Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • Comment je suis entré dans l’édition
  • Ce que l’on recherche dans un manuscrit

Vous vous êtes peut-être déjà demandé com­ment c’était de l’intérieur, une mai­son d’é­di­tion ? Difficile de vous répondre par des des­crip­tions objec­tives. Alors voici le récit, sau­va­ge­ment sub­jec­tif, de mon entrée dans ce monde merveilleux.

Article « Mon travail dans une maison d’édition »
Mes pre­miers pas dans une mai­son d’édition.

Ce devait être en juillet 2001. J’avais lancé quelques can­di­da­tures de stage à la fin de l’année uni­ver­si­taire, et pour me payer ma ration quo­ti­dienne de bou­quins, j’avais pris un bou­lot d’animateur dans un centre aéré. Les mômes étaient sym­pas, les col­lègues char­mantes, bref, un petit para­dis de 3 semaines.

Ce devait être un début d’après-midi.
Je m’étais arrangé comme ça entre mes deux “patronnes”, celle du Centre et celle de la boîte. À la pre­mière, les mati­nées, et à la seconde les après-midi.
J’avais donc quitté Schillick et la ban­lieue ouest, pour me rendre, avec ma foi un léger pin­ce­ment au cœur, dans la ban­lieue sud.
Sur les coups de 14h00, je me pré­sen­tai au por­tillon de mon nou­vel employeur. C’était une mai­son coquette, dis­crète, dans un quar­tier pavillon­naire. Seule, sur la porte, une plaque de vieux lai­ton signa­lait “XXX éditeur”.

Je fus accueilli par une petite dame toute sèche, dans les 50–60 ans. Quand elle parla, je com­pris qu’il s’agissait de cette per­sonne impo­sante qui m’avait répondu au télé­phone. Dans sa voix fumaient encore toutes les clopes qu’elle avait déjà grillées.

Elle me condui­sit dans le bureau. La pièce mesu­rait dans les trente mètres car­rés. Trois postes de tra­vail l’occupaient : une grande table direc­to­riale, avec un fau­teuil tout cuir à haut dos­sier, et deux petits secré­taires à la mode du XIXe. La pièce était gar­nie de très beaux meubles anciens, un peu déglin­gués, dépa­reillés. Les murs, les objets en plas­tique blanc avaient pris la patine du tabac. Un fax, un mini­tel ; pas d’ordinateur.

Debout, pen­chée sur l’un des bureaux, une femme s’escrimait contre un très vieux clas­seur, qui dégueu­lait de par­tout. Elle fai­sait de son mieux pour refer­mer les anneaux. Elle me serra joyeu­se­ment la main. Ce serait ma col­lègue : Christine.

La “patronne” déposa un manus­crit sur mon bureau, et me confia comme mis­sion de « le lire puis de lui dire ce que j’en pensais ».

Chouette !
Je me retrous­sai les manches et je com­men­çai ma lec­ture, stylo et car­net à por­tée de main. C’était une his­toire tor­due, avec des allu­sions, des sens cachés. Je pre­nais des paquets de notes. Je me débrouillai plu­tôt bien ; je me sen­tais ins­piré.
Je réus­sis à dégot­ter là-dedans une mise en abyme, un nar­ra­teur extra­dié­gé­tique, une décons­truc­tion roma­nesque, plus une inter­tex­tua­lité de der­rière les fagots. À moins que ce fût les quatre à la fois ? J’avoue que je ne sais plus. Qu’importe, ma fiche était du ton­nerre de Zeus ! Si j’avais pu la four­guer comme com­men­taire com­posé à un de mes pro­fes­seurs, j’aurais raflé une note mirifique.

Le soir vint. Christine quitta les lieux en nous fai­sant un grand sou­rire. Dans celui qu’elle m’adressa, il y avait une petite nuance que je n’arrivais pas à cer­ner. De la com­pas­sion, peut-être bien.
La patronne écrasa sa der­nière ciga­rette de la jour­née, et me demanda :
« Alors, ce manus­crit ? Vous l’avez lu ? Vous en dites quoi ?

« Eh bien, on peut consta­ter que… »
Et me voilà à lui débal­ler mes grandes théo­ries.
Mais la dame m’interrompit bien vite. De sa voix cas­sée, elle me dit :
« Allons allons, ce n’est pas une dis­sert’ que je vous ai demandé. Je veux savoir si ce texte est bon, oui ou non. Est-ce que vous le publieriez ? »

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La « patronne », une femme très…
… sèches !

