Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • Ce qu’est une métaphore
  • Repérer les méta­phores invisibles
  • Les risques, pour votre récit, de la sur-métaphorisation

La méta­phore est un réflexe natu­rel de l’é­cri­vain. Mais l’a­bus de méta­phores est dan­ge­reux pour le texte ; voici pourquoi.

La méta­phore, le fait de com­pa­rer une chose à une autre pour mieux la défi­nir, est une des figures de style les plus connues et les plus pra­ti­quées. Tellement pra­ti­quée qu’on ne la remarque plus, au contraire de l’hy­per­chleuasme, par exemple, qui peine à se faire dis­cret dans les soi­rées mondaines…

Mais que se cache-t-il vrai­ment der­rière le pro­cédé banal ? L’abus de méta­phores n’est-il pas dan­ge­reux pour la plume ?

Prenez conscience des dan­gers des méta­phores ; repé­rez-les là où elles se cachent, puis domp­tez-les, pour vivre enfin, elles et vous, en bonne entente.
Les dan­gers sont, d’après moi, au nombre de trois. La métaphore :

  1. vous emmène vers le réflexe de pensée ;
  2. loin de sim­pli­fier votre pro­pos, le complique ;
  3. vous entraîne mal­gré vous dans une vision du monde qui n’est pas for­cé­ment la vôtre.

1. La métaphore comme réflexe de pensée

Elle gar­dait les pau­pières closes, s’abandonnant au plai­sir qui l’inondait.

plongé dans un abîme de douleur

atti­ser la curiosité

Qu’est-ce qui est com­mun à toutes ces expressions ?

La parenté entre méta­phore et cli­ché est plu­tôt ser­rée. La méta­phore vient sou­vent sous notre plume par réflexe. Bien entendu, toutes les méta­phores ne sont pas « cli­ché », mais le réflexe est là, depuis notre petite enfance : « C’est comme quand… »

Plusieurs indices montrent que la méta­phore, dans notre culture, est un véri­table réflexe de pen­sée.
Or, votre mis­sion, en tant qu’écrivain, est de vous méfier des réflexes.

2. La métaphore comme facteur de complication

Métaphoriser, c’est s’attarder. C’est prendre son temps pour décrire, choi­sir la solu­tion com­plexe. Cela est par­fois indis­pen­sable. Mais ne soyez pas esclave de votre envie de décrire. Ne per­dez pas de vue ce qui nour­rit vrai­ment votre his­toire : votre intrigue, les actions et réac­tions de vos personnages.

La métaphore flotte mais ne coule pas ?
Une méta­phore, c’est comme un canard dans une pis­cine A vous de me dire pourquoi !

Posons-nous sin­cè­re­ment la ques­tion : est-ce que la méta­phore est le meilleur moyen de des­crip­tion pos­sible ? Personnellement, après vingt ans d’é­cri­ture, je n’en suis pas du tout cer­tain.
Décrire un lieu, un objet, un per­son­nage, c’est essayer, à chaque fois, de résoudre une petite énigme. Or, plus on com­pare, moins on décrit : au lieu de résoudre l’énigme, les méta­phores la démul­ti­plient. Du strict point de vue de la com­mu­ni­ca­tion, c’est une impasse.

Bien sûr, cet effet d’énigme de la méta­phore peut être bien­venu. Mais sachez le doser exactement.

Peut-être avez-vous, en cet ins­tant, un petit sou­rire en coin ? La théo­rie vous paraît juste, mais vous ne croyez pas qu’elle se véri­fie ? Démonstration, avec un texte de notre ancien ministre Dominique de Villepin (une plume ébou­rif­fante, signa­lée par Pierre Jourde et Eric Naulleau, bénis soient-ils) :

Face aux Minotaures, ce fil d’encre et de papier m’a aidé à tenir le cap. (…) Quoi que l’on entre­prenne, il y a tou­jours vau­tours et gibets au bord du che­min. Mais peut-être notre meilleur allié est-il par­fois le mau­vais sort. À minuit, la soli­tude se brise par la grâce de com­pa­gnons sol­li­ci­tés, com­pa­gnons invi­sibles qui défrichent la vie aux avant-postes, qui fixent des repères, qui nous donnent des mots comme autant d’armes pour notre propre combat.

