doigts sur le cla­vier, gui­dés par mon coeur. Et c’é­tait bon, ça l’est tou­jours d’ailleurs. A mon sens tout du moins. Mais j’é­tais per­due, peut-être que je le suis tou­jours d’ailleurs, mais seule­ment dans mes pensées.

    Depuis 10 jours, ce sont les vacances. Mes élèves me manquent, ma ren­trée est prête, je m’en­nuie, je me mets donc à lire. C’est mau­vais. Très mau­vais même, mais je ne peux m’empêcher de dévo­rer les cinq tomes d’une saga niaise à sou­haits. Frustrée de ne plus rien avoir sous la dent qui me por­te­rait autant que ces fichus livres (enten­dons nous, j’ai des biblio­thèques pleines de tré­sors ou de décou­vertes, mais rien ne m’ins­pi­rait sur le moment), je m’as­sieds devant mon pc et j’é­cris. Et là je suis l’en­fant. Pour la pre­mière fois, j’ai confiance. Je reprends une idée vague­ment déve­lop­pée l’an­née pas­sée et son pro­logue me trans­cende tou­jours autant. Alors j’é­cris. Je me fiche des styles lit­té­raires, je me sens libé­rée de tout cela. J’écris à ma manière, j’é­cris natu­rel­le­ment, j’é­cris sans réflé­chir. Je suis l’en­fant, et 78 pages sont nées sans que je ne m’en aper­çoive. Et c’est loin d’être fini, car la suite des aven­tures attend mon héroïne. Alors j’é­cris, juste pour le plai­sir. J’écris pour lais­ser mon per­son­nage prendre vie. J’écris pour ne pas oublier d’é­cou­ter l’en­fant qui attend de se révé­ler en moi depuis de nom­breuses années main­te­nant. Et tant pis si cela s’a­vère mau­vais. Moi, j’au­rai aimé 🙂

    Sophie, 36 ans, pleine de rêves et d’imagination

    1. Merci Sophie pour ce superbe témoignage !
      Je crois com­prendre qu’en plus, vous êtes du côté de ceux qui savent et qui enseignent… Arriver à dire « j’écris sans réflé­chir » en est d’au­tant plus méri­toire. Chapeau !

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