J’avalai ma salive. Ce genre de ques­tions, bien sûr, je me le posais depuis long­temps, à la fac. Mais là-bas, tout le monde fai­sait sem­blant de croire que tous les livres étaient mer­veilleux. Sans doute pour ne pas vexer les restes pous­sié­reux de nos grands génies.

« Est-ce que vous publie­riez ce livre ? »
Question dif­fi­cile, donc, mais allé­chante.
Je m’éclaircis la voix et je hasar­dai :
« Heu… Peut-être pas, non. »
Puis je ren­trai chez moi.
Tant pis pour ce qu’elle allait en pen­ser. Elle m’avait pro­vo­qué, j’avais réagi. Ce texte était une daube infâme.

Le len­de­main, la “patronne” ne me flan­qua pas à la porte.
Elle ne me colla pas de mau­vaise note.
Elle posa un nou­veau manus­crit sur mon bureau.


Et voilà, sus­pi­cieux inter­naute, com­ment ça s’est passé. J’ai peut-être romancé un peu cer­tains détails, mais l’esprit, crois-moi, y était.
Maintenant, c’est à toi : tu as déjà eu affaire à un édi­teur ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

9 commentaire

  1. Kanata a dit :

    Bonjour Nicolas,

    Moi je pense qu’il y a une ligne direc­trice com­mune à tous les édi­teurs : rentabilité !
    Je ne vois pas pour­quoi ils seraient épar­gnés par le fonc­tion­ne­ment de notre société sous pré­texte qu’ils font « de l’Art »… (dès qu’il y a réseau de dis­tri­bu­tion, de nos jours… le billet l’emporte sur le pam­phlet). Nous ne sommes plus au XIXe.

    Par contre, il me semble que der­rière tout ça, la taille de l’éditeur joue beau­coup, et chose étrange, je m’imagine plus les petits prendre des risques édi­to­riaux que les grands… Enfin en regar­dant les cata­logues c’est l’impression que ça donne.
    Du coup j’imagine que les petits lisent beau­coup, filtrent, trient et éditent, alors que les grands semblent pas mal occu­pés à ache­ter des droits, tra­duire, payer des profs pour écrire dans l’ombre les livres de nos peoples, et occa­sion­nel­le­ment sor­tir le bou­quin d’un pote en mode « best­sel­ler » pour com­bler un trou éditorial.

    Après je dis ça… C’est juste l’impression que ça me donne vu de l’extérieur.

    1. nicolas a dit :

      Tu es à mon avis assez proche de la vérité. D’après ce que j’ai vu, c’est effec­ti­ve­ment ainsi que ça se passe.

  2. Oliv a dit :

    Je ne suis pas for­cé­ment d’accord avec l’idée, très répan­due et géné­ra­le­ment consi­dé­rée comme allant de soi, selon laquelle le « grand » édi­teur serait un immonde capi­ta­liste ne publiant que des merdes des­ti­nées à orner les têtes de gon­dole à la FNAC, et le « petit » édi­teur un révé­la­teur de talents plus ou moins pur et dés­in­té­ressé — j’insiste sur les guille­mets car, au même titre que nous tous le con d’un autre, chaque édi­teur sera un « petit » ou un « grand » en fonc­tion du confrère à qui il est comparé.
    La dif­fé­rence fon­da­men­tale entre l’un et l’autre, c’est que le « grand » a géné­ra­le­ment les reins assez solides pour prendre des risques édi­to­riaux, et le « petit » beau­coup moins. Le pre­mier publiera trois merdes quasi assu­rées de faire des ventes, afin de déga­ger des pro­fits pour publier un bou­quin moins « facile », par exemple un pre­mier roman d’un auteur inconnu. A l’inverse, l’éditeur qui joue sa sur­vie à chaque publi­ca­tion sera, en toute logique, moins enclin à prendre de gros risques.
    Le pro­blème, comme sou­vent, vient du fait que l’on juge avant tout en fonc­tion de ce qui saute aux yeux, et en l’occurrence les bou­quins mis en avant par les « grands » sont les merdes à très gros tirages… Alors que le « petit », n’ayant de toute manière aucune visi­bi­lité, sera jugé sur l’ensemble de sa production.