Que com­prendre là-dedans ? Rien. Le sens a été tel­le­ment démul­ti­plié qu’on ne le per­çoit plus. Quand un fil (Ariane) d’encre et de papier aide à tenir un cap (navi­ga­tion mari­time) face à des mino­taures (Ariane bis), quand la soli­tude se brise (truc fra­gile genre vase) par la grâce (Dieu) de com­pa­gnons qui défrichent (bûche­ron­nage) la vie aux avants-postes (mili­taire), on ne sait plus de quoi il est ques­tion. Les diverses méta­phores ont été filées en un gros sac de nœuds.

3. La métaphore comme vision du monde

L’accumulation de méta­phores sous-entend un choix phi­lo­so­phique : car com­pa­rer abon­dam­ment, à la longue, met sur le même plan l’animal, le végé­tal et l’humain, l’inerte et l’animé… La méta­phore à outrance sous-entend une sorte de « tout est dans tout » dif­fus et mol­las­son.

Là encore, la com­po­sante cultu­relle ne se fait plus sen­tir. Et pour­tant, elle est là. Comme on le res­sent dans l’exemple (extrême) de la poé­sie minis­té­rielle cité plus haut, ce réflexe méta­pho­rique pour­rait bien venir du roman­tisme. Allons plus loin : le besoin de mélan­ger le vivant et les phé­no­mènes, l’inerte et l’intelligent, etc., fleure bon le pré-roman­tisme, et les images buco­liques de l’homme pri­mi­tif selon Rousseau.

La vision ani­miste du monde vous séduit ? Métaphorisez, faites-vous plai­sir ! Mais faites-le en connais­sance de cause.
En tant qu’écrivain, vous avez le droit d’interroger le fait cultu­rel, de le remettre à plat.
N’écrivez jamais en désac­cord avec votre vision du monde.


Dans cette pre­mière par­tie, nous avons donc vu quels étaient les dan­gers, pour l’é­cri­vain, des méta­phores. Un autre article traite, pour sa part, des méta­phores cachées ; sur­tout, il vous explique com­ment faire la paix avec le « réflexe métaphorique »…


Et toi, cir­con­lo­cu­tif inter­naute ? Tu les aimes, les méta­phores ? Fort fort ?


[1] Hervé Laroche, Arléa, 2004. J’en décon­seille la lec­ture : ce livre-là, pour un écri­vain, c’est comme le Larousse médi­cal pour la plu­part des gens. On en par­court quelques pages et on s’i­ma­gine déjà dans la tombe.

5 commentaire

  1. lael a dit :

    c’est inté­res­sant de faire atten­tion à ses réflexes en effet, et de voir si il y a une vrai uti­lité, si cela donne un plus au fond. A part ça cet article me laisse dubi­ta­tive, très théo­rique en fait. De manière pra­tique, quand uti­li­ser les méta­phores, et lesquelles ?

    Par exemple je me demande s’il est impor­tant de gar­der un champ lexi­cal, voyez, dans un registre défini, et que les éven­tuelles méta­phores soient dans le même thème, ou si la mul­ti­pli­ca­tion des idées rend le tout indi­geste (sans aller jusqu’à cet excès bien illus­tré par la prose du ministre, qui saute tel­le­ment du coq à l’âne que cela n’a plus de sens).

    Y’a t’il un article sur les champs lexi­caux et les syno­nymes ? j’aurai une ques­tion en fait, où puis-je la poser ?

    1. J’espère que la deuxième par­tie de l’article répon­dra à tes ques­tions. Je suis en train de réflé­chir à son contenu (à vrai dire, je l’avais déjà rédigé une fois en entier, mais je n’étais pas com­plè­te­ment d’accord avec moi-même…) Donc, patience : la par­tie pra­tique sui­vra un de ces jours.

      N’hésite pas à me poser tes ques­tions en MP. J’ai quelques petites choses en pré­pa­ra­tions sur les syno­nymes, je tien­drai compte de tes interrogations…

  2. De tels conseils ont au moins le mérite d’expliquer pour­quoi la lit­té­ra­ture fran­çaise est deve­nue, au cours de cette der­nière décen­nie à la sauce « séries nord-amé­ri­caines », à ce point indi­geste. Pas d’images, pas de sub­tile, ça pour­rait invi­ter à la réflexion. Bouffez plu­tôt du glu­cose et du gras, ca c’est dans l’air du temps.

    1. « Pas d’images, pas de sub­tile, ça pour­rait invi­ter à la réflexion. » Sauf que l’a­bon­dance d’i­mages (et des pro­cé­dés en géné­ral) n’est pas du tout une garan­tie de subtil(ité ?)

Laisser un commentaire