    1. nicolas a dit :

      Oliv, tu te places un plan plus haut. Mais toi aussi tu as rai­son : la prise de risque est pré­sente dans toute mai­son d’édition, car toute mai­son d’édition est une entre­prise… Publier un cer­tain titre est peut-être moins ris­qué pour un gros (encore que les ques­tion­ne­ments sont les mêmes : est-ce que je vais tirer plus pour anti­ci­per la demande, est-ce que je fais une édi­tion cou­rante ou luxueuse… ?)
      Mais un gros prend lui aussi des risques, et par­fois se gaufre lamen­ta­ble­ment. Beigbeder devient direc­teur lit­té­raire (en échange d’un beau pac­tole) chez Flammarion, et se fait fau­cher Houellebecq en deux coups de cuiller à pot. Gallimard se lance dans l’aventure de l’e‑book dix ans trop tôt, et frise la faillite… Bref, tous les édi­teurs car­burent au risque, mais ne placent pas for­cé­ment le risque sur un titre en particulier.

  3. Pierre a dit :

    Salut Nico ! Ton texte m’a bien amusé, je m’y suis vu ! Bravo pour cette démys­ti­fi­ca­tion en dou­ceur de ce métier difficile !

    Un édi­teur, c’est en effet quelqu’un qui veut gagner sa vie, jusque là rien de bien ori­gi­nal. Et donc, n’est-ce pas, on peut dire que le public a les édi­teurs qu’il mérite, puisque pour bouf­fer, il faut publier ce que « les gens » lisent… Le reste, la lit­té­ra­ture, l’idée roman­tique de l’écrivain incom­pris et la beauté du texte, ça res­sort du domaine privé. Ça peut vrai­ment rem­plir une vie, mais il n’y a aucune rai­son de faire de ça un com­merce. Ta « patronne » a eu le mérite de le dire tout de suite !

    Est-ce que publier, en plus de l’alimentaire, un inconnu par an pour en vendre 150 exem­plaires fait de moi un petit édi­teur décou­vreur de talents ? Je ne crois pas. Ça fait de moi un rêveur qui s’est fait plai­sir, c’est tout. Sans comp­ter que le talent du type en ques­tion, il s’est décou­vert tout seul, en arri­vant dans ma boîte aux lettres…

    En réa­lité, je crois que ce qui fait la dif­fé­rence, c’est la manière de faire. Ai-je pro­mis à l’auteur inconnu que je ferai de lui une star ? Lui ai-je caché qu’on ramera pour vendre 150 mal­heu­reuses copies de son texte ? L’ai-je laissé péter un bou­lon en se voyant déjà tra­duit en six langues et adapté au cinéma ? Si oui, je suis un mau­vais édi­teur, un men­teur ou un lâche. Ça m’est arrivé. Si je lui ai cassé ses rêves pour qu« il atter­risse, si je lui ai mis les points sur les i pour lui per­mettre de pro­fi­ter vrai­ment de cette modeste aven­ture, si nos échanges pour éla­bo­rer son livre nous ont enri­chis l’un l’autre, si l’auteur réus­sit 150 vraies ren­contres humai­ne­ment riches, si je l’ai aidé à se récon­ci­lier avec sa nature d’humain stan­dard, si dans ses yeux je vois la fierté qu’un type parie sur lui, et que plein d’autres appré­cient à leur tour son tra­vail, alors, je pour­rai me dire à moi-même : aujourd’hui, je suis un grand édi­teur. Mais demain, il fau­dra recom­men­cer, c’est un titre qui ne se conserve pas.

    Il y a des très grandes mai­sons qui res­tent toutes petites dans leur tête…

    1. nicolas a dit :

      Ton effort de « péda­go­gie » envers les écri­vains est vrai­ment louable, c’est sûre­ment un des aspects les plus dif­fi­ciles de ton métier. Parfois, cer­tains auteurs ne veulent rien entendre et rejettent en bloc le monde cor­rompu, com­mer­cial, gagne-petit de l’édition. Ils rejettent comme « com­pro­mis­sion » toutes les contraintes qu’on leur annonce. Ils oublient (entre autres) que l’acte d’écrire, de for­mu­ler, est la pre­mière et la plus grande des contraintes, et qu’un livre, n’importe lequel, n’est qu’un vaste compromis.

      Que tout l’art de l’éditeur est de faire, pour toutes les par­ties pre­nantes, le plus beau com­pro­mis possible.

      Eh oui, ç’a été un cer­tain désen­chan­te­ment pour moi, ce pre­mier jour en mai­son d’édition.

      Pourtant, tu le sais, avec les mêmes consta­ta­tions, je n’arrive pas aux mêmes conclu­sions que toi. Disons que l’édition s’organise un peu dif­fé­rem­ment dans mon esprit.

      Je suis per­suadé que « ce que les gens lisent » n’est pas aussi immuable, tombé du ciel, que tu le dis. Les gens lisent ce qu’on leur donne à lire, ce qu’on fabrique pour eux et ce qu’on leur met sous le nez.

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